Anonyme
(1683.)
Le cuisinier friand et la manière de faire toute sorte de potage.
Potage entre deux croutes de pain en forme de
pâté.
Prenez un pain mollet, ou de Gonnesse, ou un autre pain de deux ou
trois sols, ou de telle grandeur qu'il vous plaira, chapellez-le dessus
& dessous, puis il faut la creuser, & oster la mie sans
rompres les bords, afin que cela represente la forme d'un
pâté.
Quand le pain est apresté de cette façon, il faut le mettre dans une tourtiere, ou dans une écuelle, & le garnir premierement de l'époisseur d'un travers de doigt de chair de volaille cuite, ou d'autre viande hachée bien menu, avec autant de graisse ou mouësle de bœuf, le tout assaisonné de sel. Mettés sur ce hachis des ris de veau, ou d'autres beatilles, quelques pigeonneaux cuits à la compote, & applatis sur le ventre, ajoustés-y encore un peu de hachis, & des morceaux de culs d'artichaux parboulis, ou des asperges, ou des châtaigne cuittes, ou des cardes d'artichaux pour garnir ce pasté. Quand on n'a que du hachis, il en faut mettre suffisamment, & y entremésler quelque moitié de jaunes d'oeufs durs avec des chataignes, ou des marons, puis faire quelques andoüillettes du mesme hachis, le pressant pour cet effet dans la main pour en former des petites pelotes. Ce pasté estant garny, adjoustez y autant qu'il sera besoin de bouïllon de viande sans herbes, puis vous le couvrirez de la croute du dessus du pain, & mettrez encore un plat par dessus, puis le ferez boüiliir doucement, & prendrez garde de fois à d'autres si le bouïllon ne manque point, afin d'en remettre ; & sur la fin on peut ajouster de jus de viande, ou une saulce blanche, comme à la soupe Jacobine. Bisque.
Mettez au pot un trumeau ou queuë de bœuf ou de
cimier, ou quelque aloyau coupé par morceaux, & une
heure après y ajouster du mouton, du veau & une
volaille pour faire le bouïllon meilleur, du sel, & un
ou deux cloux de girofle, ou un oignon piqué de cloux de
girofle, & quand le bouïllon sera fait, il s'en faut
servir pour faire cuire des pigeonneaux dans un pot à part,
lesquels estant cuits, il faut passer le bouïllon dans une
estamine, ou passoire, sans presser la viande, & y mettre
quelques cueillerées de bouïllon dans un bassin ou
dans un plat garny de croutons ou soupe de pain sechée au
feu, faites-les mittonner sur de la braize, ayant couvert le plat,
regardez-y de fois à d'autres, & remettez du
boüillon de pigeons, quand il en sera besoin, & peu
à peu, de peur que le potage ne se noye y en mettant
beaucoup à la fois, & lors que le pain sera
renflé, & pris, s'il est attaché au fonds
du plat, il y faut remettre du même boüillon, ou plustost du
boüillon de veau, ou du boüillon de champignons meslé ensemble,
puis il faut garnir le potage.
Pour faire la bisque, mettez-y premierement des pigeonneaux, ou d'autres oyseaux bouillis, ou dans le pot, ou separément en compote, les pigeonneaux estant placés sur le pain, ajoustez-y par dessus des fagouës, ou ris de veau, des crestes, ou d'autres beatilles que vous pourrez avoir, y entremeslant des champignons ; au defaut d'autre chose on y met de culs d'artichaux, & le reste de l'assaisonnement de la compote. Quand la bisque est garnie, il faut la tenir chaudement sur des cendres chaudes jusqu'à ce qu'il faille la servir, prenant garde que le boüillon ne se consomme, y en remettant autant qu'il en est besoin. Estant prêt à servir, on versera sur une bisque de six pigeonneaux, une verrée ou demy septier de jus de viande rostie, on peut y respandre en mesme temps une poignée de pistaches, puis le jus d'un citron, sur toute la bisque, & encore garnir le bord du bassin de tranches de citron, & la servir en mesme temps.
Boüillon Clair.
Prenez un gros oignon blanc, plûtost que rouge faites-y
quelques-petites entailles, & y faites entrer deux ou trois
clous de girofle, avec un peu d'herbes fines, comme du thim &
de la marjolaine, & un petit brin de basilic, ou de menthe
seiche, ou une feüille de mastic, liez-les d'un brin de fil,
& mettez le bouquet au pot une heure avant que vous dresserez :
Et quand vous dresserez le potage, il faut oster l'oignon, &
les fines herbes, afin que l'on ne puisse juger ce que l'on y a mis
pour l'assaisonner.
Panade.
