Noël Clément-Janin
(1862-19..)

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Deux préfaces au catalogue général de l'œuvre d'Édouard Pelletan

(1913)


PRÉFACE

31 Mai 1913.

Une date, — mais non plus une date fortunée commencera cette seconde préface, comme une date heureuse avait commencé la première.

Le 31 mai 1912, Édouard Pelletan s'éteignait, guère plus d'un an après une grave opération, envisagée avec courage. Il s'en allait, à la suite d'un long dépérissement qui lui enlevait chaque jour un peu de ses forces physiques, mais ne parvenait point à abattre un moral d'une exceptionnelle énergie. Ce n'est pas en vain que l'homme cultive sa volonté ; quand l'heure des épreuves est venue, elle le grandit jusqu'au héros.

Est-ce ici le lieu de raconter, même brièvement, ce que fut cette année 1911, ce que furent ces cinq mois de l'année 1912 ? En, vérité, je ne le sais. Et pourtant le magnifique exemple de supériorité de l'intelligence sur l'instinct que donna ce positiviste, qui ne croyait à aucune autre survie qu'en celle de ses œuvres, et qui n'eut jamais un moment de défaillance morale, est de ceux qu'il ne faut point celer. Car ces exemples donnent des conseils de stoïcisme, toujours salutaires, et, sans être rares, ils ne sont cependant pas communs. On peut penser qu'ils seraient infiniment plus rares, si un voile trompeur ne venait séparer, au dernier moment, l'homme de l'avenir immédiat qui va le prendre, et lui cacher son destin. Les artistes du moyen-âge représentaient la Mort sous la figure d'un squelette qui ricane et grimace. C'était une vue matérielle, qui n'avait exigé ni beaucoup d'imagination, ni beaucoup de philosophie ; ce n'était point celle de Pelletan. Pour ceux qui jouèrent, dans le monde, leur rôle avec supériorité, la mort n'est qu'un inci­dent dans une existence indéfinie.  Le corps disparaît, l'esprit reste :

Trois mille ans ont passé sur les cendres d'Homère
Et, depuis trois mille ans, Homère respecté
Est jeune encore de gloire et d'immortalité.

Cette idée soutenait Pelletan. Il avait en son œuvre une foi robuste. Il savait tout ce qu'il y avait mis de science, d'intelligence, de sacrifices, d'aspira­tion anxieuse vers le beau. Non pas qu'il se comparât aux génies que Baudelaire, en un poème éclatant et vague, appelait des phares ; mais il disait, à bon droit, que dans sa petite sphère « d'architecte de livres », il avait marqué sa place et rendu à l'édi­tion française un appréciable service. Et c'était la vérité même. Et c'était aussi la conviction de ceux qui le connaissaient le mieux. Ils le tenaient pour un esprit de haute valeur, précieux à son temps.

Aussi, quand il fallut se prononcer sur le risque d'une opération, M. le docteur Jayle, praticien éminent, naturellement incliné à une prudence que son amitié pour le malade rendait plus inquiète encore, s'empressa-t-il de réunir une sorte de conseil de famille. Ce conseil était composé de la plupart de ceux dont on retrouve, non sans mélancolie, les noms sur la dédicace, pleine d'affection et d'espoir, du dernier livre de Pelletan : Les Travaux et les Jours et La Terre et l'Homme. C'étaient : MM. Anatole France, Louis Barthou, Adolphe Bordes, les docteurs Hillemand, Gagey, et le signa­taire de ces lignes. M. le docteur Jayle, après un exposé des avantages et des dangers de l'opération, conclut à sa remise, jusqu'au moment où elle devien­drait inéluctable :

— Un homme de la valeur de notre ami, dit-il, ne doit pas être exposé à la légère. Qui remplacera un Pelletan, lorsqu'il aura disparu ?

L'on crut bien, en ce février 1911, que les craintes avaient été vaines. Le malade, par une de ces bizarreries fréquentes de la nature qui contre­disent les plus judicieux pronostics, reprenait force et vie, alors que, sourdement, le mal évoluait. Il put se rendre à Bormes (Var) dans l'intention de s'y reposer, mais le changement de climat et de régime ne lui fut pas favorable. Il revint précipitamment à Paris et, le 10 mai suivant, ses intentions couchées dans un testament auquel l'instant d'avant il tra­vaillait encore, il se livrait aux mains de M. le docteur Montprofit qui pratiquait, avec une habileté incomparable, l'opération redoutée.

Elle donna à Pelletan une année de répit. Elle fut bienfaisante, puisqu'elle lui permit d'achever cette Rôtisserie de la Reine Pédauque, qu'il considérait comme le couronnement de son effort.

— Ah ! disait-il quelques mois auparavant, en sentant ses forces décliner, je ne finirai pas la Rôtisserie !

Il put la finir et ce fût pour lui une grande joie. Il m'en parlait sans cesse, à Galluis, où il passait, tous ses étés, Galluis, près de Montfort-l'Amaury, dans cette région de l'Yveline aux horizons pitto­resques dont la douceur apaise, proche de la forêt de Rambouillet semée d'étangs où se mirent les grands arbres. Il aimait à se promener dans cette forêt en. pensant à ses livres. La Rôtisserie lui dut plusieurs de ses inspirations. Que n'en pût-il feuilleter le pre­mier exemplaire, sous le vieux poirier de sont jardin, à l'ombre légère duquel il avait coutume, en la belle saison, de donner audience à ses pensées et à ses amis.

