Denis Bogros
(1927-2005)

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L’équitation dans la civilisation arabe et musulmane du Ve au XXe siècle
(1983)

L'histoire du peuple arabe, auquel est associée celle du plus beau cheval du monde, et le souvenir de conquêtes étonnantes est intéressante à plus d'un titre et singulièrement au sujet de l'équitation.

Les Arabes deviennent un peuple de cavaliers

Ce peuple a été considéré longtemps et se considère toujours lui-même, comme celui des meilleurs cavaliers. Cette certitude repose sur une croyance religieuse. La tradition musulmane lui enseigne en effet, que le premier fils d'Abraham, Ismaël, l'ancêtre de tous les Arabes, fut le premier homme qui monta à cheval. Avant lui, dit cette tradition, le cheval vivait à l'état sauvage dans la péninsule ! (?). Il l'apprivoisa sur l'ordre du Seigneur lorsqu'il vint à La Mecque avec son père, poser les fondements du sanctuaire (d'après « Kitab hayyat et hayyawan » de Kamal eddin al Damiri - XIIe siècle).

Or, pour nous, héritiers de la civilisation romano-chrétienne, les Arabes, ces Sémites, ne sont pas apparus dans l'histoire comme cavaliers, mais comme chameliers. C'est ainsi que les montre la Bible au livre de la Genèse chapitre 37-verset 25. « Leurs chameaux étaient chargés de gomme, de baume et de laudanum... », c'était quelque seize siècles avant notre ère. Onze siècles plus tard, Hérodote décrivant la cavalerie de Xerxès 1er, cite des contingents d'Arabes montés sur des chameaux. De même Tite-Live nous apprend qu'à Magnésie en 189 (avant Jésus-Christ) l'armée d'Antiochus battue par Scipion comptait dans ses rangs des archers arabes montés sur des dromadaires. D'ailleurs Strabon raconte qu'Aelius Gallus qui fit une expédition en Arabie en l'an 25 (avant Jésus-Christ) ne rencontra aucun cavalier et ne trouva ni chevaux ni mulets. L'historien américain P.K. Hitti écrit (History of the Arabs) : « De Syrie, le cheval fut introduit après le commencement de notre ère en Arabie où il trouva les meilleures conditions pour conserver la pureté de son sang et être préservé de tout mélange ».

C'est alors que les Arabes de chameliers devinrent cavaliers. Et ce ne sera qu'au Ve siècle de notre ère qu'ils apparaîtront comme tels dans l'Histoire en tant qu'auxiliaires au service de l'Empire Romain. Ce furent les « Thamoudeni Equites », c'est-à-dire les Thamoudites des généalogistes arabes, divisés en deux corps, l'un à la frontière de l'Egypte, l'autre en Judée ! (voir C. de Perceval - Essai d'histoire des Arabes. Paris 1848). C'est ainsi, par ces débuts modestes, qu'entrèrent dans l'Histoire ces fameux cavaliers qui, en moins d'un siècle, devaient faire boire leurs chevaux dans la Loire (732) et le Doubs (736) à l'Occident, dans le Syr-Daria et le Talas (751) à l'Orient. Comment expliquer un tel phénomène ?... Par l'évolution de la société bédouine aux temps du paganisme et par l'endoctrinement de cette société par le prophète Mahomet qui lui donna une foi et des moyens militaires pour la répandre à travers le monde. Telle est notre thèse !

On a dit que la société bédouine ante-islamique a représenté la meilleure adaptation de la vie humaine aux conditions du désert. Pasteur de moutons, éleveur de chameaux, depuis peu et à un degré moindre, éleveur de chevaux, les occupations principales du nomade bédouin étaient en outre, et par nécessité, la chasse et la razzia. Dans cette société le cheval de race, réservé pour les courses, les chasses, les raids et sélectionné dans ce but, prit une place sublimée par le fond poétique de ce peuple. De cela, portent témoignages : les poèmes suspendus « Moallakât », qui racontent les prouesses d'Antara et de son cheval Abdjar, ainsi que celles de ses pairs !

