Anonyme
(1718.)
Histoire de la vie des voleurs,
et de leur fin lamentable & malheureuse.
DE LA
NAISSANCE
& éducation de Guilleri. Guilleri
étoit natif de la basse Bretagne, sorti de Noble race. Son
premier exercice d'enfance fut à l'étude des
Lettres, où il profita si bien qu'il se fit admirer d'un
chacun pour la gentillesse de son esprit. Son pere l'ayant
renvoyé à Rennes pour achever le cours de ses
études en sa dix huitième année, il se
rendit tellement redoutable parmi les Ecoliers, qui sont en grand
nombre dans cette Ville, qu'il n'y en avoit aucun qui
n'apprehendât de lui déplaire.
Quand il se faisoit quelque meurtre ou batterie la nuit par la Ville, tout le monde l'en accusoit, disant qu'autre que lui ne l'avoit commis, puis qu'il n'y avoit aucune compagnie pernicieuse en laquelle il ne fût le premier. Son pere étant averti de ce déportement par quelques-uns de ses amis qui tenoient l'œil sur ses actions, lui écrivit une lettre, par laquelle il l'exhortoit de changer de vie, ou autrement qu'il lui donneroit sujet de le desavoüer, & de ne le tenir plus pour son fils. Cette lettre lui fut portée par un de ses parens qui avoit charge de son pere de lui faire des remontrances de bouche, & de lui écrire souvent de ses nouvelles. Dès qu'il eut reçû cette lettre & qu'il eut connu que son pere étoit informé de sa vie, au lieu de se corriger, & de vivre plus sagement à l'avenir, pour donner quelque consolation à celuy qui l'avoit mis au monde, il se comportoit tous les jours de mal en pis se mocquant de ceux qui lui faisoient quelque remontrance, & qui lui conseilloient de prendre de la part de son pere un autre train de vie, leur disant qu'il étoit assez sage pour se gouverner sans qu'ils se mêlassent de ses actions, son courage lui faisant proférer ces paroles, & plusieurs autres qu'il disoit en se mocquant de son pere, & de ceux qui ne souhaitoient que son bien. Comme Guilleri
s'enrôla pour simple Soldat.
En ce
tems-là notre Grand Henry d'heureuse memoire,
s'étant resolu d'avoir raison du tort que lui faisoit le Duc
de Savoye, avoit fait lever une belle armée en plusieurs
endroits de son Royaume, qu'il vouloit mener en Savoye. Le jeune
Guilleri en ayant eû le vent, quitte ses études,
& s'enrôle pour simple soldat en une compagnie qui
bien-tôt le rendit à l'armée,
où il signala son courage en plusieurs rencontres qui se
firent sur l'ennemi, desquels il sortoit toûjours
chargé de palmes & de lauriers, qu'il acqueroit au
prix de son sang.
Son courage lui ayant acquis la Compagnie, il s'en acquitta avec tant de generosité qu'un chacun l'admiroit, & le jugeoit devoir être un jour quelque chose de grand. Comme Guilleri se mit voleur
avec quarante de ses Soldats.
La paix
étant faite entre le Roy & le Duc de Savoye,
l'armée lut congédiée avec
commandement à chacun de se retirer en sa maison, Guilleri
voyant que cela lui empêchoit l'exercice des armes,
& de s'entretenir parmi les Grands, pour le peu de revenu qu'il
avoit, ayant un jour assemblé quarante des plus
résolus, & méchans garçons qui
fussent en sa compagnie leur remontra comme la paix leur
empêchoit de faire leur profit, & que par ainsi ils
seroient contraints de choisir quelqu'autre expedient pour gagner leur
miserable vie.
Ces Soldats qui ne demandoient autre chose que d'être employez en quelque entreprise, lui demanderent quel dessein il avoit qui lui fît tenir ce langage, & que s'il y avoit quelque chose à gagner, il s'assûrat qu'ils ne lui manqueroient jamais. Il répondit que son dessein étoit de ne point poser les armes, que plutôt il se rendroit en quelque Forêt pour voler les passans, & par ce moyen acquérir dequoy s'entretenir le reste de sa vie. Ses compagnons à qui on ne pouvoit faire plus grand plaisir que de leur parler de quelque gain, s'offrirent de le suivre partout où il voudroit, sans le laisser jusques à la mort : & lui ayant tous juré foi & fidelité, ils commencerent à détrousser & voler ceux qui par malheur se rencontrerent devant eux sur le chemin. Sa retraite en Xaintonge.