Pelletan, rentré à Paris sur la fin de l'automne, ne tarda pas à regagner la maison où déjà, par deux fois, il avait recouvré la santé. C'est là, sur le lit qu'il ne devait plus quitter vivant, qu'il vit enfin paraître le plus synthétique et le plus typogra­phiquement original de ses volumes.

Comme son activité inlassable ne connaissait pas l'arrêt, la Rôtisserie parue, il s'occupa de l'Hésiode et l'avança à un point tel que M. René Helleu, son gendre, le put terminer, dans l'esprit où il avait été conçu, mais non sans une contribution personnelle importante.

Il songeait aussi à d'autres livres ; il imaginait des éditions d'Anatole France, soit maître préféré, il avait même fait le plan et amorcé les Opinions de Jérôme Coignard. Il projetait une série de chefs-d'œuvre typographiques, dont son gendre devait com­mencer là réalisation.

— Vous verrez, me disait-il, tout est combiné, arrangé ! Vous qui me reprochez amicalement de ne pas tenir assez compte, dans mes entreprises d'édi­teur, des considérations pécuniaires, comme elles seront à leur place et comme, pour une fois, je ferai une bonne affaire tout en faisant une belle chose

Nous écoutions, nous, ses amis présents, et nous approuvions, pour ne pas lui ôter son illusion. Par­fois, nous nous bercions nous-mêmes de ce mirage. Tant de fois son tempérament avait repris le dessus !

— « On sait bien que vous n'êtes pas commode, — lui disions-nous, — et vous ne l'êtes même pas avec la maladie ! »

Il souriait, mais c'était un sourire de doute. Peu à peu, il cessa de croire à sa guérison. Une faiblesse croissante l'envahit. Il employait ses dernières forces à parfaire Hésiode. Il aurait voulu voir encore ce dernier fils de son génie créateur. Mais le but était trop lointain et sur son soir, depuis longtemps étoilé, il sentait descendre la grande nuit.

Elle tomba...

Et maintenant, que reste-t-il de celui qu'à l'étranger l'on appelait « le grand éditeur français ? » Il reste la leçon que, dans un autre domaine, plus retentissant et plus vaste, Ingres donna par son exemple.

Cette leçon est que rien ne se fait de durable sans le don, la connaissance, la méditation et le temps. A la base de toute oeuvre d'art il faut, à côté de l'inspiration, placer la logique. Le Parnasse voisine avec Port-Royal. Un livre est une construction dont la destination est de mettre en évidence, et par tous ses éléments, la pensée de l'auteur. Si le texte ne régne pas en maître dans le livre, quels que soient les agréments qui par ailleurs le parent, le livre est manqué.

Ce fut là l'originale leçon de Pelletan, digne des humanistes du XVIe siècle, ses prédécesseurs. Elle sera féconde pour qui saura la comprendre. Mais il faut avoir grand soin de ne point ménager son effort, de dresser sa volonté à vaincre la lassitude, le découragement, à négliger parfois le bénéfice matériel et immédiat pour le bénéfice moral et futur, — disons même incertain. Car on n'est jamais sûr d'avoir rencontré le beau, — et c'est ce qui fait la noblesse de l'artiste qui le poursuit.

Cette leçon de volonté ne s'adresse pas seulement à ceux qui font des livres, elle s'adresse encore à tous ceux qui, quelle que soit leur position, intellectuelle ou manouvrière, veulent se placer au-dessus du commun, n'être point englobés dans l'immense troupeau des imitateurs ou des inertes.

Leçon utile et nécessaire, aujourd'hui comme hier, demain comme aujourd'hui. A celui qui la donne, la nation tout entière doit être reconnaissante. Il est, par ses actes, un professeur d'énergie, et par ses œuvres un précepteur de beauté. Pelletan a rempli ces deux fonctions.

CLÉMENT-JANIN.

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* *

PRÉFACE
DE LA
PREMIÈRE ÉDITION

1er Juin 1908.

Le 1er février 1896 s'ouvrait, au n° 125 du bou­levard Saint-Germain, dans le local occupé naguère par la Revue Illustrée, une maison d'éditions d'art sous le nom, jusqu'alors inconnu en bibliophilie, d'Édouard Pelletan.

Une première exposition attira quelques amateurs et quelques curieux. Tout de suite, ils se sentirent chez un fervent de la grande littérature. On voyait un buste d'Homère, — celui du British Museum, — sur une cheminée monumentale que décoraient les plus belles métopes du Parthénon. Cette cheminée avait été dessinée par Pelletan lui-même. De chaque côté, les médaillons de Goëthe et de Condorcet, — plus tard, ceux encore de Corneille et de Molière, — puis, surmontant les deux vitrines, les effigies de Virgile et de Balzac. Ailleurs, le portrait d'Aug. Comte. Dicté par une sympathie érudite qui aurait voulu pouvoir s'étendre davantage, ce choix de quelques-uns des « pères de la pensée » révélait l'aspiration naturelle de l'esprit vers les plus hauts sommets de l'Idée et de l'Art universels.