Mais deux questions se posent :

- Quel était ce cheval auquel les Arabes bédouins donnèrent la généalogie la plus prestigieuse ? Quel était ce descendant de l'étalon Awaj et de l'étalon Dahis pour la possession duquel une guerre fratricide survint entre les Abs et les Dhubyan dans la grande tribu des Ghatafan ben Said, quelques années avant la prédication du Prophète ? Importé de Syrie, au début de notre ère, ce cheval a été classé dans le type à profil rectiligne par nos zootechniciens les plus savants (Dechambre - Marcenac). C'est le type le plus achevé du cheval aryen, apparu dès le début de l'histoire humaine. Type qui s'est affiné et épuré dans l'isolement de la péninsule arabique.

- Autre question importante : avec ce cheval déjà sélectionné, quelle équitation pratiquaient les contemporains bédouins d'Antara ? Elle était la plus simple et la plus sportive du monde. Possédant une assiette remarquable, acquise dès l'enfance sur le chameau au cours des longues transhumances, le nomade d'Arabie, sans étriers et souvent sans embouchure, s'adonnait à la chasse à courre, à la chasse aux faucons, aux jeux du Djérid et aux courses de chevaux, dans une équitation de vitesse libre et allante.

Mohamed Ibn Abdallah Ibn Abd El Mottalib, prophète, législateur et chef de guerre

Né en 570, c'est dans cette société que le Prophète de l'islam devait entreprendre sa prédication. On sait les difficultés qu'il rencontra et sa fuite de La Mecque à Yathrib (Médine) en 622. De cette date : Hégire (la fuite), commence l'histoire de l'Islam et des conquêtes des Arabes devenus musulmans. Pour se rallier ce peuple bédouin moqueur et sans esprit religieux, pour se créer une armée obéissante, dotée d'une tactique et de moyens adaptés à ses rêves de conquêtes, Mahomet fut plus qu'un Prophète, mais aussi un génie militaire et politique !

Ayant entrepris son combat avec quelques compagnons et défenseurs (les Ansar) et seulement trois chevaux à l'affaire de Bedr (an II de l'hégire), il disparaît en 632 (an XI) léguant à ses successeurs : la péninsule arabique entièrement soumise, une armée aguerrie et déjà importante (30 000 hommes pour l'expédition de Tabouk - An IX). Mais bien plus, il leur léguait une cavalerie dotée d'une tactique d'emploi et du meilleur cheval de guerre.

C'est à Mohamed que revient la gloire d'avoir fait du petit peuple arabe, un des peuples conquérants cavaliers les plus étonnants de l'Histoire de l'Humanité. Génie militaire, il eut l'intuition que pour exploiter les qualités de ses compatriotes : résistance, frugalité, n'aimant que les actions rapides dans l'exaltation de l'aventure et de l'appât du butin, il lui fallait élever le raid au rang de tactique militaire et le concevoir aux dimensions de son but : la conquête du monde des infidèles. Pour ce faire, il institua le partage du butin, privilégiant le cavalier en lui accordant outre sa part comme au fantassin, deux parts pour son cheval. Il insuffla à ses capitaines transportés par la foi, l'esprit le plus offensif. Génie politique, il établit, en législateur avisé, un véritable code qui faisait converger toutes les potentialités de son peuple vers la guerre qu'il sacralisa : la Djihad. Poursuivant son oeuvre clairement définie, les successeurs du Prophète de l'Islam entreprirent des expéditions lointaines pour convertir les infidèles et les païens du reste de l'univers. En 651, les Arabes sont maîtres de la Perse. En 681, Sidi Oqba fait un raid fantastique jusqu'à la côte atlantique du Sous. En 711, l'Emir Tarik débarque dans la péninsule ibérique. En 751, les cavaliers arabes, atteignent le Syr Daria, le pays des Parthes, appelé aussi Kharezm ou Khorassan. Là, ils rencontrèrent des peuples possédant de longue date des traditions cavalières, et une équitation plus évoluée que la leur. Ils adoptèrent les techniques hippiques plus élaborées de ces peuples (fer - selle - étriers - mors de bride), ainsi que leur équitation plus précise et mieux adaptée aux combats de cavalerie en masses compactes et permettant aussi le corps à corps. Durant près de quatre siècles, la Nation musulmane dominera le vieux monde. L'équitation pratiquée par ses cavaliers, tant sur les champs de bataille, que dans les cours des nombreux califes et émirs, se répandra de l'Orient vers l'Occident, unifiée et codifiée par des Maîtres qui, fait nouveau, écriront des traités. Il convient maintenant d'étudier les deux plus importants d'entre eux : le « Naceri » et « la Parure des Cavaliers ».