Il fit sa retraite
en Xaintonge, & païs circonvoisins, où il
n'eut pas longtems exercé ses voleries, que les nouvelles en
furent répanduës par toute la France. Plusieurs qui
l'avoient connu aux guerres dernieres s'étonnoient d'un tel
changement, voyant que de brave Capitaine il s'étoit rendu
miserable voleur. Son pere étant averti qu'il menoit une vie
si malheureuse en mourut de tristesse dans peu de tems, ne laissant
qu'un autre fils âgé de dix-neuf ans, qui
après la mort de son pere vint trouver son frere,
où il apprit la vie de guetteur de chemin.
Si je voulois décrire toutes les méchancetés qu'il fit pendant neuf ou dix ans qu'il exerça une si détestable vie, il me faudroit en faire un gros volume, au lieu que je me suis proposé de n'en dresser qu'un petit discours. Je me contenteray donc de reciter briévement les plus remarquables subtilitez qu'il a exercé pendant le tems qu'il a mené la vie de voleur. Comme il vola un Paisan en lui
faisant prier Dieu.
Un jour se
promenant dans le grand chemin qui va de Niort à la
Rochelle, il rencontra un Païsan qui s'en alloit pour plaider
à un Sénechal qui est établi en ladite
Ville, Guilleri l'ayant accosté lui demanda où il
alloit ? Il répondit, à la Rochelle. Et bien,
dit-il, nous irons de compagnie, car je m'y en vais aussi. En cheminant
il s'enquit du dit Païsan quels affaires le menoient
à la Rochelle ? il répondit que
c'étoit pour plaider. Vous avez donc de l'argent ? dit
Guilleri. Le Païsan dit qu'il n'en avoit point. Guilleri lui
dit qu'ils étoient bien ensemble, puisque ni l'un ni l'autre
n'en avoit : mais sçavez-vous ce que nous ferons, dit ce fin
voleur qui s'imaginoit bien qu'il avoit de l'argent : Que voulez-vous
que nous fassions, dit le Païsan ? C'est qu'il faut prier
Dieu, dit-il, afin qu'il nous en envoye, & aussi-tôt
il se mit à genoux, disant au Païsan, qu'il fist
comme lui. Ce que le pauvre Païsan fit avec beaucoup de
regret, s'imaginant bien qu'il ne sortiroit pas d'entre les mains de ce
loup ravissant, sans y laisser une partie de sa peau.
Ils se mettent
trois ou quatre fois à genoux, sans que Dieu ait rien
envoyé au pauvre Païsan, qui ne prioit Dieu
à autre intention, sinon que Dieu lui ôtat ce
diable de sa presence. Guilleri au contraire, toutes les fois qu'il se
foüilloit, trouvoit que Dieu lui envoyoit toûjours
quelque chose. La premiere fois cinq sols, la seconde dix sols,
& la troisième un écu, qu'il partageoit
pour tous deux, & en donnoit la moitié au
Païsan : puis lui dit de voir en sa pochette s'il n'y en avoit
point davantage, ce que le pauvre homme ne vouloit faire, disoit qu'il
étoit content de ce qui s'étoit
trouvé. Il faut donc que je regarde sur vous, dit Guilleri,
pour voir si Dieu ne vous a point envoyé autant
qu'à moy, & aussitôt il le foülla
jusqu'à ce qu'il lui eût trouvé sa
bourse, où il y avoit cent écus d'or, qu'il mit
en deux parts, donnant l'une au Païsan, & retenant
l'autre pour soy, disant, prenez la moitié de ce que Dieu
nous envoye. Je connois qu'il vous aime bien, puisqu'il vous envoye
tant d'argent à la fois; & ainsi il quitta le pauvre
Païsan, qui fut bien-aise d'être sorti à
si bon conte d'entre les mains de ce Voleur.