Contre les murs, des passe-partout de bristol sertissaient des pages imprimées, des gravures, des dessins. Il y en avait autour de la vaste pièce ; il y en avait sur le plan incliné de l'armoire posée à hauteur d'appui ; il y en avait dans les « montres », d'où l'olympien « Mistenflûte », angora majestueux et sévère, montait la garde, tout en regardant de son oeil dédaigneux le spectacle sans ordre de la rue.

Quel était donc cet audacieux qui mettait ainsi en ligne, et du premier coup, quatre volumes : Les Nuits, de Musset ; Les Ballades, de Villon ; Les Petits Contes à ma Sœur, d'Hégésippe Moreau ; L'Oaristys, de Théo­crite, tous volumes parus ou prêts à paraître (1), et qui annonçait, en outre, Le Barbier de Séville, Les Aventures du Dernier Abencérage, Grandeur et Servitude Militaires, d'autres volumes encore et même des volumes qui, après douze ans, n'ont pas encore vu le jour, qui ne le verront peut-être jamais ? Car il en est des meilleurs programmes bibliophiliques comme du fameux programme républicain de 1867 - ils expriment d'ardents désirs que le temps, l'occasion, l'herbe tendre et tentante des nouvelles idées, ne permettent pas toujours de réaliser.

Cet audacieux, au coup de timbre de la porte, apparaissait. De taille moyenne, mince, une abondante chevelure noire frisée, une forte moustache, un œil brillant, volontaire, prêt à la bataille, enfoncé sous un épais sourcil, — il avait le verbe net, et l'abord peu engageant (2).

Certains, rien qu'à le voir, avaient envie de se sauver et c'est ce qu'ils avaient de mieux à faire, si leur intention était de proposer au jeune éditeur quelqu'une de ces combinaisons avantageuses au point de vue commercial, mais qui, au point de vue moral, sont les plus désastreuses de toutes, car elles donnent prise sur la volonté, l'enchaînent et finale­ment la paralysent.

Ceux qui restaient et qui se laissaient entraîner dans la galerie, dans « l'antre », ne tardaient pas à être subjugués par une parole abondante, experte, hardie. Le nouveau venu était bien, en effet, un audacieux et plus encore qu'il ne le paraissait à première vue.

Comment donc envisageait-il le livre ? Il l'envisageait comme on l'envisageait à l'époque de la Renaissance, en lettré. Dans un temps où l'on ne pensait qu'à l'image, lui ne pensait qu'au texte. Ne pensant qu'au texte, il ne pensait qu'à la typographie qui le manifeste.

Et il parlait typographie à ses auditeurs surpris, bousculés et contents. Car ce diable d'homme est, comme on l'a dit à sa louange involontaire, « un sale caractère ». Il est tout plein de son sujet ; il admet la controverse, mais il déteste les petites dérobades en dessous. Il faut que l'on joue franc jeu avec lui, que l'on soit de ses amis bibliophiliques ou de ses adversaires. Et souvent son coup de boutoir a fait crever la mince enveloppe de mauvaises habitudes, où s'enfermait une sympathie naissante pour les audaces livresques. Alors, on partait conquis et converti, col­portant autour de soi la nouvelle parole.

C'était bien, en effet, un évangile nouveau. Per­sonne, avant lui, n'avait eu la pensée d'adapter le caractère d'une fonte au caractère d'un texte, de vou­loir que la forme extérieure d'une lettre décelât la signification intime d'un ouvrage. On avait bien cherché avant lui la beauté de la typographie ; on n'en avait pas cherché la signification. Nul, avant lui, n'avait encore reconnu que la typographie, avec l'innombrable variété de ses « sortes », pouvait dire d'emblée, au pre­mier regard jeté sur la page, si le texte était léger ou grave, ancien ou moderne, aimable ou sévère, etc., et, plus encore, fortifier le lecteur dans le sentiment qu'il ressentait de sa lecture. A côté de l'harmonie au premier degré, obtenue par les belles propor­tions des éléments qui constituent la page, il montra qu'il existait une harmonie au second degré, obtenue par l'appropriation de la forme typographique à la pensée de l'écrivain. Une telle conception ne pou­vait évidemment venir que d'un ami des lettres, choqué de ce que leur typographie présentait d'indiffé­rence, d'apathie, d'inintelligente impassibilité (3).

Cette mise en œuvre de la typographie équivaut à une véritable invention. Elle permet de donner au livre une façade éloquente, de « blasonner » un texte à la manière des héraldistes qui interprètent, par des directions de hachures, des pointillés ou des blancs, les couleurs d'un écu.