Prenés par exemple la grosseur du poing de crouste ou de mie de pain blanc qui soit bien seiche,
réduisez-là quasi en poudre, ou en morceaux bien
menus, & la mettez dans une écuelle, adjoustez-y du
boüillon du pot qui soit bien fait sans herbes, &
dégraissé. Couvrez l'écuelle &
la faites boüillir doucement sur le feu, jusques à
ce que la panade soit réduite en boüillie assez
claire, & lors vous y pouvés ajouter du verjus ou du
jus d'orange, vous y pouvez mettre aussi de jus d'une eclanche de
mouton, & du sel s'il est besoin, remuez la panade & la
retirez incontinent du feu rapés-y de la muscade si vous y
en voulez, quelques-uns y ajoutent aussi le jaune d'un neuf
delayé avec du verjus en jus de citron.
Panade à la viande.
Hachez menu gros comme un oeuf ou deux du blanc de chapon ou d'une
autre volaille bouïllie, ou rôtie, il faut oster les
os, les nerfs, la peau & les lardons s'il y en a, mettez ce
hachis dans une escuelle avec du boüillon de viande sans
herbes, adjoutez-y gros comme un oeuf ou environ de pain blanc rompu
par petits morceaux, couvrez l'écuelle & la mettez
sur un feu médiocre l'espace de quelque temps,
assaisonnez-la de sel, s'il en est besoin, lorsque la panade sera
éspaisse suffisamment, vous y pouvez adjoutez un peu de
verjus, ou de jus d'orange, ou de viande.
Blanc manger pour servir d'entremets.
Pilez bien dans un mortier de marbre un quarteron pesant d'amandes
douces pelées, & les arrosés peu
à peu d'un petit d'eau rose, ou plutost d'eau commune,
& lorsqu'elles seront bien pilées,
adjoustés y une chopine ou un peu plus de boüillon
bien consommé qui soit fait avec de la volaille, du boeuf,
du veau, sans qu'il y ait d'herbes, mais seulement deux ou trois cloux
de girofle, un peu de canelle, & du sel à discrétion. Quand on n'a point d'amandes pour en faire du
laict, on peut se servir de quelques cueillerées de bon
laict de vache, ou de chevres ; le boüillon doit estre
dégraissé & chaud. Et quand il est
meslé avec des amandes, il le faut versez dans une estamine,
ou gros linge, & y adjouster deux onces, ou environ du blanc
d'un chapon, ou d'une autre volaille rostie ou boüillie, qui
soit hachée & pilée exactement dans un
mortier, apres en avoir osté la peau, les nerfs &
les os. Au lieu de volaille on peut se servir de veau, ou de quelque
autre viande plus grossiers, mais le blanc-manger sera moins
délicat. On peut y adjouster gros comme un oeuf de mie de
pain blanc, pour rendre le blanc manger plus épais, mais il
n'y en faut point si on désire le faire bien
délicat. Il y a des personnes qui ne passent point le blanc
de la volaille par l'étamine, se contentant de le bien
piler, & le dissoudre dans le boüillon quand il est en
laict d'amandes ; mais quand la viande est broyée on la met
avec les amandes & le boüillon dans l'estamine qu'il
faut tordre pour en avoir sa liqueur : il faut aussi remuër
& rafraischir le marc avec un peu de boüillon,
& le presser encore pour en tirer ce qui reste de suc.
Il faut verser ce laict dans un poislon ou écuelle d'argent y ajoustant le jus d'un ou deux citrons, & un quarteron de sucre plus ou moins, & tenir le blanc manger sur le feu de charbon bien allumé le remuant d'abord l'espace de quelque temps, afin qu'il s'épaississe, & le laisser un petit en repos, puis le remüer derechef quelquefois avec un cûillier, & en mettre refroidir sur une assiete, & lors qu'il se prendra comme de la gelée en se refroidissant, il sera cuit, & on le tirera hors du feu. Autre
blanc manger pour prendre le matin au lieu d'un boüillon.
Prenez une bonne écuellée de bon bouillon
à la viande bien dégraissé, qui soit fait sans herbe, &
salé modérément, il sera de plus haut
goust si on y fait bouïllir du vin blanc, comme pour faire de
la gelée. Faites-le bouïllir à petit feu
l'espace d'une heure ou environ, & le remuez souvent avec une
cuillier, afin que rien ne brûle & lors que le
bouillon sera diminué de la moitié ou environ,
adjoutez y le laict d'un quarteron d'amandes douces pelées
& bien pilées dans un mortier avec deux ou trois
cuillerées d'eau rose ou d'eau commune froide, ou du laict,
ou du bouillon que l'on y mettra peu à peu en les pilant,
laissez encore sur le feu le blanc manger prés d'une heure,
ou jusqu'à ce qu'il soit épais moderement,
remuez-le de fois à d'autres avec une cûillier,
vous pouvez le passer par un linge ou par une étamine
pressant le linge, & mettre dans un poislon ou dans une
écuelle d'argent ce qui sera coulé, adjoutant un
quarteron plus ou moins de sucre rompu par morceaux, & un brin
de canelle ; on y peut mettre aussi du musc, ou de l'ambre gris, un peu
d'eau de fleur d'orange, & du jus de citron ou d'orange,
& faire bouïllir le tout ensemble un bouillon ou deux.
Gelée de viande.