Comme Guilleri prit prisonnier
les Prevôts de Niort & de la Rochelle.
Une autre fois
qu'il se promenoit dans les bois de la Chasteniere, où il
faisoit ordinairement sa demeure avec ses camarades, il rencontra un
messager de Monsieur de la Rocheboisseau, Prevôt de Niort,
qu'il envoya à la Rochelle devers le grand Prevôt
pour le prier de le venir trouver en un sien Château
à six lieuës de la Rochelle, pour prendre Guilleri,
qui étoit assûrement dans le bois de la
Chasteniere, comme des gens qui l'avoient vû le certifioient.
Ce Voleur ayant
pris ledit Messager, & lui ayant fait confesser le sujet de son
voyage, prend lui-même ses Lettres, se déguise en
habit de Messager, & s'en va à la Rochelle porter le
paquet au Prevôt, l'ayant reçû &
lû ce qui étoit dedans, monta tout aussi
tôt à cheval avec dix de ses
Archers, & se mit en chemin avec le Messager qui les
devoit conduire au lieu assigné.
Avant de partir
pour la Rochelle, il avoit commandé à ses gens de
s'embusquer dans le bois, bien armez, & qu'aussi-tôt
qu'ils le verroient avec le Prevôt ils sortissent de leur
embuscade, l'entourassent si bien, qu'il ne se pût sauver, ny
aucun de ses gens, sans toutefois les maltraiter aucunement. Cela fut
fait comme il avoit proposé : car ayant conduit le
Prevôt avec ses Archers au plus épais du bois, en
un sentier si à l'improviste, qu'ils eurent plutôt
saisi ces pauvres Archers, qu'ils n'eussent le moyen de se mettre en
défense. Après les avoir saisis, on leur
ôta leurs casques, & Guilleri les fit vêtir
à ses gens attachant ses pauvres preneurs, qui
s'étoient laissé prendre, à des
arbres, sans leur faire autre mal, & étant montez
sur les chevaux des Archers, il se résolut aussi d'attraper
le Prevôt de Niort, mais avant que d'executer son dessein, il
se transporta en un Château à demie lieuë
de là, qu'il sçavoit être plein de
richesses, que plusieurs fois il avoit tâché de
dérober, sans en être jamais venu à
bout, parce qu'on y faisoit trop bonne garde. Y étant
arrivé avec ses gens, on lui ouvrit incontinent les portes,
croyant que ce fut le Prevôt, à cause des casaques
que ses gens avoient vêtûës. Entrez qu'ils
furent, n'y trouvant que les serviteurs, ils prirent ce que bon leur
sembla, sans aucun empêchement, & après
s'être chargés de meubles & d'argent, ils
les emporterent où il avoient accoutumé de cacher
leurs voleries, puis allerent où Rocheboisseau les
attendoit. Y étant arrivez ils ne voulurent mettre pied
à terre, de peur d'être reconnus, mais dirent au
Prevôt de se hâter pour aller prendre Guilleri qui
étoit dans un logis à l'issuë du bois de
la Chasteniere, avec deux de ses hommes. Ils monterent à
cheval, & vont ensemble au lieu où le
Prevôt de la Rochelle étoit
attâché & gardé par
dix voleurs. Y étant arrivez & ses gens, les
empoignerent, ne leur donnant pas le loisir de se défendre,
& les lierent comme les autres. Pensez de quel
étonnement furent saisis ces pauvres prisonniers, qui
pensoient prendre celuy qui les prit. Jamais homme ne fut plus saisi
d'étonnement, ne sçachant comment
échapper des mains de ce voleur.
Guilleri
après les avoir bien mocqués les fit
détacher, leur faisant rendre tout ce qui leur appartenoit
& les renvoya, leur disant de se garder une autrefois de ses
mains, car ils ne sortiroient pas à si bon conte.
Comme Guilleri rencontra le
Prevôt de Fontenay, avec ses Archers.
