Marquis de Bièvre
François-Georges Maréchal
(1747-1789)

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Les Amours de l'Ange-Lure
(1772)

Filles chastes, gardez vous de lire ce
petit roman, qui n'est pourtant qu’un
calembourg, une équivoque ingénieuse.
   

Il y avoit déja long-temps que la Fé-lure, sans pouvoir être comptée parmi les Fé-nomenes, tenoit un rang considérable dans l'Empire de l'Amour. Tous les hommes la recherchoient avec empressément. Les femmes même n'en étoient point jalouses ; elles lui rendoient généralement tant de justice, qu'elles trouvoient tout simple, que leurs amans fussent sans cesse occupés du soin de rencontrer la Fé-lure.

Loin de contrarier en cela leurs desseins, ceux-ci s'y prêtoient journellement avec la plus Grande douceur. Il n'est donc pas étonnant que cette aimable Fée, ait fini par mettre les Anges même au nombre de ses soupirans.
 
L'Ange-lure fut celui qui se déclara le premier, et les autres s'engagerent à le servir dans ses amours.

Le rapport de nom servit d'abord de prétexte à l'Ange-lure pour s'introduire chez la Fé-lure. Il se dit son parent. La Fé-lure le crut : il lui parut naturel de recevoir son cousin, de le voir tous les jours, et de se montrer en public avec lui.
  
Malheureusement, elle imagina pour la décence, devoir mener avec elle une Fée de ses amies : elle fit choix de la Fé-néantise.
  
L'Ange-lure, de son côté, mit l'Ange-oleur de la partie ; et voilà précisément ce qui perdit la Fé-lure.
  
Il est peu de femmes qui puissent conserver leurs principes en pareille compagnie. Si elles résistent à la séduction de l'Ange-oleur, elles succombent aux conseils de la Fé-néantise. Aussi l'Ange-lure ne tarda pas à profiter de ces avantages : il vit que l'heure de la Fée était venue ; mais ne se sentant pas encore assez fort par lui-même, il se servit de l’Ange-oleur, pour engager la Fé-lure à recevoir la visite de l'Ange-in, le plus dangereux de tous les Anges et en même temps le plus insinuant.
  
L'Ange-oleur s'approcha de l'oreille de la Fée ; et lui faisant tout bas certaine proposition, il ajouta : Vous serez enchantée de le recevoir ; c'est le pere de la Fé-licité que vous aimez, et pour laquelle vous avez de la considération.
  
La Fé-lure consulta la Fé-néantise, qui lui dit : Qu'est-ce que vous risquez ; laissez entrer. La Fée répéta : Faites entrer.
  
A ces mots, l'Ange-in, qui s'étoit tenu respectueusement caché, se montra tout-à-coup ; et par le moyen de l'Ange-ambée, il se vit dans l'instant à portée de la Fé-lure, qui le trouvant le plus beau du monde, le reçut avec toutes les grâces imaginables.
 
La conversation fut des plus piquantes : il se conduisit d'une maniere si satisfaisante, sans blesser la Fée, qu'elle en fut pénétrée.

Comme il se disposoit à sortir, il n'est pas d'agaceries qu'elle ne lui fit pour le retenir, l'engageant d'ailleurs à revenir souvent ; ce qu'il promit avec une inclination respectueuse, et se retira, pour se renfermer chez lui.

Mais la Fé-lure s'apperçut bientôt que la Fé-condité pourroit trahir, et que cette Fée, négligée trop souvent, avait cherché, contre 1'usage ordinaire, à jouer son rôle dans l'intrigue que l'Auge-oleur avoit si bien conduite.
  
Elle voulut quelque temps douter de son malheur ; mais voyant enfin que la Fé-condité s'obstinoit à faire connoître dans le monde ce qui s'étoit passé, et qu'elle finiroit par la déchirure impitoyablement, elle crut devoir engager l'Ange-lure à l’épouser, pour couvrir ses torts.
 
Celui-ci, malgré les conseils de la Fé-lonie, qui prétendoit l éloigner de ce mariage, y consentit enfin, à la satisfaction des Anges et des Fées, qui se réunirent pour les mettre en ménage, et pour célébrer leur union.
 
Les noces se firent rue de la Fé-ronnerie, dans une maison que l'Ange-oliveur avoit merveilleusement décorée. La Fé-raille, elle-même, en avoit posé les sonnettes et les tringles. La Fé-sanderie apporta son plat au festin ; l'Ange-vin se chargea d'abreuver les convives.
 
Pendant le repas, l'Ange-ouement soutint lui seul la conversation, et ne voulut plus, dès ce moment, quitter les nouveaux mariés. Après souper il y eut un pharaon, dont l'Ange-eu fit tous les frais ; ensuite on donna un bal, où tous les convives développerent à l'envi, leurs grâces et leur légèreté : la Fé-rosse voulut aussi danser la contre-danse ; mais comme à chaque sault, elle étoit toute essoufflée, la Fé-rulle étoit obligée de lui donner sur les doigts pour la faire aller ; malgré cela on lui sut bon gré de sa bonne volonté.
  
Par cet heureux mariage, l'aimable Fée répara du moins, aux yeux du public, le tort que la Fé-condité lui avoit fait. Elle accoucha d'un fils qui fut appellé, tout d'une voix, l'Ange-andré.
  
Les Couches pénibles de la Fé-lure, loin de diminuer ses charmes, ne firent que les accroître et les développer davantage.
  
Cette circonstance lui inspira des projets d'ambition qui lui réussirent. Dès-lors, sa maison fut ouverte aux plus grands Seigneurs. La Fé-lure devint, de jour en jour, plus considérable, et parvint enfin au point de grandeur où nous la voyons aujourd'hui.


(1) Par le Marquis des Bièvre. - C'est une petite plaquette difficile à rencontrer aujourd’hui, imprimée en gros caractères. L'exemplaire qu'on nous communique a été payé récemment 30 fr. en vente publique.

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