Denis Bogros
(1927-2005)
Essai
d’analyse du discours français sur
l’équitation arabe
(1988)
Résumé : Produit d'une
civilisation avancée, l'équitation arabe a
atteint très tôt (Xe siècle) son
expression originale. Au contraire, au cours de ce
millénaire, l'équitation française ne
cessera d'évoluer. Ses différentes mutations ne
manqueront pas de modifier le discours français sur
l'équitation arabe. Les croisades sont marquées
par un refus de l'échange technique. Le Bas Moyen Age se
caractérise par des influences arabes diffuses, par
l'Espagne et l'Italie. Au XVIIe Pluvinel adopte le mors arabe. Au
XVIIIe, malgré le plaidoyer des stratèges, la
société française refuse la technique
arabe. C'est au XIXe que se réalise le transfert, au plus
grand profit de la Cavalerie française qui devient
performante. Au XXe siècle après une
réaction xénophobe
caractérisée, la cavalerie redevient arabe. Le
dernier cavalier français en campagne sera Spahi donc
« arabe ».
Mon propos a pour
sujet : Essai d'analyse du discours français sur
l'équitation arabe ... sujet ambigu ! C'est pourquoi je
récuse d'avance tout procès d'intentions.
J'enseigne l'équitation française depuis
longtemps. J'ai utilisé l'équitation dite
« Arabe » durant plusieurs années lors
des dernières campagnes au Maghreb. Je n'ai pas de
préférences, parce que - pour ma
génération - il est clair que ces deux
équitations ne se proposent pas les mêmes buts ...
de nos jours ! De quelles équitations s'agitil ? Ce
que les français ont appelé équitation
arabe est celle qu'ils ont rencontrée : en Palestine,
Egypte, Maghreb sans oublier l'Europe orientale. Il conviendrait sans
doute de la nommer : TURQUE, MAMELUKE, MAGHREBINE. En tout cas,
l'équitation de la péninsule arabique est hors de
notre sujet !!! Depuis les Califes Abbassides, l'équitation
dite « arabe » possède ses
caractéristiques essentielles, qui ont peu varié
au cours de ce millénaire. Elle se définit par
rapport à trois composantes : Un « cheval
» vif et équilibré, - une « selle » . (1)(2)(3)(4)(5) donnant au cavalier une aisance
immédiate, et lui permettant de libérer le dos du
cheval au galop, l'allure du Combat. - Une « embouchure
» qui permet la domination du cheval, sans emploi de la
force. Elle est décrite dans le Naceri. Au contraire, depuis
Hugues Capet, l'équitation française a connu de
nombreuses modifications. Définissons d'abord ses deux
premières expressions : Celle de Guillaume le
Conquérant, et celle de Guillaume le Maréchal aux
pauvres chevaliers d'Azincourt. La Tapisserie de Bayeux nous montre les
« milites » du Bâtard, bien assis,
décontractés, à l'aise, sur des
chevaux à sang chaud (comme on l'a écrit (6),
galopant l'encolure libre, et se ramenant aisément. Belle
équitation en vérité !!
L'équitation des « Chevaliers » leurs
successeurs sera bien différente. Elle sera en
régression évidente, et cela dans la mesure
même où : la technique de Combat viendra de plus
en plus contrarier la technique équestre. Le cheval et
l'homme perdront peu à peu les qualités de la
cavalerie du Conquérant. Deux chiffres illustrent cette
affirmation. A Hasting le cheval de Bataille portait 90 kg bien
placés ... à Azincourt ... 160 ... sur les
épaules ! (7)
Ceci dit je vous
emmène maintenant, dans un survol de ce
millénaire, avec quelques escales. - La Palestine d'abord.
Les Croisés n'en auraient rapporté que l'abricot
! (J. Le Goff). Et pourtant les Templiers avaient engagé des
TURCOPOLES, supplétifs cavaliers arabes, montant
à l'arabe et combattant à l'orientale ? Les
« Francs » avaient déjà
rencontré les Mameluks ? Ce
mot entre dans la langue en 1192 - Il est certain aussi que les
Chevaliers avaient allégé leur
équipement et adopté les chevaux du pays (8) ...