Une autre fois,
habillé en Hermite, il trouva le Prevôt de
Fontenay qui s'en alloit à la Rochelle. Après
qu'il l'eût salué, il le pria de lui faire un
plaisir. Et quel plaisir voulez-vous que je vous fasse, dit le
Prévôt ? C'est, dit l'Hermite, d'aller prendre
Guilleri qui est à un quart de lieuë d'icy dans une
maison où il dîne avec trois de ses hommes.
Comment le sçavez-vous, dit le Prévôt ?
parce qu'il m'a volé, dit l'Hermite.
Le
Prévôt croïoit déja tenir
Guilleri, le pria de le conduire où il étoit, ce
que l'Hermite fit, l'abusant si bien de ses paroles qu'il l'enferma au
lieu ou ses gens l'attendoient, qui se jettant sur le
Prévôt & ses Archers leur
ôterent leurs casaques sans leur faire d'autre mal.
Or comme la
fortune lui avoit toûjours montré bon visage, elle
lui voulut faire voir un tour de son accoûtumée
inconstance. Les Prévôts de Niort & de la
Rochelle cherchant les moyens de se venger de l'affront qu'ils avoient
reçû, le vinrent surprendre, environnant la maison
de toutes parts, si bien qu'il étoit impossible de
se pouvoir sauver. Mais Guilleri ne craignant Dieu, ni diable, ayant
exhorté ses gens à la defense, sortit le premier,
monté sur un cheval, le pistolet en main, passe à
travers les ennemis, & se sauvai. Trois des autres furent pris
avec son frere, auquel on tua le cheval sous lui, & menez
à Xaintes, où ils furent rompus vifs, &
leurs corps mis à la voirie.
Comme il fut averti de la mort
de son Frere.
Guilleri
étant averti de la mort de son Frere, ses plaintes
commencerent à sortir du profond de son estomach qui eussent
été capables d'émouvoir les Tigres
à pitié. II se fût tué de sa
main, sans le confort de ses gens. II detestoit le Ciel &
maudissoit son malheur. Deslors le ver de sa conscience
commença à ronger son cœur, lui
présentant qu'il lui faudroit faire un jour une mort
semblable à celle de son frere, s'il ne changeoit de vie. Il
se mit deslors sur ses gardes, ne s'exposant plus au hazard
d'être pris comme auparavant. La mort se
présentoit à tous momens devant ses yeux,
& la crainte d'être pris ne l'abandonnoit jamais. Il
ne songeoit qu'à se retirer en quelque lieu inconnu pour y
passer le reste de ses jours dans la crainte de Dieu.
Si je voulois
m'étendre à décrire les ruses
& subtilitez qu'il fit pendant qu'il menoit la vie de voleur,
il faudroit un volume entier, & non pas un abregé,
auquel je me suis obligé dès le commencement.
Plusieurs ont éprouvé sa curiosité;
car ceux qu'il rencontroit qui n'avoient point d'argent il leur en
donnoit, & à ceux qui en avoient il leur en prenoit
la moitié. Il haïssoit les meurtriers, & si
quelqu'un de ses gens avoit fait quelque meurtre, il les
châtioit aigrement. Ses ruses étoient si subtiles
que jamais les cautelles des plus rusés Prevôts ne
furent capables de trouver aucune invention pour le surprendre : au
contraire, le plus souvent il les surprenoit, &
s'étant mocqué d'eux les laissoit aller.
Plusieurs tiennent
qu'il avoit un esprit familier, qui le conduisoit en ses entreprises,
j'en laisse le jugement à leur discretion, & me tais
sur ce point. Je me contenteray de ce que j'ay écrit de sa
vie, afin de n'être trop prolixe. Je décriray
seulement sa fin lamentable, qu'il devoit plûtôt
terminer en quelque bataille, au service de son Roy, où en
quelque honnête employ, que sur une roüe, pour
servir d'exemple à ses semblables.
Comme Guilleri exhorta ses
Compagnons à changer de vie.