L'équitation arabe classique (1)

Dès la fin du VIIe, siècle, l'Empire musulman échappe au contrôle des Arabes d'Arabie, qui se retirent dans leur péninsule où ils perpétueront leur équitation simple et sportive, et où ils sélectionneront le cheval Kohelan. Le centre de gravité de l'Empire se déplace tour à tour à Damas - Bagdad - Cordoue - Le Caire sans parler de Fez - Kairouan et Istanbul.

Au contact des peuples à traditions cavalières, intégrés dans cet Empire, l'équitation arabe évolua. Son expression la plus précise et la plus belle nous a été transmise par deux ouvrages fondamentaux du XIVe siècle. Le « Naceri » écrit au Mashrek (Orient) dont nous parlerons tout à l'heure et la « Parure des Cavaliers et l'Insigne des Preux » écrit au Maghreb (Occident).

Ce traité d'équitation, d'hippiatrique et de joutes à cheval fut composé vers 1365 par Aly ben Abderrahman ben Hodeil El Andalusy sur l'ordre du sultan Mohamed VI fils de Yusuf fils de Mohamed (V) qui régnait sur le royaume de Grenade, afin d'encourager la préparation à la guerre sainte (2).

Dans son chapitre dixième, nous découvrons que les Maîtres arabes ont enseigné bien avant les nôtres, des principes et des règles d'équitation que nous admettons encore :

« ... La base de l'équitation est la fermeté de l'assiette, laquelle ne s'acquiert qu'en montant, au début, sur des chevaux non sellés... ».

« ... L'égalisation des rênes est un principe d'équitation bien entendue et habile. Faire ensuite passer le cheval de l'immobilité à la marche par de légères indications des deux talons... ».

« ... Que l'arrêt soit doux... l'arrêt doit se produire en bon équilibre... ».
« ... Le bon équilibre de l'avant-main et de l'arrière-main est la chose dont on doit le plus se préoccuper en toutes circonstances ».

« ... Il faut... essayer à celui-ci divers mors ; celui d'entre eux... qui est le plus doux à sa bouche... est précisément son mors ».

« Il faut que le cheval mâche son mors et le goûte plutôt que de le craindre, de se cabrer ou de s'encapuchonner ».

« Pour devenir bon cavalier en selle, il importe de choisir une selle large... (les étriers) il vaut mieux les tenir un peu longs... ».

Ce traité d'une extraordinaire densité, d'une clarté peu commune, fut rédigé par un fin lettré qui se référa aux écrits des écuyers arabes les plus anciens. Il nous donne donc le témoignage de la bonne équitation arabe, mais qui sans doute n'était pas le fait de la troupe et du commun, comme il en est de nos jours en Europe. Ce témoignage est d'une grande importance car il fait justice de la mauvaise opinion des Européens sur l'équitation des Arabes ; mauvaise opinion enracinée dans leur ignorance de la question. Un écuyer européen fait exception et quel écuyer, puisqu'il s'agit du Comte d’Aure, qui s'est proclamé grand admirateur des Arabes comme éleveurs et cavaliers (voir son cours d'équitation - Annexes).

L'autre traité, qui nous donne un témoignage aussi important sur cette équitation, est celui écrit au même siècle (XIVe) par Abou Bekr Ibn Bedr, écuyer du Sultan Mohamed El Nacer Ibn Kalaoun de la première dynastie Mameluke qui régnait au Caire. Il est connu sous le nom de « El Naceri », son véritable titre étant « La perfection des deux arts » (3) (celui de l'homme de cheval et celui de l'écuyer). Son auteur n'était pas un fin lettré comme El Andalusy, mais au contraire un praticien, de sorte que, si son ouvrage est souvent embrouillé et qu'il rende compte fort mal de ses sources anciennes, il nous donne par contre une meilleure idée de la pratique.

Il traite du cheval de course - de son entraînement - de l'entretien du cheval - du harnachement - des allures - des canons du cheval de pur-sang - des différentes races de chevaux - du dressage et de l'éducation des chevaux...

