Marquis de Boufflers
Stanislas
(1738-1815)

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Vers
De la part d'une dame qui envoyait
des cheveux blancs à un de ses amis

Les voilà ces cheveux que le temps a blanchi ;
D'une longue union ils sont aussi le gage.
Je ne regrette rien de ce que m'ôta l'âge,
         Il m'a laissé de vrais amis.
On m'aime presque autant, j'ose aimer davantage.
L'astre de l'amitié luit dans l'hiver des ans :
Elle est le fruit du goût, de l'estime du temps ;
On ne s'y méprend plus, on cède à son empire,
         Et l'on joint, sous les cheveux blancs,
Au charme de s'aimer le droit de se le dire
 
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Madrigal

     Le premier jour que je la vis,
J'aperçus sa beauté, mais je n'aperçus qu'elle ;
     Et le jour que je l'entendis,
     Je la trouvai bien plus que belle.
J'admirai son esprit, je louai ses attraits,
Sans penser que mon âme en serait enflammée ;
Si j'avais su d'abord combien je l'aimerais,
     Je ne l'aurais jamais aimée.
 
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Logogriphe

Quoique muet, je parle, et qui me voit m'entend ;
Je trompe quelquefois, mais je trompe gaîment :
       Aux amants je sers d'interprète ;
Je suis une monnaie assez en cours chez eux ;
La prude en est avare, au lieu que la coquette
En fait des charités à plus d'un malheureux.
Ce fut peut-être à moi que Vénus dut la pomme ;
Mais, lecteur, en détail si tu veux me saisir,
Ma première partie est une faible somme,
       Et ma seconde un grand plaisir.
 
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Question
proposée dans un jeu de société
Lequel rend plus heureux, de l'esprit ou du coeur ?

Ne demandez vous pas qui des deux au bonheur
Mène plus surement de l'esprit ou du coeur ?
        En qualité de bon apôtre,
        Je réponds : Ni l'un ni l'autre.
Dans ce chemin glissant, qu'à tout heure, avec soin,
Pour nous faire tomber, sous nos pas le temps fauche,
C'est la seule raison dont nous avons besoin ;
        Car l'esprit mènerait trop loin,
        Et le coeur mènerait à gauche.
 
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Vers à une dame

Tu disais que l'amour même
Ne pourrait m'ôter ton coeur :
Tu trouvais le bien supême
Dans l'excès de mon ardeur ;
Tu me peignais la tendresse :
Hélas ! c'est moi qui la sens ;
Tu jurais d'aimer sans cesse,
Et je tiens tous les sermens.
 
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A une dame
Qui lui avait demandé tous les cachets des lettres qu'il
recevait, pour en faire des bâtons de cire à cacheter

Chacun est épris de vos charmes,
De vos talens, de votre esprit ;
Moi-même je vous rends les armes...
De tous les gens qui m'ont écris.
 
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Impromptu à madame de L***
Qui demandait deux vers à l'auteur

  Deux vers sont trop pour dire que l'on aime,
         Un mot peut le dire de même ;
Mais cent chiffres jamais ne peuvent exprimer
Le nombre de raisons qu'on a pour vous aimer.
 
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Le boudoir
Air du vaudeville de la Rosière

Thémire un jour dans son boudoir
Avec un disciple d'Apelle
S'explique ainsi sur son vouloir :
Mon cher artiste, lui dit-elle,
Rendez-moi ce séjour charmant ;
Mais ne m'y faites point d'enfant.
 
Votre désir devient ma loi,
Lui répond poliment l'artiste ;
Mais que va-t-on dire de moi ?
Ah ! rien que d'y songer m'attriste :
L'on doutera de mon talent
Si je ne vous fais pas d'enfant
 
A quoi servent donc les boudoirs,
Si d'amour il n'est point de traces ?
C'est changer en sombres manoirs
Des temples parés pour les grâces :
Un boudoir fut dans tous les temps
Bien propre à faire des enfans.
 
N'insistez pas pour vos pinceaux,
Artiste qui voulez séduire ;
Vous aurez toujours pour rivaux
La taille et les yeux de Thémire :
Il lui suffira de vouloir,
L'amour naîtra dans son boudoir
 
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Chanson
Air : A quoi s'occupe Madelon ?

Tu m'aimas pendant un instant,
Je t'aimai toute ma vie ;
Et le prix d'un amour constant,
Fut un amour d'un instant.
 
Pourrais-je cesser un instant
De t'adorer, ma Silvie,
Quand le prix d'un amour constant
Serait l'amour d'un instant ?
 
Je feignis de ne plus t'aimer,
Je ne pouvais que le feindre :
Et pourrait-on cesser d'aimer
Qui ne cesse de charmer ?
 

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