? Mais pas l'équitation ! Ce refus de l'échange
des techniques - contrairement aux Espagnols - nous interpelle. - 160
ans après la dernière croisade, Bertrandon de la
Broquière, gentilhomme bourguignon (9) nous donne la
clé de l'énigme. Il écrit :
« Les selles (des arabes) sont habituellement très
riches, mais avec le siège encaissé entre un
pommeau devant et un autre derrière (sic), des
étrivières courtes, des étriers
larges. On y est assis comme dans un fauteuil, profondément
enfoncé, les genoux haut levés, les
étriers ajustés très courts, position
qui ne permet pas d'encaisser le moindre coup de lance sans
être désarçonné ».
Voilà, la raison de l'attitude des français ! Les
yeux sur la métropole, ils ont voulu conserver le mode de
combat de la société féodale. Or, ce
mode induit la technique de l'équitation. En outre il incite
l'élevage à produire un cheval massif et mou. La
calamité des cavaliers durant des siècles. ...
Car, durant des siècles, il n'y eut pas de sang sous la
masse ! ... en France.
Survolant les
XIIIe, XIVe et XVe siècles, nous observons le triste
spectacle de la « cohue féodale »,
montant mal et mal remontée, inefficace contre les
cavaleries orientales ou espagnoles, et les infanteries
européennes (flamande - anglaise - suisse). De Hattin en
Palestine à Pavie en Lombardie, en passant par
Crécy et Azincourt où l'on atteignit le fond de
l'horreur dans le massacre délibéré de
la Noblesse française. Bien sûr, il y eut Bouvines
! mais était-ce une bataille ou un grand tournoi, ordalie
aux règles préétablies ? - L'espoir
d'une transformation de la manière française de
se servir du cheval à la guerre, n'apparaît-il pas
plutôt dans l'épopée de Bertrand du
Guesclin, le Connétable de France ? - Homme d'armes,
champion de tournois, chef des partisans de la forêt de
Paimpont, qui firent des ravages chez l'occupant, Vainqueur de la
bataille classique de Cocherel, son apport personnel dans la
rénovation de la guerre est considérable. Mais il
faut y ajouter son expérience d'Espagne, contre les
cavaliers maures de Pierre le Cruel, avec les
génétaires du Roi de Castille contre les routiers
du Prince Noir. Cette expérience fit de lui un grand
Capitaine. Il libéra le Royaume de France, par des campagnes
où la guerre de partisans fut élevée
au niveau d'une stratégie globale, acceptée par
le Roi : « pays pillé n'est pas conquis
». Il créa des groupes de cavaliers
légers, montés sur des bidets endurants (10), qui
le renseignaient, et qui harcelaient les « routes anglaises
». Il utilisa surtout sa Chevalerie comme une cavalerie,
remontée de « fleurs de roussins » ou de
chevaux « d'Aragon »( 10). Ses raids, sur
Pontvallain, et de Sainte-Sévère à
Poitiers (11), sont restés des modèles de la
guerre de cavalerie. Il chassa les Anglais ! - Mort en 1380, les
français revinrent vite à leurs errements. -
Rencontrant une nouvelle fois les cavaliers orientaux à
Nicopolis (Bulgarie) en 1396, la gendarmerie française aux
ordres du duc de Nevers se fit décimer par les Turcs,
après une charge furieuse ... dans le vide. C'est avec ces
« Hommes d'Armes » (12) que Charles VII formera la
première cavalerie soldée. Elle engendrera la
cavalerie « pesante »
(spécialité européenne et bien
française). Cette « grosse » cavalerie
restera marquée par ses origines jusqu'à sa fin
en 1914. Cependant sous l'influence Turco-orientale, comme l'a
écrit Nolan (op.cit.), la mutation s'imposa enfin. Partis en
Italie avec cette cavalerie « lourde », les
français en reviendront avec une cavalerie «
légère »,
débarrassée des cuirasses et des lances de joute.
Ils ramèneront les « Argoulets »
(d'Argolide) et les « Estradiots » (d'Albanie).
Trois siècles après l'adoption par les Espagnols
de la Cavalerie des « Génétaires
», imitée de la Cavalerie marocaine. Mais ne
serait-ce pas l'influence Maghrebine-espagnole, renforcée du
courant équestre oriental, qui se serait transmise aux
français, dans le Royaume de Naples ? - Ce qui est certain,
c'est qu'en ce lieu, à ce moment-là ...
l'équitation des «
Génétaires » espagnols a
rencontré celles des « Stradiottos »
albanais ! Troublant ! Quelle gestation extraordinaire !! ... car c'est
de Naples que nous viendra, aussi, l'équitation
Académique.