Ce traité, comme le précédent, nous apporte la preuve que la civilisation arabo-musulmane a conçu l'équitation essentiellement en vue de la guerre - des jeux guerriers - de la chasse et de la course, ne la réduisant jamais à une technique de Haute Ecole, à une équitation raccourcie. C'est vraisemblablement la raison pour laquelle d’Aure, le grand rénovateur, ne lui a pas ménagé son admiration.

Cependant, de nombreux auteurs dont Mercier et Perron traducteurs des deux ouvrages dont nous venons de parler, et surtout le Général Daumas, dont nous parlerons plus loin, ont voulu voir dans certaines pratiques équestres des arabo-musulmans, les éléments d'une Haute Ecole. Que faut-il en penser ?

Mercier a étudié un grand nombre de traités en langue arabe appelés « Kitâb el furûsiya » qu'il propose de traduire par « Livres de la tactique du cavalier ». Cette étude nous montre d'abord les cavaliers s'exerçant en groupe à des simulacres de combats, exécutant de véritables carrousels... c'était, si l'on veut, l'école d'escadron et de régiment rendue nécessaire par l'évolution de l'art militaire. Ce fut surtout le fait des Mamelukes et Bonaparte, aux Pyramides, en 1798, put admirer les belles évolutions de la redoutable cavalerie adverse. Ces livres comportent ensuite des chapitres sur l'escrime à cheval pour préparer le cavalier du rang au combat corps à corps. Enfin, un chapitre traite de la préparation du cheval à ce combat qui lui demandait équilibre et soumission.

L'exercice préconisé pour ce dressage porte le nom de « Nawerd qazan ». Il consiste à manier son cheval sur un grand cercle, puis à lui faire exécuter des pirouettes entières ou à demi, sur deux petits cercles tangents au grand et diamétralement opposés. Cet exercice se pratiquait aussi sous forme de joutes entre deux cavaliers armés de lances d'exercice. De là, à en conclure comme le fait Mercier que ces cavaliers devaient pratiquer les appuyers, les voltes sur les hanches, les pirouettes académiques et les changements de pied... il y a loin à notre avis. Les exemples que donnent à notre époque moderne les cavaliers de peuples qui ont conservé des exercices de ce genre (courses en plazza - polo...) nous prouvent qu'ils se préoccupent assez peu de ce qui se passe sous eux ! on est loin de la Haute Ecole. Notons aussi que ces « Kitâb et furûsiya » font appel à un vocabulaire, arabisé sans doute, mais nettement persan d'origine.

Le Docteur Perron nous a transmis le témoignage d'un manuscrit non signé, que l'historien Caussin de Perceval a daté du début du XIII, siècle. Il est troublant, car il nous décrit des airs bien ressemblants, sinon identiques, aux airs pratiqués de nos jours. Nous le citons :

« ... La perfection de l'éducation consiste pour le cheval, à lui assouplir et adoucir la tête et le cou, et à lui rendre les rênes faciles et commodes dans les divers modes d'emploi... ».

Plus loin, il décrit certains pas que l'on peut obtenir par le dressage tel le marcher posé et grave :

« Le markab-adna ou allure grave est une allure... dans laquelle la tête est portée haute, l'avant-main est rassemblée (sic), les mains (antérieurs) frappent le sol et les battues des pieds (postérieurs) s'harmonisent en mesure avec celles des mains. C'est le pas royal, l'allure royale - mechy moulouki - allure que recherchaient surtout les rois et les califes ».

Comment ne pas y reconnaître le pas d'école (ou à extension soutenue) de l'Ecuyer en chef de Saumur ?

A partir de cette allure, cet auteur du XIIIe siècle passe au pas relevé. Markab marfou - puis il décrit les allures dites mahrâni au nombre de trois, et dont on peut, dans les deux premières, avec de l'imagination ou du moins de l'indulgence reconnaître des « passages ». Mais la troisième est plus intéressante :

« La troisième Mahrânienne est une haute allure ; c'est la reine des marches... Les Persans l'appellent Zyk... Dans cette allure, le cheval frappe les deux mains (antérieurs) qui promptement se relèvent du côté du poitrail... et il avance l'arrière-train (sic) comme d'un seul pied. C'est ce que les Persans appellent alors le Zenk (4). Il semble que le cheval bondisse et saute en marchant ».