Mais entendons bien qu'il n'y a pas un caractère pour rendre la poésie héroïque, un caractère pour traduire la poésie galante, et un caractère pour expri­nier la poésie philosophique. Ce serait alors une convention et cela cesserait d'être un art. Non ! A chaque ouvrage correspond un choix de caractères déterminé (car il peut y en avoir plusieurs se ren­forçant les uns les autres, comme dans Les Ballades de Villon où la gothique allemande du titre courant, des faux-titres et des initiales des strophes, renforce le romain ancien du texte), et c'est ce qui constitue la « personnalité » du livre, qu'il ne faut pas confondre avec la « manière » de l'éditeur.

Toutefois, ces préoccupations typographiques, si vives qu'elles fussent, ne faisaient pas perdre de vue à Pelletan qu'il y avait quelque chose d'intéressant à faire dans l'illustration et dans la gravure : il fallait revenir au dessin d'illustrateur et à la gravure sur bois.

On était, en cette année 1896, — et depuis quelque temps déjà, — dans une période fâcheuse de déca­dence. Le livre semblait ne plus valoir que par son illustration, et celle-ci était gravée par toutes sortes de procédés et même par la simili-gravure. L'eau-forte était alors en faveur, non pas l'eau-forte d'il­lustrateur, telle que le XVIIIe siècle l'avait conçue avec ses franches réserves de blanc, mais l'eau-forte de peintre, avec ses teintes, ses retroussis et ses essuyages, telle que le XIXe siècle l'avait rénovée dans les estampes. La dépendance nécessaire et réciproque des divers éléments du livre n'existait plus.

A vrai dire, en cet ordre d'idées, des graveurs et des bibliophiles avaient déjà senti le mal et tenté de réagir. En 1890, la Société du Livre Illustré, composée de graveurs sur bois et d'illustrateurs, avait publié Le Journal, avec des illustrations de Gérardin, de Lepère, etc., etc. Deux ans après, ce même Lepère, artiste original et primesautier, de goût très sen­sible et très sûr, illustrait pour le compte de M. Béraldi les Paysages Parisiens. En 1895, Pelletan pré­parait Les Nuits, les Petits Contes et Les Ballades, en même temps que Lepère donnait l'illustration de Paris au Hasard. Puis, arrivait l'Exposition du Livre, chez Bing, en 1896, qui révélait aux yeux les moins exercés, le triste état de l'édition française contem­poraine.

Était-ce les éléments du livre qui faisaient défaut ? Non, mais l'esprit qui les discipline et les ordonne. Il fallait un éditeur capable de se faire guillotiner pour la logique, comme Ingres voulait que le peintre se fit guillotiner pour les plans. Les éditeurs, eux non plus, ne manquaient pas, mais, partant de ce principe erroné, formulé par M. Béraldi, qu' « un livre est un musée de dessins », ils reléguaient la typogra­phie au rang d'accessoire, s'acharnaient après une illustration qui, en noir ou en couleurs, fût à la res­semblance parfaite (jusqu'aux coups de pinceau) d'une gouache ou d'une aquarelle. Ils tombaient du dérisoire dans l'anarchique et ne parvenaient pas à sortir, — à quelques exceptions près, — d'un lamen­table enlisement.

Pelletan débrouilla ce chaos. Il rétablit le classement rigoureux des éléments du livre, les subordonna tous au texte, faisant prédominer nettement la typographie sur l'illustration. « Un livre n'est pas un album », pourrait-on dire, en opposition avec la formule de M. Béraldi.

Mais l'analyse d'un texte n'est pas si aisée qu'elle le paraît à première vue. Il faut avoir l'esprit critique ; il faut ne pas se laisser entraîner par l'apparence, ni prendre pour un caractère essentiel ce qui n'est qu'une modalité de circonstance. Un exemple :

Lorsque la Société des Amis des Livres publia Le Procurateur de Judée, d'Anatole France, elle ne vit là qu'une nouvelle, par conséquent une œuvrette cu­rieuse, singulière, attachante, mais qui n'avait pas le poids d'un roman de trois cents pages. Elle propor­tionna le livre à l'idée qu'elle s'était faite de son texte, jugé de l'extérieur, et donna un petit volume coquet, pimpant, entièrement gravé à l'eau-forte et délicatement illustré. Tout cela eût - excellemment convenu aux Galanteries de la Bible, d'Évariste Parny.

Pelletan avait eu, lui aussi, l'idée de publier Le Procurateur de Judée. Mais la brièveté de l'œuvre ne lui en imposait pas. Cette nouvelle n'était courte que parce qu'elle était condensée. Elle était pétrie d'une érudition substantielle ; elle était philosophique, archéologique, avec une délicieuse légèreté ; on la sentait ironique dans la mesure qui convient et elle était dramatique ; un pénétrant parfum d'antiquité l'emplissait toute... C'était une page d'art incompa­rable, ou comparable seulement aux plus beaux mo­numents de notre littérature.

Ce qu'elle devint, on le sait : un volume petit in-quarto, meublé d'un corps de Grandjean assez fort pour conserver au texte son caractère, assez espacé pour ne point l'alourdir, illustré de compositions en noir et en couleurs correspondant aux évocations, aux images et à la couleur répandues à profusion par l'écrivain.