C'est la
Renaissance. La période faste de notre équitation
classique commence. Cette équitation vous la connaissez -
totalement différente de la
précédente. Elle recherche l'équilibre
... sur les hanches ! nous passons d'un extrême à
l'autre. Or cette période s'ouvre par un emprunt
caractérisé à l'équitation
arabe. De quoi s'agit-il ? Du mors arabe à palette et anneau
gourmette ! Tout simplement. Ainsi, toutes les bêtises que
l'on écrira et dira sur cette embouchure, en particulier au
XXe siècle, sont démenties d'avance.
Dessiné par Crispin de Pas sur les directives de Pluvinel,
le document que l'on trouve dans le Maneige Royal et l'Instruction du
Roy (13), présente deux mors : l'un à pas d'asne
et jouets, l'autre à palette, avec les légendes
suivantes : - Le premier « Genette propre pour mener la
tête du cheval qui s'abandonne sur l'appui de la Bride, et
bonne aux haquenées et chevaux de pas, ... etc …
». Le second - "Genette propre pour le cheval qui a la bouche
forte et qui s'abandonne sur l'appui de la main ... etc... ».
Cela se passe de commentaires ! Cependant une question se pose. Les
français ont-ils été conscients de ce
transfert de technique dans le sens, Maghreb arabe, France ? - Je n'ai
pas la réponse. Quoi qu'il en soit, la nouvelle
équitation française évolua vers des
pratiques et une expression qui en firent un ART, sur lequel on a
beaucoup écrit. Mais elle tourna le dos à
l'équitation militaire. La preuve en fut
administrée par l'humiliation de Rossbach (1757).
L'Equitation de la cavalerie française n'était
pas opérationnelle. Depuis Gaspard de Saunier, les
écuyers militaires avaient, en vain,
dénoncé cette dégradation de notre
équitation de guerre.
En cette
moitié du XVIIIe, de nombreux réformateurs se
mettent à l'oeuvre. Citons pour mémoire les
Melfort et D'Auvergne, les Choiseul et Castries. Mais
écoutons le Général Comte de Guibert,
Maître en stratégie, dont l'oeuvre a nourri
Bonaparte. En 1772 dans son « Essai
général de Tactique » (14) il
écrit : « ... Les Maures d'aujourd'hui, les Turcs
actuels tous ces peuples que la nature a fait cavaliers en naissant,
sont assis (autrement) sur leurs chevaux et les manient autrement que
nous ». Ceci est un jugement sur les techniques
équestres et témoigne de la prise de conscience
du clivage entre les cavaleries de l'Est et celles de l'Ouest. Guibert
ajoute « Encore aujourd'hui la cavalerie du Maroc et d'Alger
... galope le haut du corps en avant ... ces peuples n'ont ni votre
assiette, ni vos principes. Tous sont d'accord sur un point dont vous
ne convenez pas, c'est qu'il faut étriver très
court. » Guibert interpelle la caste cavalière de
son temps et lui donne une leçon en citant en exemple
l'équitation arabe du Maghreb - Rapprochons ce texte de
celui de Nolan (15), un anglais qui écrit en 1853 (82 ans
plus tard) « Ils (les français) ont un
préjugé héréditaire en
faveur des étriers longs et d'une position qui ne permettra
jamais de galoper dans un terrain difficile sans accident ».
Ces deux textes, écrits pendant la période
historique où la Cavalerie prit, en Occident, une place
importante dans la guerre et la bataille, montrent les discordances du
discours français sur sa propre équitation.
Malgré les efforts des maîtres et
stratèges ce discours restera toujours ambigu. - Pourtant
Bonaparte avait donné l'exemple. Avec son Etat-Major et ses
Dragons, il adopte, en Egypte, le mors et la selle des Mameluks (16).
Bien plus, il ramène en France un Escadron de Mameluks : La
première unité de Cavalerie pratiquant
l'équitation arabe, inscrite à l'ordre de
bataille de l'armée française.
Cet exemple ne
sera suivi qu'au XIXe siècle. - Siècle qui se
prolonge jusqu'en 1918, - siècle capital en France
pour la Cavalerie, l'équitation et l'élevage du
cheval de selle, le siècle le plus important pour notre
sujet.
