Marquis de Bièvre
François-Georges Maréchal
(1747-1789)

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Vercingentorixe
Tragédie en un acte et en vers,
Oeuvre posthume du sieur de Bois-Flotté,
Étudiant en droit-fil
publiée par le marquis de Bièvre.
(1770)

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Personnages :
VERCINGENTORIXE,
généralissime des Gaulois, élu roi des Arvernes.
CATUAT, CONUTODUN, CRITOGNAT,
officiers-généraux de l'armée Gauloise.
CONVICTOLITAN, COTUS, ÉPORÉDORIXE,
officiers-généraux de l'armée Gauloise.
SYLVIE,
princesse aimée de Convictolitan.
UN SOLDAT.
GARDES.

La scène est dans Alexie
Le Théâtre représente le palais de Vercingentorixe.

 
SCÈNE PREMIÈRE

Vercingentorixe, environné de ses officiers, tient un conseil de guerre, Conutodun, Catuat, Convictolitan sont assis à sa droite, Éporédorixe, Cotus et Critognat sont assis à sa gauche.


VERCINGENTORIXE

Dans ces lieux à l'anglaise, où ma voix vous amène,
Il faut de nos malheurs rompre le cours la reine.
Amis, vous dont l'esprit est plus mûr mitoyen,
Donnez-moi des conseils dignes d'un citoyen;
Et surtout de droguet, dans nos vertus antiques,
Rétablissons le sort de mes sujets lyriques.
Non, tout n'est pas perdu, j'ai pour moi les Boyens,
Les Pictons, les Turons et les Prétocoriens;
Et j'ai su que bientôt, aidés des Lémovices,
Les Xantons s'uniraient aux Médiomatrices.
Avec moins de secours et de bras de fauteuil,
Des Romains autrefois je creusai le cercueil.
Je sus comme un cochon résister à leurs armes,
Et je pus comme un bouc dissiper vos alarmes,
Pensez-vous que César les voyant approcher,
Ose continuer le siège du cocher?
Parlez, Conutodun ; vous Éporédorixe,
Vous répondrez ensuite à Vercingentorixe.

CONUTODUN

C'est à mon chef Saint-Jean que ma bouche de four
Ose dévoiler tout de point en point du jour.
Je sais bien viager que le secours approche,
Mais nos remparts détruits, nos forts, nos tours de broche
Nous instruisent assez qu'après mille hasards,
L'ennemi de nos champs s'est rendu maître ès-arts.
D'où peut naître, seigneur, l'espoir qui vous console?
Nous mangeons des chevaux tous crus sur leur parole,
Des souris gracieux et des rats de Saint-Maur,
Secours vain de Bourgogne aux portes de la mort,
Avant que l'ennemi puisse monter en graine
Sur nos murs ébranlés qui subsistent à peine,
Sur nos forts de la halle et sur nos tours de main.
Il faut le prévenir par quelque effort de rein.
Usons du droit canon que le temps peut permettre;
Confondons cette nuit leur adresse de lettre,
Et ne leur faisons point de quartier de soulier,
Périssons ou vengeons les Gaules d'écuyer.

ÉPORÉDORIXE, avec embarras.

C'est mon avis, seigneur, et mon cœur de laitue...

VERCINGENTORIXE

Vous, Catuat, parlez.

CATUAT

                                      Seigneur, ce point de vue
Mérite un examen plus clair de procureur;
Le secours ne vient point et César est vainqueur;
Le meilleur parti... peut-être est de se rendre.

CRITOGNAT, vivement.

Vous, Catuat, ô ciel! seigneur, daignez m'entendre;
Non, je ne puis souffrir ni ce plan de maison,
Ni le noble dessein à la mine de plomb,
D'attaquer les Romains dans leur poste royale.
Ce dernier me plairait ; mais dans le fond de cale,
Si nous y périssons, c'est en vain frelaté
Que nous voulons sauver de la captivité
Et nos enfans trouvés, et nos femmes de chambre;
Et César parvenant à ses fins comme l'ambre,
A la patrie entière imposera ses lois.
Or moulu, quel sera le perfide Gaulois,
Dont l'âme de souflet assez basse de viole
Recevra des Romains pour ses maîtres d'école?
Attendons le secours, il n'est pas loin de nous :
César fait dans son camp doubler les gardes fous.
Loin de nous attaquer, il songe à se défendre;
A de grands coups de fouet il a l'air de s'attendre.
Si la faim nous assiège et trompant nos efforts,
De nos corps de logis affaiblit les ressorts,
De nos père de bas imitons la constance,
Dévorons les soldats qui dans leur défaillance,
Ne sont que pour la montre à répétition.
Par là bémol, seigneur, du destin d'Ilion
Nous sauverons ces murs ; et des prêteurs sur gage
N'aurons pas de Calais le flatteur avantage
D'asservir sous leurs lois un peuple généreux,
Et sur le sol dièze où régnaient vos ayeux.