Comment ne pas y reconnaître le Mezair ou demi-courbette ? Comment ne pas être frappé par son origine persane ? Et comment ne pas évoquer à cette lecture, l'allure des chevaux de Phidias ? Cela laisse rêveur sur la complexité des échanges équestres entre les peuples depuis l'Antiquité ! Nous sommes loin des simplifications outrancières des Européens ! Arrêtons-là ces citations bien que plusieurs autres airs décrits par cet auteur inconnu peuvent être identifiés à certains de nos airs d'école.

En 1858, le Général Daumas, ancien directeur des affaires d'Algérie, fit paraître une étude très documentée sur « les chevaux du Sahara et les moeurs du désert », en collaboration avec l'illustre Emir Abd El Kader. Cet ouvrage eut un grand succès, le Comte d'Aure le cite largement. Enquête menée sur le terrain, elle rend compte de l'évolution de l'équitation arabe en pays Maghrebins à l'époque moderne. Daumas y décrit des exercices pratiqués par les cavaliers du désert. On a voulu y voir là encore, les éléments d'une Haute Ecole !

El Lotema « cet exercice consiste à tourner brusquement à droite ou à gauche aussitôt que le cavalier a tiré son coup de fusil ». C'est le renversement - le tourner tête à queue - que d'Aure pratiquait comme nous l'apprend le Général Lhotte. Mais lui, sans doute possible, tournait sur les hanches, le cheval uni... en était-il ainsi pour ces cavaliers maghrébins... nous en doutons, pour avoir vu leurs descendants le faire en 1955.

El feuzzâa : « départ au galop de pied ferme ».

El entrabe : la caracole « le cheval marche pour ainsi dire sur les pieds de derrière ; à peine a-t-il posé les pieds (antérieurs) à terre, qu'il s'élève à nouveau ». Est-ce la troisième allure mahrânienne décrite plus haut ? Dans ce cas, elle se serait bien détériorée !

El guetâa : la ballottade (Daumas) « le cheval s'enlève des quatre pieds ; en même temps, le cavalier jette son fusil en l'air et le reprend adroitement ».

El nechacha : l'excitation « on amène le cheval à monter sur celui de son adversaire pour mordre l'un ou l'autre ».

Ce dernier exercice qui se présente sous l'aspect d'une cabrade, a rempli d'aise ceux qui l'assimilant à la pesade haute (type Saumur) ont toujours prétendu que les airs relevés ou sauts d'école tenaient leur origine du combat de cavaliers corps à corps. Ce qui est sans grand fondement historique, l'exemple ci-dessus étant à peu près le seul que l'on pourrait à la rigueur, verser au dossier de cette thèse. Encore que l'on peut être sceptique sur l'efficacité d'une telle pratique, quand on a l'expérience des combats entre étalons où l'instinct prend nécessairement le dessus. Il ne devait être guère à l'aise, le pauvre cavalier, montant ce cheval et devait avoir hâte que la plaisanterie se termine, ne serait-ce que pour se garder des autres cavaliers. A la limite, cette pratique ne peut être admise que pour des combats singuliers. En tout cas, les maîtres français classiques qui ont le mieux décrit les airs relevés : La Broue et La Guérinière, n'ont jamais fait état d'une telle origine et les ont conçus tout autrement.

L'équitation arabe militaire

Le sujet traité dans le paragraphe précédent ne doit pas occulter l'utilisation du cheval par les conquérants arabes à des fins purement guerrières.

Nous savons par l'Histoire des peuples cavaliers, qui ont dominé le monde connu durant tout le Moyen Age, que les succès de leurs cavaleries étaient fondés sur trois facteurs complémentaires : les chevaux, les hommes, la tactique.

D'abord, leurs chevaux étaient légers, rapides, énergiques, équilibrés, sobres et endurants.

Ensuite, leurs cavaliers pratiquaient une équitation simple, sans complication. Ils vivaient à cheval par tous les temps, sans surcharger leurs montures de lourds paquetages.

Enfin, ils employaient une tactique originale : le raid, la razzia et le harcèlement. Le raid, c'est-à-dire de longues marches d'approche sur les flancs et les arrières de l'ennemi, exécutées par des cavaliers et des chevaux sobres et endurants. Le harcèlement, c'est-à-dire des interventions rapides et répétées sur les troupes adverses (autrement dit : fuites et retours offensifs au galop). Les adversaires devaient être, de préférence, surpris au repos, au bivouac, ou faisant mouvement en colonnes. Tactique possible seulement avec des chevaux légers, rapides, faciles à contrôler et à diriger grâce à leurs qualités d'équilibre et d'impulsion.