Dans une
première période (1830-1870) - Les Cavaliers
militaires choisiront l'équitation et le système
hippique arabe (17). En 1830, les français reprennent
contact avec le monde arabe - c'est l'enthousiasme. Les militaires
trouvent, enfin, le cheval de guerre qui leur fait si cruellement
défaut en Métropole. En même temps ils
apprennent l'équitation arabe ! - Les choses sont faites
sérieusement. En 1831, le spécialiste en
Cavalerie légère, de Brack, sur instruction du
Ministre, étudie un mors arabe typiquement
algérien : le mors annulaire (18). Cette même
année les Chasseurs d'Afrique, remontés de
Barbes, sont créés. Ils sont
équipés de la selle de cavalerie
modèle 1828 (de type oriental / Hongrois) et du mors genette
dit « arabe » (19). Preuves formelles de
l'adhésion à l'équitation
maghrébine : Le mors et le cheval. En 1834 « Les
spahis réguliers d'Alger » forment Corps (20).
Pour cent trente ans, c'est le système arabe dans sa
totalité qui est adopté Cheval - Harnachement -
équitation. Car ce harnachement qui est l'un des meilleurs
pour une cavalerie en campagne, impose la pratique de
l'équitation arabe - Ces choix fondamentaux seront un bon
investissement pour la cavalerie. En effet les régiments
d'Afrique seront désormais les plus performants de tous.
C'est pourquoi ils ne cesseront de faire campagne jusqu'en 1962 : en
Europe, en Amérique, en Asie, en Afrique, au Proche Orient !
Ils donneront à la Cavalerie ses plus grands
succès jusqu'à et y compris la 1ère
guerre mondiale. - En 1851, Daumas fait paraître «
Les chevaux du Sahara », de nos jours connus de tout le
monde. Les lettres (21) qu'il reçoit en 1852 montrent le
caractère général de l'engouement pour
le système hippique arabe : Saumur - Janvier 52 –
« ... cette publication est un véritable service
rendu au progrès de la science hippique ». Le
Général Commandant l'Ecole de Cavalerie de
Goyon,- Paris - Avril 52 –
« ... Les Arabes, en effet, ont commencé
l'instruction hippique du monde ». L'Inspecteur des Haras
Ephrem Houel,- Saumur – Septembre 52 - Lettre de
l'écuyer commandant du Manège de l'Ecole de
Cavalerie - Daure - qui, on le sait, s'est
intéressé toute sa vie à la question
de l'élevage du cheval de selle en France, au moins autant
qu'à l'équitation - Il apprécie en
spécialiste toute la culture arabe sur le cheval et son
éducation : « Votre ouvrage sera
commenté à l'Ecole de Cavalerie. Afin que nos
élèves se pénètrent bien de
ces principes généraux du Cavalier arabe ... la
question chevaline tout entière, depuis si longtemps dans
l'ornière, doit enfin en sortir ».
Voilà un discours totalement pro arabe, ce sera celui des
français durant les vingt années à
venir. Daure terminera sa carrière comme Inspecteur
général des Haras nationaux. - Mais le
témoignage le plus riche est celui de Marey-Monge
(petit-fils du savant), Polytechnicien, premier Chef de Corps des
Spahis, il terminera sa carrière Inspecteur de la Cavalerie
... Durant toute sa vie il a cherché à faire la
synthèse du combat de Cavalerie à l'occidentale
(il a commandé aussi un régiment de Cuirassiers)
avec le combat à l'orientale. Il inventera même un
sabre performant autant pour le coup d'estoc (à
l'occidentale) que pour le coup de taille (à l'orientale)
(22). Nul mieux que lui ne pouvait parler de l'équitation
arabe. Il écrit à Daumas en Avril 52 :
« La Selle arabe est beaucoup plus favorable que la
nôtre pour le combat. Elle fatigue moins au galop, le cheval
et le cavalier qui a le corps penché en avant ».
Il fait remarquer que cette attitude « est usitée
chez tous les peuples et dans toutes les professions qui ont la
réputation de tirer le meilleur parti du cheval : tels sont
les Arabes, les Turcs, les Persans, les Tartares, les Cosaques et
... les Jockeys… »
Il écrit encore : « Le mors arabe est simple,
puissant, solide ... (il est) employé maintenant (1852) par
tous les officiers d'Afrique ». - Nous sommes à
l'apogée de la symbiose entre les deux cultures
équestres. - Mais la réaction se
prépare. - Elle se développera peu à
peu, dans une évolution qui finira par créer dans
la Cavalerie une séparation culturelle, professionnelle et
même sociale. L'historien de la Conquête de
l'Algérie, Charles André Julien a
étudié ce phénomène. Il
écrit « ... avec le temps, le contraste s'accusa.