CONVICTOLITAN

Oui, nous sommes, seigneur, si bas de Ségovie,
Qu'un remède d'eau chaude utile à la patrie
Ne peut trop s'acheter.

VERCINGENTORIXE

Eh bien?


 
SCÈNE II
LES PRECEDENS, SYLVIE.

SYLVIE, entrant précipitamment.

                                             Ciel! de mon lit,
Prenez garde malade, ô prince! on vous trahit :
C'est Éporédorixe.

ÉPORÉDORIXE

Ah! seigneur!

SYLVIE, avec véhémence.

                                             Oui, barbare,
Tu croyais m'abuser par ton air de guitare;
Mais plus que toi, Sylvie est adroite en entrant.

VERCINGENTORIXE

Qu'à nos corps épuisés il serve d'aliment :
Soldats, obéissez à mon ordre ionique;
Qu'on apporte en ces lieux ma table alphabétique.


 
SCÈNE III
LES PRECEDENS, UN SOLDAT.

LE SOLDAT, à Vercingentorixe.

Seigneur, je voudrais bien vous céler et brider
Que...

VERCINGENTORIXE lui parle à l'oreille, ensuite il dit :

Cours de botanique, et fais tout décider.

      (à Sylvie.)

Madame, pardonnez, je souffre d'alumette,
En m'éloignant de vous, mais l'état de mes dettes
Dans sa chute de reins se repose sur moi;
Il est bien temps d'arrêt de lui montrer son roi.

      (Il sort suivi de ses officiers et Convictolitan reste le dernier.)


 
SCÈNE IV
SYLVIE, CONVICTOLITAN.

SYLVIE, rappelant Convictolitan prêt à sortir avec les autres.

Cher Convictolitan!

CONVICTOLITAN, se retournant.

                                 O ma chère Sylvie!
Je vole dans la poche au secours d'Alexie.

SYLVIE

Qu'avez-vous au plus fort? Assuré d'être aimé,
Vos yeux, ces si beaux yeux, sont éteints rétamé;
Vous n'avez plus cet air serein de Canarie.
Quoi! vous me préférez votre ingrate patrie?
Ne peut-on vivre heureux sans elle de dindon?

CONVICTOLITAN

Ah! cessez d'arrêter mes pas de rigaudon;
Je vois trop de cheval ce qui cause vos peines;
Mais ce sang de maron qui circule en mes veines,
Doit couler pour la ville où je suis né morveux.

SYLVIE

Va, nous savons de Naple où tu portes tes vœux;
Pars de gâteau, cruel! laisse-moi.

CONVICTOLITAN

                                         Non, Sylvie;
Votre cœur d'opéra fait toute mon envie :
Je méritais plutôt d'être plaint comme un oeuf :
Pourquoi ce ton salé? prenez un air de bœuf.
Qui ne redouble point mes maux à double entente.

SYLVIE

Pardonne au feu grégeois dont brûle ton amante :
Hélas! je sens mauvais ce que tu fais pour moi.

CONVICTOLITAN

Voulais-tu m'éprouver?

SYLVIE

                                                   Non propre.

CONVICTOLITAN

                                                Eh bien! pourquoi
Souiller nos nœuds coulans par une erreur cruelle?
Notre chaîne de montre est si forte et si belle!
Tu me seras toujours chère de professeur :
Oui, toujours.

SYLVIE

                            Je t'entends, j'admire ta valeur;
Mais craignons le sort-cier; ainsi que notre flamme,
Soit le cœur de ton cœur et l'âme de ton âme;
L'état peut employer d'autres mains de papier,
Et dans le sein des arts de ce siècle grossier,
Nous vivrons tous les deux à l'abri champenoise.

CONVICTOLITAN

Je ne puis très profond vivre sans toi d'ardoise :
Mais ne dois-pas rendre un compte de Grécourt
De la place de fiacre on m'a nommé la cour?
Sans ce triste devoir je sécherais tes larmes,
J'épargnerais mes jours, et par cent héros d'armes,
Il serait répété que Convictolitan,
Las d'amour de chercher un trépas éclatant,
Eut la force de corps de préférer la vie
Pour être de raison aussi grand que Sylvie.