Cette équitation de guerre fut celle des Arabes. On ne peut en trouver meilleur exemple que dans cette anecdote qui nous est racontée par Louis Mercier (« la parure des Cavaliers » - Paris 1924 op. cité).

Il s'agit du témoignage du célèbre Yusuf qui, en 1854, portait le titre de : Général Commandant la Cavalerie Indigène de l'Armée d'Afrique. L'anecdote se situe quelques années auparavant, sans doute dans le courant de 1837, d'après nos recherches.

« Alors qu'il était à l'école de Saumur, comme chef d'escadrons, il fut invité à faire un exposé des principes de l'équitation arabe et une démonstration à l'appui, devant le Général Inspecteur (de la Cavalerie).

- « Je me contenterai, dit-il, de la démonstration qui me dispensera de l'exposé. Il suffit qu'on m'amène un cheval vigoureux. »

Lorsque le cheval lui fut amené, sellé et bridé à l'européenne, il se mit en selle, prit du champ, traversa toute la carrière au galop de charge, et, comme, il semblait qu'il allait, avec sa monture, se briser contre le mur, il souleva le cheval dans une cabrade, le fit pirouetter, sur lui-même, et revint du même galop s'arrêter net, devant le Général Inspecteur.

- « Voilà ma démonstration, dit-il !... »

Et, en effet, ajoute Louis Mercier, il venait de résumer toute l'équitation arabe (de combat).

Cet auteur, arabisant distingué, nous apprend que cette tactique tient dans la formule :

« El Kerr ul Ferr » qu'il propose de traduire par : la charge et le repli brusque. C'est bien le harcèlement (ou l'une de ses phases) dont nous avons parlé plus haut.

En fait, cette tactique, pratiquée par les Arabes bédouins depuis le temps du paganisme, a été institutionnalisée par le Prophète de l'Islam, en rapportant ainsi les paroles de « Dieu » lors de la création du cheval. (Hadith transmis par Ali, son gendre et quatrième Calife.)

« ... Je te nomme et te créé Arabe...
... Je te fais capable de voler sans ailes ;
Tu es destiné à la poursuite et à la fuite. ... etc. ».

L'équitation arabe de courses

Mais comment ne pas évoquer le goût des cavaliers arabes pour les courses ? Toute leur histoire en est imprégnée.

On se souvient certainement de l'une des légendes qui ont pour sujet les « cinq juments » qui seraient à l'origine des « cinq lignées » de chevaux arabes. Elle nous apprend que ces « mères » ne purent se départager après « cinq courses » consécutives ! Leurs cavaliers les appelèrent : Saklawiya, Um-Arqub, Chouweima, Koheila, Obeya... c'était dans des temps très anciens.

Par ailleurs, dans le « Naceri » (op. cité), le Docteur Perron nous apprend, à travers de nombreux textes qu'il a traduits, que les courses se pratiquaient régulièrement dans la Capitale du Sultan Mohamed El Nacer. C'était au Caire, au XIVe siècle.

Cependant il nous parait plus intéressant de souligner, une fois encore, le rôle joué par le Prophète de l'Islam pour donner ce goût des courses à ses guerriers afin, n'en doutons pas, de sélectionner les meilleurs de leurs chevaux.

Dans son « Essai sur l'Histoire des Arabes » édité à Paris en 1848 - et plus particulièrement dans le troisième tome qui traite de l'époque de la prédication de Mohamed - l'historien orientaliste Caussin de Perceval nous apprend que le Prophète s'occupait personnellement de la remonte et de l'entraînement de sa Cavalerie en formation. Or, nous lisons dans les pages consacrées à l'An V de l'hégire :

« L'année fut terminée par des courses de chevaux. Ceux qui étaient préparés, mis en haleine, eurent à parcourir l'espace de six milles environ... Les chevaux non préparés franchirent seulement la distance d'un mille... ».

Cela nous pose un problème. Ecrit ainsi, il s'agit du mille marin. Caussin de Perceval ne pouvait l'ignorer. Donc la course pour les chevaux en souffle aurait été de plus de onze kilomètres !