Du caractère véritable déterminé sans méprise, la typographie, le format, la nature, la facture et le rythme de l'illustration découlent. Ce n'est pas à dire qu'il n'y avait encore beaucoup de difficultés à vaincre, mais ces difficultés rentrent dans le côté « agréments du livre » et nécessitent pour être résolues moins d'effort critique que de sens artiste. Par la variété, l'im­prévu, l'ingéniosité des agréments, on mesurera le degré d'art de l'éditeur. Ce n'est plus ici, d'ordinaire, une affaire de méthode, mais une question d'inspiration.

Eh bien ! ce qui frappe dans les éditions Pelletan, c'est que, là encore, l'inspiration n'est pas abandonnée à ses caprices ! La part de la réflexion, pour n'y être plus prépondérante, demeure pourtant considérable. Jamais un accent, un ton, un blanc, un changement de corps ou de type qui, tout en « faisant bien », tout en ornant la page, ne soit le soulignement d'une particularité de l'oeuvre.

Lorsque, dans la Prière sur l'Acropole, les invo­cations à la Sagesse furent tirées, les unes en rouge, et les autres en bleu, ce fut bien parce que ces cou­leurs apportaient une variété charmante et piquaient, dans l'encadrement noir, des notes de lumière qui éclairaient et embellissaient la page, mais ce fut sur­tout parce que, la couleur étant introduite dans le texte, certaines apostrophes évoquant des vertus mâles et guerrières ne pouvaient, sans témoigner d'une imagination indigente, être imprimées dans le même ton que les invocations aux vertus féminines et pacifiques. De même dans Le Misanthrope, si le vert a été introduit dans les indications des scènes, concurremment avec le rouge, c'est parce que le vert est, de par la désignation de Molière, la couleur d'Alceste, « l'homme aux rubans verts. » Et ceci revient à dire que la décoration n'a toute sa valeur que lorsqu'elle a aussi sa signification.

C'est donc dans le domaine de « l'agrément », — et l'on voit ce qu'il faut entendre par ce mot, — que l'éditeur prouvera ses qualités artistes. Elles seront d'autant plus éminentes que les « trouvailles » seroant plus nombreuses et mieux appropriées. Par ces « trouvailles », en outre, il achèvera de différen­cier des volumes dont la différenciation ne résulte­rait pas de la typographie.

Ainsi, dans Souvenirs de Servitude et de Grandeur militaires, les deux tomes sont l'un et l'autre compo­sés en Raçon, mais le premier, Souvenirs de Servitude, est illustré dans une facture de croquis, de compositions vives et pittoresques, — car il y a beaucoup de détails allègres, dans Laurette et dans la Veillée de Vincennes, — tandis que le second, Souvenirs de Grandeur, est commenté par des compositions graves, presque des tableaux d'histoire, dans une facture à la Menzel.

Et comme, en fin de compte, c'est par la variété dans la beauté qu'un écrivain, un peintre, un sculpteur se prouvent artistes, de même un éditeur doit faire cette preuve par un moyen semblable. Cette preuve, Pelletan nous la fournit par cinquante-huit ouvrages de tous genres, publiés en douze années d'un labeur traversé de nombreuses péripéties, toutes surmontées d'un cœur d'airain.

A lire les prospectus qui préfacèrent (car ils ont la valeur d'une véritable préface bibliophlique) la plupart des ouvrages édités par lui, on se rend compte du travail critique qui prépara leur éclosion. On sait ainsi pourquoi ils sont comme ils sont et même, quand l'éditeur est en veine de confidences, pourquoi ils ne sont pas autres.

Mais, tels les membres d'une même famille, les livres peuvent différer et pourtant se ressembler. Il faut mettre les uns à côté des autres les volumes de Pelletan pour se convaincre que s'ils se ressem­blent, c'est par un pareil reflet d'intelligence, par une identique hygiène appliquée à tous les détails, par ce que l'on pourrait appeler leur rayonnement esthétique et moral, la volonté y apparaissant aussi clairement que la beauté. Pour le reste, il semble que nous entrions dans une galerie où chaque oeuvre est l'exemplaire parfait d'un art toujours renouvelé, qui atteint toujours à une égale hauteur, au prix des difficultés qui accompagnent communément un tel effort.