 
SCÈNE V
LES PRECEDENS, CRITOGNAT.

CRITOGNAT, l'épée à la main, et couvert de sang comme un homme qui sort du combat.

C'est trop livrer vos cœurs à ce combat naval;
L'amour dans ce héros est un vice-amiral,
Lorsqu'il doit de la main défendre sa patrie.
Viens, Convictolitan.

CONVICTOLITAN, à Sylvie.

                                             Vous venez de l'entendre...
Je te suis, Critognat... Dieux!

SYLVIE

                                             Tu n'oublîras pas
Ta maîtresse à chanter dans l'horreur des combats?

CONVICTOLITAN

L'amour va m'y conduire, et par sa main divine,
Ton image en mon cœur sera peinte ou chopine.

SYLVIE, avec transport.

Je suis remise au mois par cet espoir charmant.
Adieu...

CONVICTOLITAN

                           Je pars...

SYLVIE

Eh bien!

CONVICTOLITAN, les larmes aux yeux.

                                                                      Sylvie!...

SYLVIE

Ah! quel moment!

(Convictolitan sort entraîné par Critognat; Sylvie reste seule.)


 
SCÈNE VI

(Pendant le monologue les gardes disposent la table du festin.)

Ah! nous attendrissons les cieux de mon carrosse.
Quel serait l'avenir, si le présent de noce
Nous réduit solitaire à tant d'affreux tourmens...
Jette un coup d'œil de bœuf sur deux tendres amans!
Les mêmes traits de cuir, puissant maître du monde,
Ont ouvert de ton cœur la blessure profonde,
Lorsque tu vins d'Arbois sur ces bords de chapeau,
Déposer en justice un précieux fardeau,
Et que la belle Europe interdite, tremblante,
Mit le comble du toit à la ruse innocente...
Cher Convictolitan, tes derniers mots de rein
Ne sortiront jamais de mon esprit de vin.
" Ton image en mon cœur sera peinte ou chopine. "
Ah! crois de Saint-André, que cette ardeur divine
A dans mon sein patron nourri les mêmes feux...
Mais ces gardes mangers que font-ils en ces lieux?
Je vois les apprêts tout de ce festin barbare.
Quel est le coup de pied que ce moment prépare ?
Une secrète horreur me glace au chocolat...


 
SCÈNE VII
VERCINGENTORIXE, CRITOGNAT, CONUTODUN, CATUAT, COTUS, SYLVIE, GARDES.

VERCINGENTORIXE, à Sylvie

Princesse, il fut un temps où les grâces d'état,
Les ris de veau jouaient autour de ma couronne.
Les jeux de main alors embellissaient mon trône
Il plut à verse aux dieux de m'enlever ces biens...
Hélas! sans eux brouillés que peuvent les humains?

      (Aux soldats.)

Vous, soldats, avancez la table des matières.

      (On avance la table vers le milieu du théâtre.)

C'est votre place aux veaux.

      (Tout le monde s'assied.)

                                                         Oublions nos misères.

SYLVIE

Mais Convictolitan ne paraît point fermé.

      (A part.)

Je tremble.

CRITOGNAT

                                             Il va venir.

                                                   (On sort.)

                                                         (A part.)

                                                         Je reste inanimé!...

VERCINGENTORIXE

Voici ce corps de chasse où logeaient tous les vices.
Consolons-nous, amis, reprenons nos sens suisses.

      (En servant Sylvie.)

Vous, madame, damée.

SYLVIE

Ah! seigneur.

VERCINGENTORIXE, en servant Catuat et les autres.

Catuat... Cotus... Conutodun...

CONUTODUN

Ah! Prince.

VERCINGENTORIXE, en servant Critognat.

Critognat...

      (Tout le monde mange, excepté Critognat.)

Dieux! je sens fermenter la brûlante amertume...
L'amour dans ces plats pieds est-ce ton sang qui fume
Hélas! sous ces couteaux tranchans du grand seigneur
Si ces lambeaux épars... O soupçons pleins d'horreur!

VERCINGENTORIXE

Eh quoi! je participe à vos vives alarmes,
Et ne puis souterrain commander à mes larmes...
Critognat ne dis rien...

CRITOGNAT

Je pense mon cheval.