Il y eut deux cavaleries. Celle de France pour la parade, celle
d'Algérie pour l'Action ». (23)
Dans une
deuxième période (1870-1918) - aussi curieux que
cela puisse paraître, les deux cavaleries vont
préparer la revanche, chacune à sa
façon ! En effet la terrible défaite de
l'armée du Second Empire, et singulièrement de la
Cavalerie Métropolitaine - disparue du champ de bataille de
Sedan, où, « seule » (24) la Division
d'Afrique Margueritte s'illustra - confirme le jugement de l'historien.
Il y aura, désormais, deux cavaleries, ayant deux
façons de concevoir la préparation à
la guerre ! - L'une adoptera le système hippique arabe,
l'équitation arabe, et s'entraînera aux raids
à longues distances, en grandeur nature : par les
tournées de police, et les conquêtes (Tunisie,
Madagascar, Fort Saganne, Maroc). Sa victoire d'USKUB en 1918, qui
entraîna la capitulation de la XIème
armée allemande, autorise à dire qu'elle fut
notre meilleure Cavalerie (25). - L'Autre, refusera tout emprunt au
système de combat oriental « Ne parlons pas des
expéditions coloniales dont nous vivons en ce moment la
dernière : Le Maroc ». Voilà ce que
disait à ses élèves le 10 mars 1913,
le professeur d'histoire militaire de l'Ecole de Saumur (26) ! Ainsi
cette Cavalerie s'enfermera dans des idées conservatrices,
soutenues par une formulation archaïque de l'histoire :
« charge - choc - rupture - lance – Chevalerie
» (27), et, encouragées par les influences
marchandes et protectionnistes de « l'industrie
chevaline ». Cette cavalerie ne résoudra aucun de
ses problèmes. Elle cherchera en vain son cheval de guerre
(28), son équitation (29) et même son mode de
combat (30). Tout cela se terminera dans la faillite (26) des deux
Corps de Cavalerie, six divisions de cuirassiers et «
Lanciers », au cours des six premières semaines de
la grande guerre, de Belgique et Lorraine à la Marne !
Après
la guerre, la cavalerie sera considérablement
réduite en Métropole. La Cavalerie d'Afrique - au
contraire - sera augmentée. Elle prendra une place de plus
en plus importante ; en 1939 avec 18 Régiments, elle sera la
moitié de la Cavalerie française. Mais cet
état de choses aura un effet pervers : l'affectation dans
cette cavalerie de nombreux cadres métropolitains ignorant
totalement la culture arabe. Et c'est pourquoi se produira alors la
réaction la plus xénophobe dans le discours
français sur l'équitation arabe.
En 1919, le
général Descoins (31) dans un rapport au
Ministre, dénonce la détérioration
grave de l'équitation dans les Régiments de
Spahis. En effet des cadres ignorants, ou ayant des
prétentions en équitation dite «
savante », transfèrent dans ces
régiments « arabes »
l'équitation du Nord de la
Méditerranée. Ils font mettre les
porte-étrivières en avant de la sangle ! -
allonger les étriers ! - pratiquer le trot à
l'anglaise ! remplacer la bride arabe (al Ljam) par le bridon ! -
pratiquer la conduite à deux mains !!! ... C'est la
négation de l'équitation arabe et de
l'équitation de guerre. Pour arrêter ce
déviationnisme culturel et professionnel, le Ministre
approuve en 1920 : « Le Manuel à l'usage des
Gradés des Régiments de spahis ». Il
sera réglementaire jusqu'en 1962, fin de la Cavalerie
française. Mais on ne change pas les mentalités
par un règlement. D'autant qu'à cette
époque un mouvement colonialiste est entretenu en France par
des « intellectuels », tel Albert Sarraut - et des
« institutions », telle la Ligue maritime et
coloniale. On peut compter parmi ces « penseurs »
Louis Mercier, consul à Casablanca. Arabisant
distingué, il publie « La parure des cavaliers
» (32). Mais il ne semble pas avoir quitté son
consulat. Il ne connaît pas le Maghreb profond. De sorte que
si sa traduction du manuscrit d'Ibn Hodeil et Andalusi (XIVe
siècle) est bonne, par contre ses commentaires sont
discutables. Il confond équitation de la
péninsule arabique, et celle que les français
appellent arabe : La Turco-Maghrebine. Au passage, il
dénigre le Docteur Perron, le traducteur du Naceri
(début XIVe), qui de 1852 à 1860 a
contribué au rapprochement des cultures (33). Dans ce
contexte, s'appuyant sur ces travaux suspects, des propos de popotes,
et l'observation d'une équitation arabe de casernes, le
Lieutenant Licart (autorisé par sa hiérarchie !