Quelle ressemblance y a-t-il, en effet, entre Les Nuits, dont l'illustration est cadencée, et les Petits Contes à ma Sœur, pittoresquement « habillés » de vignettes dans le texte ? Entre la Prière sur l'Acropole, où, par une originalité première, la couleur se trouve dans la typographie et Le Centaure et la Bacchante où elle est partout, dans les en-têtes, les culs-de-lampe, les hors-texte et dans les initiales rubriquées des alinéas ? En continuant et en confrontant Les Ballades, Le Dernier Abencérage, Les Noces Corinthiennes, Le Barbier de Séville, en rapprochant ces deux ouvrages si typiques, l'Histoire du Chien de Brisquet et Le Roi des Aulnes (Le Roi des Aulnes n'a pas, à ma connaissance, son pendant en édition, même à l'époque où l'on appelait des artistes comme Mouilleron, Célestin Nanteuil, Devéria, à commenter de leur crayon habile les romances à la mode) ; en opposant les Cinq Poèmes de Victor Hugo aux Destinées, la Causerie sur l'Art Drama­tique à Gutenberg ou aux Funérailles d'Émile Zola, on voit que chaque ouvrage a sa physionomie propre et son vêtement particulier. Pas une répétition, pas un signe de fatigue, dans cette longue suite de volumes. Évidemment, l'éditeur les a vigoureusement aimés, et cet amour, qui les colore comme l'amour colore la vie, explique leur perfection. On se fatigue de tout ; on ne se fatigue pas d'aimer, et par suite de parer l'être ou l'œuvre aimée avec la plus subtile ingéniosité. Même, alors que deux ouvrages partent d'une égale inspiration et doivent utiliser des éléments identiques, — je fais allusion à L'Oaristys et aux Syracusaines, où le texte grec fait pendant à la traduction française, — même là, malgré la similitude des formats et du plan général, il y a symétrie, il n'y a pas ressemblance. Le style de l'un est plus gracieux et le style de l'autre plus classique ; le dialogue amoureux est présenté avec plus de morbidezza que le vivant cailletage des oiselles alexandrines et, si les titres généraux ne diffèrent que peu, c'est que, l'un et l'autre dialogue s'abritant sous les pans légers du manteau de Théocrite, il fallait bien que chacun des titres rappelât cette commune origine.

Les titres !... Pelletan leur attribue une particulière importance. Ils sont, pour lui, une façade et ne doivent pas plus tromper sur le caractère de l'œuvre qu'une façade ne doit induire en erreur sur la destination de l'édifice. Aussi, Édouard Pelletan cherche-t-il tou­jours les titres expressifs et élégants.

La Mandragore, par sa ligne de gothique aux lettres noires et rouges, souligne le caractère légendaire du conte de Jean Lorrain ; L'Affaire Crainquebille, aven­ture d'un pauvre marchand des quatre saisons, est en quelque sorte évoquée par l'emploi d'un bas de casse de Grasset, la plus lourde de nos fontes de style ; l'Histoire du Chien de Brisquet indique, par son titre entièrement dessiné et illustré, qu'elle est un conte pour amuser les enfants. Il y a, dans la Prière sur l'Acropole, des ornements et un dessin des lettres qui fixent le lieu ; l'encadrement romain du Procurateur de Judée est en accord avec la qualité de quirites des personnages, avec l'endroit de leur rencontre, l'époque, etc. On pourrait ainsi analyser tous les titres de tous les ouvrages sortis des Éditions d'Art, mais ce qu'on ne pourrait indiquer sans de trop longs développements, c'est le pourquoi de certains détails heureux, qui tous, nous le savons, ont leurs raisons délibérées. Notons, cependant, la disposition  généralement classique de ces titres, leur belle forme de vases, leur parfait équi­libre. Pelletan a le goût de l'harmonie antique.

Je voudrais entrer dans le détail d'un de ces volumes pour faire toucher du doigt toutes les difficultés. que rencontre un « architecte de livres », quand il est doué, à un haut degré, de la faculté raisonnante. Mais, comme l'analyse d'un volume nous entraînerait trop loin, nous nous bornerons à celle de deux minces plaquettes : le Sonnet à Vigny, de Sully Prudhomme, l'Ode à la Lumière, d'Anatole France.

Un sonnet tient en une page. Le beau sonnet de Plantin, que vendent aux visiteurs les gardiens de la célèbre imprimerie, est tout entier sur un recto. Comment, avec quatorze vers, qui doivent venir d'un seul jet, sans dislocation, composer une plaquette ?

L'illustration, d'une part, l'utilisation décorative des éléments typographiques secondaires, d'autre part, ont fourni la matière « meublante » de dix-huit feuillets, le sonnet proprement dit faisant masse sur un recto et un verso. Mais ce qui frappe, c'est l'unité de cette plaquette ainsi formée d'éléments non essen­tiels et son aspect livre. Il n'y a rien de trop et ce préambule abondant prépare si bien l'esprit à la fière pensée du poète, qu'on ne serait surpris que d'une seule chose : c'est qu'il n'y fût pas.

Dans un sentiment tout différent est concue l'Ode à la Lumière. Ici, la difficulté était surtout d'ordre typographique. La plaquette devait rayonner, à peine de trahir la volonté de l'éditeur et l'inspiration du poète. Mais d'où peut venir la lumière dans une chose imprimée, estampe ou livre ? Tout le monde est d'accord sur ce point : du papier.

Le vers alexandrin emploie beaucoup de lettres et la strophe forme un rectangle noir sur la page. De plus, s'il y a du mérite à vaincre une difficulté, il n'y en a pas à la tourner. L'éditeur pouvait employer, une encre de couleur, n'importe laquelle aurait été plus lumineuse que la noire qui est la négation même de la lumière. Mais il avait écrit naguère : « Un livre, c'est du noir sur du blanc » (4), il se trouvait donc dans l'obligation de faire imprimer l'Ode avec une encre noire, comme le Sonnet à Vigny, où il avait à donner l'illusion d'une solide composition.

Il est arrivé au résultat cherché par le format, le caractère, l'espacement et l'interlignage, la légèreté de l'impression.