Pour faire une gelée entiere, prenez un chapon ou une autre
poule bien charnuë toute preste à mettre au pot,
prenés aussi un jaret de veau, ou plûtost deux
livres ou deux livres & demy d'une rouelle ou d'une
épaule de veau, pour rendre la gelée plus claire
: on peut aussi adjouster un morceau de mouton, par exemple trois
quarterons du collet ou du bout faigneux ou du gigot, ou de
quelqu'autre endroit qui soit maigre, & memes quand on n'a
point de veau, l'on doit mettre du mouton au lieu de veau.
Remarquez que l'on peut faire de la gelée avec toute sorte de viande, & que la plus fraische est la meilleure : dégraissez la viande & la lavés dans de l'eau fraische, ostés le sang s'il y en a, & tout ce qui est dans le ventre de la volaille, les poulmons & le foye : puis l'on mettra la viande dans de l'eau quasi bouïllante, dans laquelle il y ait du sel la pesanteur d'un ou deux écus d'or, & quand elle y aura trempé un petit de temps, afin qu'elle prenne le goût du sel ; on peut luy donner aussi un petit bouillon, puis il la faut tirer hors de l'eau, & la mettre dans un grand pot de terre neuf, plombé, qui soit bien net, adjoustez y six ou sept pintes d'eau, & mettez le pot au feu. Si la viande n'a pas esté échaudée avec de l'eau salée, il faudra mettre dans le pot le poids d'un écu d'or, ou seulement d'un demy écu d'or de sel, & bien écumer le boüillon quelques fois mesme on ne sale point du tout la gelée. Quand on désire faire la gelée bien forte, il faut adjouster un pied de veau avec la viande, ou le manche d'une épaule de veau ou de mouton, ou deux onces de corne de cerf rapée & enfermée au large dans un linge. Mettez tout autour du pot un charbon allumé, écumez-le bien exactement, couvrez-le ensuite & non plûtost, laissez cuire la viande, jusqu'à ce qu'elle se sépare facilement des os ; & s'il est besoin de remplir le pot, mettez y de l'eau chaude un peu après qu'il est écumé, & n'attendez pas plus tard. Quand le bouillon sera consommé à la moitié, & qu'il n'en restera que trois pintes ou environ, faites-en refroidir un peu dans une cuîllier à bouche, & s'il demeure épais comme du syrop, ou se fige dans une cuîlliere, il sera temps de verser dans le pot une chopine ou seulement un demy septier de vin blanc ou de verjus, ou des deux ensemble par moitié, puis on fera encore boüillir le pot un quart d'heure ou environ, & apres cela il faudra mettre du boüillon dans une cuîlliere : & si en se refroidissant il se prend en gelée, il sera temps de le passer par une serviete blanche sans presser la viande, puis on le laissera refroidir à demy, ou jusqu'à ce que la graisse paroisse dessus, & qu'elle fasse comme une peau, & lors il faudra le couler encore une fois par une serviete nette pour le dégraisser parfaitement. Quand on est pressé de faire de la gelée, ont peut couler le boüillon dans une service moüillée, lorsqu'il est encore tout chaud. Le boüillon estant degraissé il faut le remettre dans le pot bien nettoyé, puis battre dans un plat le blanc & la coquille de six neufs frais, & lorsqu'ils seront réduits en écume, versés-les dans la gelée quand elle commence à bouïllir, puis y adjoustez du sucre rompu par morceaux : C'est assés d'en mettre un quarteron pour une chopine de bouïllon, mais on peut en mettre moins si l'on ne met point de vin dans la gelée, parce qu'elle est plus douce que celle où il y en a, mettez aussi dans le pot la pesanteur d'un demy gros de bonne canelle, plus ou moins selon le goust du malade, & y ajoustés le jus d'un citron, ou un peu de verjus, ou quelques goutes de vinaigres. Quand toutes ces choses sont ensemble, il faut les mesler & remuer tant que les blancs d'oeufs soient cuits, il faudra mettre un peu de bouïllon dans une cueilliere, & s'il paroist tranché, c'est à dire clair, & comme s'il y avoit des ordures dedans, il faut tirer le pot hors du feu, & passer tout chaud par une serviete blanche, ou par une chausse de feutre ou d'autre étoffe blanche & bien nette. Si le commencement de ce qui coule paroist louche, repassez-le, faites-le couler proche du feu tenant le pot sur de la cendre chaude, afin que la gelée passe avec plus de facilité par la serviete, ou par la chausse, & remués la gelée dans des pots ou écuelle de fayance ou autres, puis les mettez dans un lieu frais, afin que la gelée se prenne plus aisement. Quand il est besoin d'adjouter quelques autres choses dans une gelée, par exemple du jus de citron, mettez-le en mesme temps que l'on y met de vin : mais vous remarquerés que la gelée ne se conserve pas plus de deux jours en sa beauté, quand il y a du jus de citron, ou quelqu'autre chose aigre. Si vous n'avés pas besoin d'une gelée entiere, vous en pourrés faire une demie ou seulement un quart de gelée, ne mettant de viande qu'à proportion de ce que l'on desire faire de gelée. |