car c'était la règle à
l'époque) publie « Le Cheval Barbe et son
redressage » (34). La deuxième partie de cet
ouvrage de jeunesse est un véritable pamphlet. Il attaque
avec violence l'équitation arabe des Régiments de
Spahis et le règlement de 1920. Il reconnaît
cependant la qualité de l'équitation arabe de
tribu, mais conclue à l'adoption de l'équitation
française. C'est le discours idéologique colonial
de l'assimilation. Quant au procédé
employé, pour développer ce discours, il
apparaît, en comparant les photos de cet ouvrage,
à celles du livre du Général Descoins.
L'auteur a fait un véritable « montage »
pour désinformer le lecteur. Or, il exprimait les
idées des Cavaliers français de ce temps
là ! Nous en avons la preuve, apportée par le
Colonel Dugué Mac Carthy, dans son beau livre (op. cit) :
« La Cavalerie française et son harnachement
» (1984 - page 465). De sa main, il a
représenté un cheval de spahi des
années 35-39, prêt à partir en
campagne. Nous observons qu'il est embouché du «
bridon d'abreuvoir », et que,
l'étrivière tombe en avant de la sangle !!! - Le
discours français des années trente est donc
anti-équitation Arabe.
Mais ce discours
se poursuivra après la seconde guerre mondiale, avec la
reconstitution de trois Régiments de Spahis à
cheval, lors de la dernière campagne au Maghreb. En juillet
1960, prenant le commandement du 2ème escadron du 23e
Régiment de Spahis, à Bu alam dans le Djebel
Amour, mon premier acte fut de remettre tous les chevaux de
Sous-Officiers, Brigadiers et Spahis en MORS-ARABE. Les
appelés du contingent, en majorité
français de Métropole, sans idées
reçues, s'adaptèrent tout de suite à
cette bonne embouchure. Au printemps 61, avec mon escadron,
renforcé de ma Harka à cheval, je fis un
raid-coup de main sur le petit Oasis d'El Maïa. Au cours de ce
raid de trois nuits, mon attention fut attirée par un spahi
qui, de tout évidence, se posait des questions. Son
lieutenant me rendit compte, qu'étant donné notre
sous-effectif, il avait dû l'emmener... bien que... il ne fut
arrivé à l'escadron, par la liaison bimensuelle,
que le jour du départ en raid ! Ainsi, ce garçon,
breveté tireur sur char, au canon de 90 mm, en Allemagne,
n'étant jamais monté à cheval, se
retrouvait Spahi, et dès le premier jour en
opération, par les hasards des renforts. Au retour, je le
pris avec moi, et durant quelques heures je lui enseignai
l'équitation arabe. - En quelques semaines le Spahi Le
Gallic devint « fiable ». Trois mois
après il était « performant »
et je le nommai Brigadier. Ce fut l'un de mes meilleurs chefs de
Patrouilles. Je le revois encore rentrant de mission, à la
tête de son escouade en fourrageurs, au galop dans la steppe
d'alfa. En équilibre sur ses étriers,
rênes longues, encolure du cheval allongée, il est
très à l'aise... Puis passant au pas en douceur,
il rentre au bivouac... ayant mis son escouade en colonne.
Il n'y a que le
système équestre arabe – «
selle - mors - équitation – cheval » qui
permette de faire un cavalier opérationnel au combat en si
peu de temps.
NOTES : 1. DIGARD - De la
voûte céleste au terroir - éditions
EHESS- Paris 1987, Page 614.