Grand format in-4°, pour suggérer immédiatement l'idée d'une oeuvre importante (elle l'est par sa valeur) ; caractère maigre de Garamond, de corps XVI, bien espacé et interligné, sans franchir toutefois la limite d'une lisibilité aisée, tirage blond, marges importantes, — il semble vraiment que le texte se silhouette sur le vélin, qu'il y pose à peine, comme prêt à s'en­voler et à laisser la page toute blanche, toute lumi­neuse, dans son intégrité. Pour le titre, où la couleur est presque obligatoire, les mots A la Lumière sont imprimés en un ton mordoré, un ton d'aurore ou de gloire, qui avait précédemment servi pour le titre des Noces Corinthiennes du même Anatole France.

Nous pourrions analyser encore le Tombeau de Molière, où les épitaphes du P. Bouhours, de La Fon taine, de Boileau, sont composées en italique, en capitale et en romain de Grandjean, sans que rien ne choque dans la juxtaposition de ces fontes, — et démontrer la symbolique du titre où les mots s'al­longent en une seule ligne, comme le gisant des tombeaux de la Renaissance ou comme la pierre des nécropoles contemporaines. Mais où une telle analyse ne nous entraînerait-elle pas ?

En avons-nous assez dit sur l'éditeur bibliophile ? Non, sans doute, puisque nous n'avons point encore cité ses auteurs, ses illustrateurs, ses graveurs. Ses auteurs ? Les maîtres passés ou présents de la pensée française ; des poètes : Musset, Hugo, Vigny, Sully Prudhomme, Anatole France et Courteline et Molière et, plus ancien­nement, Villon, plus anciennement encore, Théocrite ; des prosateurs ailés : Vigny derechef, et Anatole France, Hégésippe Moreau, Renan, Chateaubriand, Beaumarchais, Maurice de Guérin ; puis Charles Nodier, Jules Renard, Mme Bartet, écrivant sur l'art où elle est sou­veraine, G. Séailles, Claretie, le philosophe Pierre Laffitte, successeur d'Auguste Comte, Catulle Mendès, etc., c'est-à-dire tous ceux qui brillent soit par la vigueur de la pensée, soit par la solidité, le chatoie­ment ou la flexibilité de la forme.

Ses illustrateurs ? Grasset, Dunki, Gérardin, Vierge qui fit pour lui sa dernière illustration, Bellery-Desfon­taines qui fit sa première, Fréd. Florian et Carrière qui firent la seule qu'ils exécutèrent Vogel, Auguste Leroux, Georges Bellenger, Willette, Marcel Pille, Steinlen, avec un chef-d'œuvre, L'Affaire Crainquebille, Jeanniot, un autre chef-d'oeuvre, Le Misanthrope, Paul Colin, imagier doué à un rare degré du sens de la nature.

Ses graveurs ? Frédéric Florian, frappé comme Vierge, Clément Bellenger, trop tôt disparu, Ernest Florian, Froment père, grand coloriste, que l'Angle­terre nous emprunta à l'époque même où le bois anglais était supérieur, Froment fils, Pierre Gusman, Deloche, Crosbie, Mathieu, Jules Germain, Duplessis, Perrichon, Aubert, Julien Tinayre, etc., tous ceux qui excellent dans les deux genres : gravure en teinte et gravure en fac-similé (5).

Mais toute l'activité d'Édouard Pelletan n'a pas été absorbée par l'exécution de ses grands ouvrages, si grands ouvrages en bibliophilie. La beauté exerce dans tous les milieux sa fascination et peut aider puissamment à la divulgation des vérités humaines. Pourquoi ne pas collaborer, selon ses forces, à l'éducation esthé­tique, et, par elle, à l'éducation morale de la démo­cratie ? Pourquoi ne pas mettre à sa portée les textes de haute valeur dont une présentation élégante accroîtra l'attrait ?

Pourquoi, dans un ordre d'idées voisin, ne pas créer un second degré de bibliophilie, une moyenne bibliophilie, si l'on veut, qui, par des livres aussi sévèrement corrigés, aussi réguliers d'impression, aussi riches d'images, aussi solides de papier, mais tirés à un plus grand nombre d'exemplaires, s'adres­sera aux amateurs moins fortunés ?

Ces deux problèmes ont reçu leur solution, le pre­mier, par la création de la BIBLIOTHÈQUE SOCIALE ET PHILOSOPHIQUE A SOIXANTE CENTIMES, passée, à cause de l'augmentation des matières premières, à SOIXANTE-QUINZE CENTIMES, le second, par la publication de divers ouvrages comme le Faust, de Pierre Laffitte, le Carrière, de Gabriel Séailles, l'Almanach du Biblio­phile (six années), mais surtout par Les Philippe, de Jules Renard, illustrations et gravures de Paul Colin.