Quand on connaît l'exaltation qui envahit les cavaliers arabes durant une course et leur rage de vaincre, on en reste songeur... Les chevaux qui pratiquaient de telles épreuves ne pouvaient être que de nobles coursiers.

En effet, tenir une telle distance au galop de course relève de la très grande performance. On comprend mieux, dès lors, pourquoi les descendants des meilleurs de ces galopeurs ont engendré la race des chevaux les plus rapides du monde.
Mais ceci sera l'histoire des Darley, Byerley, Godolphin et Eclipse... un millénaire plus tard.

L'héritage équestre des Arabes

Ce long article sur les Arabes et leur équitation est nécessaire.

D'abord parce que leur histoire de peuple cavalier est mal connue à notre époque. Or, sans le cheval, sans l'équitation, auraient-ils jamais pu sortir de leur péninsule et rayonner jusqu'en Orient et en Extrême-Occident ?

Ensuite, et surtout, parce que, en équitation comme en philosophie et pour les autres sciences, ils nous ont transmis l'héritage de l'Antiquité tant Orientale qu'Hellénique, y ajoutant des apports originaux de leur civilisation. C'est cet héritage qui permit à l'Europe de sortir de la longue nuit du Moyen-Age par cette Renaissance Italienne d'abord, qui fut aussi une renaissance de l'art équestre au Nord de la Méditerranée.

Par l'Espagne, ils apportèrent au monde occidental, avec un type de cheval brillant, apte au combat : la monte à la Zénète. Cette monte faite pour le combat de rencontre et ce nouveau cheval espagnol (le genet d'Espagne, autrement dit le Zénète d'Espagne) éliminèrent l'équitation des lourds chevaliers et leurs destriers lymphatiques. Le terrain était ainsi préparé pour une équitation plus élaborée et plus sportive.

Mais bien plus, continuateurs des Arabes, les Espagnols exporteront un style, un cheval, un harnachement et un mors, apparentés à ceux des maghrébins, jusqu'aux Amériques. On peut encore y voir pratiqué cette équitation sous une couleur locale, et après son adaptation à des buts pacifiques, par les vaqueros et les charros ; et il y a peu encore, par le peuple cosmopolite des conquérants de l'ouest américain. Par la Sicile et Naples au confluent de courants multiples (traditions cavalières locales datant des Tyrans - de Grèce - Byzance - du Maghreb - du Mashrek et encore de l'Espagne), ils contribuèrent à créer le climat social et intellectuel d'où jaillit la renaissance équestre de l'Europe. Le premier traité d'équitation et d'hippiatrique écrit en Europe par un Occidental, le fut à la cour du Roi de Sicile : en Sicilien, en Arabe et en Latin, ainsi qu'en Français... langues officielles de cet extraordinaire roi catholique Frédéric Hohenstaufen, surnommé le « Sultan catholique » et qui eut tant d'ennuis, pour son libéralisme, avec la papauté ! Enfin par l'intermédiaire de ce peuple anglo-normand-saxon, d'abord peuple de marins qui devint le peuple le plus cavalier de l'Extrême-Occident européen, les Arabes nous ont légué leur cheval pur, ainsi que leur méthode d'élevage et de sélection. L'impact sur la civilisation européenne fut tel que nous en ressentons encore et peut-être plus que jamais, les effets. Car personne n'a le droit d'ignorer que les courses et par voie de conséquence, l'élevage du cheval de vitesse, nous viennent directement des Arabes.

En 1852, Ephrem Hoüel, futur Inspecteur général des Haras, écrivait au Général Daumas : « Les Arabes, en effet, ont commencé l'instruction hippique du monde. »


NOTES :
1. Le Comte d’Aure écrivait en 1852, alors qu'il était Ecuyer en chef : « ... que nos élèves se pénètrent bien de ces principes généraux du cavalier arabe, principes qui doivent devenir les leurs ».
2. Traité traduit par M. Louis Mercier, traduction éditée en 1924. Par ses références, El Andalusy nous montre que ses travaux s'inscrivent à la suite de ceux des écuyers arabes du VIIIe siècle, et même de ceux des Grecs puisqu'il cite Aristote.
3. Traduit de l’Arabe par le Docteur M. Perron. Paris 1852.
4. N'est-ce pas le tride ? « mouvements prompts, courts et unis, que font les chevaux avec les hanches, en les rabattant promptement sous eux ». La Guérinière.


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