2. LEFEVRE des NOETTES - Le cheval de selle à travers les âges - T 2 - Paris 1931, Fig. 291. 3. GIANOLI - Le cheval et l'homme - Denoël - 1968, planche 51. 4. LEFEVRE des NOETTES. Op. cit. Fig. 294. 5. GIANOLI - Op. cit. planche 53. 6. CHAMPION - Les chevaux et les cavaliers de la Tapisserie de Bayeux - Caen, 1907. 7. DUGUE MAC CARTHY - La cavalerie française et son harnachement - Paris 1984, p. 78. Note : cuirasse, lance, chevaux massifs, charges à « tombeau ouvert » idées qui marqueront l'esprit cavalier français jusqu'à la première guerre mondiale. (D. B.) 8. WIESENTHAL - Le Livre de la mémoire juive - Laffont 1986, p. 175. 9. DUGUE MAC CARTHY - op. cit. page 67. 10. Idem - op. cit. page 87 - En vieux français "Aragon" est synonyme d' "Arabi". 11. FROISSART - Chroniques XIVe siècle / Henri Pourrat. Batailles en Auvergne - Albin Michel 1952 - Chapitre X - Ste Sévère Poitiers 120 Km/24h ! 12. Homme d'armes - gens d'armes, mots employés par FROISSART et JEANNE d'ARC, etc… 13. PLUVINEL (de) - Le Maneige Royal - Leipzig - Fribourg 1626 - Fig. 59 et 60. L'instruction du Roy - édition 1625 Paris- Fac similé B. LAVILLE 1986. 14. GUIBERT (de) - Essai général de Tactique - Liège - 1772. 15. NOLAN - Histoire et Tactique de la Cavalerie - Paris 1854.- p. 40. 16. DUGUE MAC CARTHY - Op. cit. page 452 passim. 17. Il s'agit bien sûr des Cavaliers Militaires - Quant aux cavaliers civils de Daure à Lebon en passant par Baucher et Fillis, ils rechercheront une équitation rénovée (!) mais toujours en référence à l'Armée. 18. BRACK (de). Instruction pour l'emploi du mors annulaire. Dôle, 1831. 19. DUGUE MAC CARTHY - Op. cit. page 459 passim - Ignorance des français ! aucun n'a reconnu le mors genette de Pluvinel. 20. SPAHIS - mot turc - Org. définitive par Ordonnance 20.1.1842, ayant conservé l'habit et le harnachement arabe, mais francisés à plus de 50 %,les 5ème, 9ème, 23ème, Régiments de Spahis, ainsi que l'escadron de Senlis, furent les derniers Corps de Cavalerie de l'Armée française. Dissous en 1962. 21. DAUMAS - Les chevaux du Sahara - 4 éd. Paris 1858, p. 9-10-19-20-23-82. 22. MAREY-MONGE - Mémoire sur les armes blanches – Strasbourg, 1841. 23. CHARLES-ANDRÉ-JULIEN - Histoire de l'Algérie contemporaine - T. I La Conquête et les débuts de la Colonisation (1827 - 1871) – Paris, 1979. 24. FAVEROT de KERBRECH (de) - Mes souvenirs. La guerre contre l'Allemagne, 1870-1871 - Paris, Plon - 1905. 25. JOUINOT - GAMBETTA - USKUB ou du Rôle de la Cavalerie d'Afrique dans la victoire - Paris, 1920. 26. CHAMBE - Adieu Cavalerie.- Paris, 1979. page 204 27. DUGUE MAC CARTHY - op. cit. p. 422 « La lance réapparaît ! » 28. 1898 - Création de la Société d'encouragement à l'Élevage du cheval de guerre français. 29. Voir dans M. de la Lance - Paris 1915. LE BON-BENOIST - BEAUCHESNE - B.BELAIR. 30. DESBRIERES - Tactique de Combat de la Cavalerie - Berger Levrault - 1911. 31. DESCOINS - L'Équitation arabe - ses principes, sa pratique - Paris, 1924. 32. MERCIER - La Parure des Cavaliers - Paris, Geuthner - 1924. 33. ABU-BEKR - Kamal es Sanaateïn – dit Le Naceri - traduit par PERRON.- Paris, 1852 – pages 59-60. 34. LICART - Le Cheval Barbe et son redressage - Paris, 1930 - un siècle après l'expédition d'Alger. Note : Ironie de l'Histoire - Licart, devenu Ecuyer - Professeur réputé, ayant publié un ouvrage excellent : « L'Équitation raisonnée », sera le vulgarisateur de la « monte Danloux », imitée de la monte arabe : étriers raccourcis, corps penché en avant !!! (D.B.) |