Cet ouvrage devait, dans l'idée première de l'éditeur, être une édition de bibliophiles, à deux cent vingt-cinq exemplaires, au prix de quatre-vingts francs l'exemplaire sur vélin. Puis, au fur et à mesure que le volume avançait, impressionné de plus en plus par la vigueur et la profondeur d'une observation digne de La Bruyère, qui devait être sensible à tous les cerveaux bien doués, — et ils sont nombreux ! — ­frappé aussi par la rustique et fraîche poésie des com­positions de Paul Colin, Pelletan revenait peu à peu à une vieille conception qui lui était chère (voyez Le Livre), et, prenant bravement son parti, il mettait le volume à vingt francs et le tirait à douze cents. Ce volume était donc bien un livre de bibliophiles et rien n'avait été sacrifié à la modicité de son prix. Cette manière de procéder était courante à l'époque romantique et les bibliophiles d'alors, — bien que fort peu s'intéressassent au livre moderne, — se conten­taient d'exemplaires sur papier de Chine. La diffusion du volume augmentait sa réputation et rendait plus précieux les exemplaires de luxe. Ce n'était point mal raisonné.

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Et maintenant, si l'on demande quel est le ressort intérieur qui fait agir Édouard Pelletan, qui détermine tous ses actes d'éditeur, c'est-à-dire de propagateur de la pensée, je répondrai : « C'est une ferme doctrine philosophique, celle qu'a élaborée Auguste Comte et dont l'influence s'est, à des degrés divers, fait sentir chez tous les peuples civilisés. Cette doc­trine habitue l'esprit à la discipline et procure à la critique des bases solides. C'est grâce à elle que Pelletan a pu choisir des auteurs aussi  dissemblables que Chateaubriand et Renan, Villon et Musset, Vigny et France, mais qui se rejoignent tous dans les sphères supérieures de la pensée et de l'art. C'est à elle qu'il doit cette volonté dont ses livres portent la marque, c'est pour elle qu'il a donné au livre des petites bourses une harmonie et une richesse (Vers les Temps Meilleurs sont remplis de portraits gravés sur bois !) jusqu'à lui inconnues. Car ce fut sa façon particulière et généreuse d'aider, selon la formule célèbre, à l'incorporation du prolétariat (prolétariat du livre et prolétariat des hommes que le livre élève) dans notre société (6).

Quel avenir est réservé aux ouvrages qui portent la firme des Éditions d'Art ? Justifieront-ils leur devise, empruntée à Thucydide, et chacun d'eux sera-t-il l'œuvre pour toujours qu'elle annonce ? Seule, la Pythie de Delphes pourrait répondre à cette ques­tion. Mais si Didot, Bourdin et Curmer ont survécu, ce ne fut point par des qualités différentes de celles dont Pelletan a donné la preuve, et il n'y a aucune raison de croire que des ouvrages d'une si parfaite tenue, des ouvrages si intelligemment faits et qui sont à un tel degré la manifestation d'une personnalité, ne verront pas toujours se reformer le cortège des amis fidèles et éclairés.

Ce dont on peut être assuré, en tout cas, c'est qu'ils marqueront une date dans l'histoire du livre à la fin du XIXe et aux débuts du XXe siècle, non seulement par eux-mêmes, mais par leur influence sur l'ensemble de l'édition française. 

CLÉMENT-JANIN.

NOTES :
(1) Ils étaient tous parus en décembre de cette année 1896.
(2) Tel il apparaît, avec l'adoucissement de la physionomie que commandait la scène, dans le frontispice de l'Histoire du Cbien de Brisquet (1900), où il est représenté, montrant, en com­pagnie de l'illustrateur Steinlen, un album d'images à une fillette, qui n'est autre que Mlle Jeanne Pelletan, enfant. Tel il apparaît encore, mais la tête plus grise, dans la grande décoration de la Sorbonne, L'Étude, par Henri Martin (1908), où il figure, avec Bellery-Desfontaines, Séailles, Ernest Laurent, Gilbert et René Martin, Eugène Morand, etc., parmi les auditeurs d'Anatole France.
(3) En même temps que son premier volume Les Nuits, Pelletan publiait un programme-manifeste, Le Livre (1896), dans lequel il affirmait sa vive préoccupation du texte, estimant que le livre d'art ne devait contenir que des textes hors de pair et, le plus souvent, être une consécration des chefs-d'œuvre reconnus. C'est dans sa Deuxième Lettre aux Bibliophiles (1896, p. 16 et s.), qu'il esquissa sa conception du caractère typographique.
(4) Première Lettre aux Bibliophiles, p. 13.
(5) Sur l'emploi de la gravure en teinte, voir la Première Lettre aux Bibliophiles, pages 5 et 6.
(6) Pelletan a deux marques : l'une, composée par M. Mignon, représente une femme élevant le livre au-dessus des portraits de Robert Estienne et d'Albert Dürer. C'est la marque, première en date, que l'on peut interpréter en ce sens que le beau livre doit répondre à cette double condition : pureté du texte, beauté de l'illustration. L'autre, due à M. Bellery-Des fontaines, est plus affirmative. Elle montre le livre, élevé par un génie mâle et dominant la Ville, lisez le Monde. Les éléments ne se distinguent plus, ils sont tous confondus dans la puissance que manifeste le vigoureux génie qui porte le livre. Cette marque proclame que l'intelligence est une force qui tient tout sous sa loi.

(texte non relu après saisie, 14.06.10)

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