VERCINGENTORIXE

Romps en visière, ami, ce silence fatal.

CRITOGNAT

Je voulais vous cacher une action des fermes,
Qui pourrait accabler les âmes les plus fermes;
Vous l'ordonnez, seigneur, je me livre tournois :
Écoutez Critognat... pour la dernière fois.
L'ennemi déployait ses enseignes à bière,
Par bandes de billard couvrait la plaine entière.
Il semblait dédaigner ces lignes à pêcher :
En marchant de bijoux je le vois s'approcher.
Ah! pardonnez, seigneur, à ce soupir de croche,
Vous savez qu'il nous a menés battant de cloche :
Tous nos meilleurs soldats sont pris de version,
Ou taillés de la pierre en pièces de gazon.
Et Convictolitan, ce prince sage femme,
Dont mille vertus bleu décoraient la grande âme,
Ce héros qui parait votre cour à fumier,
Tombe percé d'un coup de lance du panier :
Je veux le secourir... vains efforts de poitrine,
A d'autres coups de vin son malheur le destine.
Dieux! son sang de piquet coule à gros bouillons blancs
Par terre d'opéra les chardons dégoûtans
En sont teints bourgeonnés... Un soldat dans sa rage,
De Mars, avril, mai, juin, vient consommer l'ouvrage;
Sans tête à tête, hélas! ce prince infortuné
Expire... Le Romain, d'un revers galonné
La sépare du tronc pour les pauvres malades...
Retourne dans tes murs, retourne les salades,
Ajoute-t-il... Je crie : Arrête, lâche, un pet,
Ou je vais te percer de ce fer à toupet...
Un ordre de César commis à la barrière
Au zèle du soldat qui porte de derrière
La tête du héros près du corps de logis
Du traître dont par vous les jours furent proscrits.

VERCINGENTORIXE

Ami, tout mon courage est à bout de chandelle.

SYLVIE, fondant en larmes.

Ah! b, c, d...

CRITOGNAT

                 Seigneur, la suite est plus cruelle.
Le même garde meuble à côté du héros,
Met la tête de clou de l'auteur de nos maux,
Pendant jusqu'aux talons cette scène sanglante,
On préparait déjà cette pompe aspirante
Que l'on croyait devoir à ses mânes d'osier.

SYLVIE, dans le dernier accablement.

Oh! p, q...

CRITOGNAT

                 J'avais bien juré comme un charretier
Mais c'était en vain points d'arrêter un échange,
Devant causer tout haut quelque méprise étrange,
Les Romains furieux m'ont empêché mortel,
De mettre fin canine à leur dessein cruel;
De façon de l'habit que le traître s'énivre
Des honneurs qu'en ces lieux on rend aux morts de cuivre.
Et que sa cendre chaude est couverte de pleurs...
Et dans ces plats pays... O comble des horreurs!

VERCINGENTORIXE, vivement.

Dieux! Convictolitan!

CRITOGNAT

Oui, seigneur.

(Il se tue avec le couteau qui lui servait à table.)

VERCINGENTORIXE

Ah! mon frère.

CONUTODUN et CATUAT, ensemble.

Cher ami!

SYLVIE

                 Cher amant!

VERCINGENTORIXE

                                   En faisant de bruyère
Ce qu'a fait Critognat, je m'acquitte envers toi!
Dans tes bras séculiers reçois ton frère.

(Il se tue.)

CONUTODUN, saisissant un couteau.

                                                             Et moi
Je ne veux sur leurs pas d'autres guides de laine.

CATUAT, prenant aussi un couteau.

Ah! de votre main d'œuvre, ami, guidez la mienne.

CONUTODUN

Et le courage, ami.

CATUAT

L'avez-vous les pieds?

CONUTODUN

Non.

CATUAT

Ne me refusez point; car de conversion,
Vous me rendrez enfin un service de table.

(Il reçoit la mort de la main de Conutodun, qui se tue lui-même après, Cotus se tue ensuite.)

SYLVIE, se levant et s'avançant sur la scène.

Pour moi, quand mes flancs d'œufs dans ce jour déplorable,
Ont reçu quittance le cors de mon amant,
Le mien ne sera point souillé par le fer blanc.
Je vais me retirer dans ma tente ou ma nièce,
Et j'attendrai la mort de la faim de la pièce.

(Elle fait la révérence et la toile tombe.)

FIN


[Rappel : l'orthographe fautive de l'édition suivie a été conservée]

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