De tous ceux que
Guilleri avoit avec lui pour mener la vie de voleurs, il ne lui en
restoit plus que quinze, & les ayant un jour assemblez pour
consulter de leurs affaires il leur dit : Vous n'ignorez pas, mes amis,
la vie que nous avons menée depuis neuf ou dix ans que nous
sommes dans ce bois, & que par le moyen d'icelle nous
méritons un châtiment exemplaire, qui ne nous peut
manquer, si nous continuons davantage nos déportemens,
puisque Dieu ne laisse aucune méchanceté impunie,
bien qu'il attende souvent le pécheur pour voir s'il se
convertira. Ce n'est pas d'aujourd'huy que nous avons vû des
exemples remarquables de ses Jugemens : mon frere nous doit servir
d'exemple pour considerer nos actions je déplore grandement
le desastre de sa jeunesse, considerez le peril où nous
sommes : le Roy est averti de nos déportemens, sa juste
fureur ne nous laissera jamais échapper sans punition
condigne à nos mérites. Croyez moi nous avons
assez de moyens pour passer le reste de nos jours en quelque pays
où nous ne soïons point connu, & ce faisant
éviterons le châtiment qui nous menace. Ses
compagnons saisis d'autant, ou plus de peur que lui, firent
réponse qu'ils étoient prêts de faire
tout ce qu'il voudroit. Entendant leur bonne volonté, il les
remercia & leur donna à chacun une bonne somme
d'argent, & les renvoya ainsi n'en retenant que deux ausquels
il se fioit le plus.
Quant à
lui il prit son chemin vers Bordeaux, déguisé en
Gentilhomme, & vint à St. Justin, & s'y
étant arrêté quelques jours, il jugea
qu'il ne pouvoit trouver de lieu plus commode pour sa retraite que
cette Ville, qui étoit assez écartée
du monde, & en un lieu des plus secrets de la France.
Il n'y eut pas
séjourné long-tems que tout le beau monde voulut
le connoître, lui témoignant beaucoup d'affection
pour les belles qualités qu'il possedoit & les rares
perfections dont il étoit doüé. D'autre
part il se disoit Gentil-homme ce qu'on croyoit d'autant plus qu'il
étoit liberal & courtois. Tandis que la fortune lui
fut favorable il ne manquoit point d'amis, mais deslors qu'elle lui eut
tourné le dos, il n'y eut personne pour lui.
Comment Guilleri devint amoureux.
Pendant qu'il se
fait connoître par ses liberalités &
courtoisies, la fortune lui présenta un beau parti pour son
avancement. Une jeune Veuve devint amoureuse de lui, lui
déclara sa passion, & le pria de la voir souvent,
puisque sa compagnie lui étoit plus agréable que
chose du monde.
Lors qu'il vit que
cette veuve l'aimoit tendrement, & jugeant que s'il la pouvoit
épouser il vivroit à son aise mais le
misérable comptoit sans son hôte, comme dit le
proverbe; car au lieu de son profit ce fut sa perte.
Il voulut
paroître plus que jamais pour complaire à sa
Maîtresse, & pour mieux parvenir à son
dessein, il pria quelques Gentils-hommes de ses amis de parler au pere
de la veuve touchant son mariage. Ils s'employerent si bien
pour cet affaire que le mariage fut conclu, les nôces se
firent avec grande pompe & magnificence. Le voilà
élevé à un des plus hauts degrez de la
fortune : il se baignoit dans ses délices, croyant que
personne ne le connoîtroit : mais le miserable ne considerant
pas que Dieu sçavoit tous ses secrets.
Il avoit joui
trois ans du doux fruit de son mariage : mais sa retraite n'avoit pas
été si bien couverte, que plusieurs ne fussent
informez du lieu de sa demeure : entre autre un Marchand de Bordeaux
à qui il avoit autrefois volé deux mille francs.
Ce Marchand
assuré du lieu de sa retraite, présente
Requête au Prévôt, le supplie de lui
donner main forte pour prendre un voleur qui s'étoit
retiré à Saint Justin qui l'avoit volé
autrefois près de la Rochelle. Le Prevôt
même s'y achemine, avec quinze ou seize de ses Archers bien
armés.
Il arrive
à la porte du Château ou Guilleri demeuroit.
C'étoit au mois de May sur les quatre heures du matin, il
heurta à la porte, & demanda à parler au
Maître du logis qui entendant qu'on le demandoit, saute du
lit en chemise, & prenant un pistolet à la main,
descend au portail de sa maison, l'ouvre & demande qui est ce
qui le demandoit ? le Prevôt avoit fait cacher les hommes
derriere une muraille qui joignoit la porte du Château,
n'ayant avec lui qu'un seul homme, qui voyant que Guilleri avoit ouvert
la porte, s'aprocha, le priant de sortir, disant qu'il lui vouloit
parler, le pauvre malheureux croyant que ce fût un de ses
amis, sort dehors & s'aproche du Prevôt, qui feignant
de lui parler d'une affaire de consequence, ses gens s'avancerent pour
le saisir. Guilleri connoissant leur dessein, se jetta dans un bois
distant d'environ deux mille pas du Château. Ils le
poursuivirent là dedans : mais se voyant pressé,
il lâcha son pistolet dans la tête du
cheval du Prévôt, & mourut entre ses
jambes.
Le
Prévôt se voyant sans cheval le poursuivit
à pied, ses gens le voyant ainsi le remonterent sur un de
leurs chevaux afin de le pouvoir joindre ; mais cependant il se sauva
au plus épais du bois, & leur fut impossible de le
pouvoir prendre.
Se voyant en cet
état, il commença à se lamenter, il se
voyoit en chemise, sans moyens, & il n'osoit retourner chez
lui, de peur d'être pris. Il ne sçait
où aller, toutes choses lui sont suspectes, il craint qu'on
ne le suive partout. Après qu'il eut assés
tournoyé par les haves & buissons il se trouva enfin
à l'issuë du bois, en un lieu assez
éloigné des maisons & lieux habitables.
Se voyant là il ne sçavoit à quoy se
résoudre. Enfin il se souvint d'un cache qu'il
sçavoit au bois de la Châteniere, quand il en
partit pour se retirer à Saint Justin. Il prend
résolution d'y aller voir si elle y étoit encore,
puis s'en accommoder & se retirer hors du Royaume.
Etant à
Bourdeaux il s'embarqua dans un batteau pour aller à
Blaïe, & étant dans icelui il fut reconnu
par un Marchand de Xaintes, qui l'avoit vû plusieurs fois. Au
commencement il eut peine à le connoître, mais
l'ayant bien vû, il le reconnut fort bien. Etant
assuré de son fait, il ne dit mot, & ayant pris
terre à Royan il remarqua où Guilleri se
retiroit, & l'ayant vû entrer dans
l'hôpital, il s'en alla avertir le
Prévôt de la Ville qui s'y transporta incontinent
pour le saisir. Il demanda ce pauvre qui ne venoit que d'entrer,
& lui aïant montré, il lui demanda
d'où il venoit ? Je viens de Bourdeaux, dit-il. Le
Prévôt lui demanda de quelle profession es-tu ?
Jardinier : Et bien, dit le Prévôt, j'ai un jardin
à cultiver je vous prend donc pour le gouverner, &
ainsi le mena de l'hôpital dans la prison, & comme il
passoit par une petite rüe étroite, voicy un homme
qui se jette sur le Jardinier, disant : Ah voleur ! c'est maintenant
que tu me rendras les quatre-vingt écus que tu me pris sur
le chemin de la Rochelle. Le misérable se voyant
découvert ne sçut que dire.
Le
Prévôt voulu sçavoir ce que
c'étoit ; C'est un Voleur, dit-il, qui m'a pris quatre-vingt
écus : c'est Guilleri, Capitaine des Voleurs : Oüi,
dit Guilleri je ne le peut nier, car je vois que Dieu me veut
châtier de mes fautes. A ces paroles le
Prévôt ne demanda d'autre preuve, le conduit aux
prisons de la Rochelle, où il fut rompu tout vif pour
châtiment de ses voleries.
Voilà la fin de ce malheureux Voleur, qui croyoit éviter les justes châtimens de Dieu par sa fuite. FIN.
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