Madame Deshoulières
Antoinette du Ligier de La Garde
(1638-1694)

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La Mort de Cochon
(Chien de M. le Maréchal de Vivonne)
Tragédie
(1688)

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ACTEURS

GRISETTE, Chatte de Madame Deshoulieres, Amante de Cochon.
MIMY, Chatte de Mademoiselle Deshoulieres, Amant de Grisette.
MARMUSE, Chat de Madame Deshoulieres, Confident de Mimy.
CAFAR, Chat des Minimes de Chaillot, Député des Chats du Village.
TROUPES de Chats du voisinage.
L'AMOUR.

La Scene est à Paris,
dans la Maison de Madame Deshoulieres.
Le Théâtre s'ouvre,
et représente une Terrasse de plein pied aux Gouttières.

 
SCÈNE PREMIÈRE
MIMY, MARMUSE,
CHOEURS DE CHATS DU VOISINAGE.

MIMY.

JE ne puis plus souffrir les rigueurs dont Grisette
            Paye mes soins et mon tourment ;
Pour Cochon, tu le sais, l'ingrate me maltraite.
            Ciel ! quel déréglement !
Une Chate choisit un Chien pour son amant !
            Conçois-tu bien, mon cher Marmuse
            L'excès des peines que je sens ?
                       Depuis deux ans
Un vilain Chien possède un coeur qu'on me refuse.

MARMUSE.

           A votre désespoir, Mimy,
Je ne puis exprimer combien je suis sensible ;
J'ai vers la belle gloire une pente terrible ;
            Et de plus, je suis votre ami.
            Croyez-moi, quittez une Chatte
            Assez peu délicate
Pour préférer un Chien au plus parfait des Chats.

MIMY.

Je ne saurois cesser d'adorer ses appas.
Mais il faut aujourd'hui que ma vengeance éclate.
            Ami, ne m'abandonne pas ;
Viens m'aider à punir une maîtresse ingrate.

MARMUSE.

Quand il faut vous servir, pour moi rien n'est sacré.
            Allons, je vous offre ma patte,
            Disposez-en à votre gré.


SCÈNE II
MIMY, MARMUSE, CAFAR,
CHOEUR DE CHATS DU VOISINAGE.

CAFAR.

APPRENEZ, beaux Matous, une grande nouvelle.
            Cochon vient de perdre le jour ;
            Une rage affreuse et cruelle
A Grisette a ravi l'objet de son amour.

MARMUSE.

            Le coeur de Grisette
            Est donc à louer,
            Avec la coquette
            Qui veut se jouer ?
            Pour moi, qui me pense
            Un Chat d'importance,
            Je ne ferai rien
            Qui vous fasse dire
            Que mon coeur aspire
            Aux restes d'un Chien.

MIMY.

Quelle main favorable a lavé notre injure
            Dans le sang de ce Chien maudit :
            Cafar, faites-nous le récit
            De cette agréable aventure.

MARMUSE.

Ne vas pas imiter le style triomphant
D’un genre de Mortels que Beaux-Esprits on nomme.
La Mouche entre leurs mains devient un Éléphant ;
Et l’on pourroit aller de Paris jusqu’à Rome,
Avant qu’ils eussent dit le chagrin d’un enfant
            A qui l’on dérobe une pomme.

CAFAR.

            Je n’ai garde d’être si sot.
Un village ici près, qu’on appelle Chaillot,
Agréable, abondant, vaste, peuplé tout comme…

MARMUSE.

Justement, t’y voilà. Nous pouvons faire une somme
Avant que nous soyons à la mort de Cochon.
Harangueur fastueux, dont l’éloquence assomme?
Puisse-t-on de ta peau bientôt faire un manchon !

CAFAR à Mimy.

            Ce fou vous est-il nécessaire ?

MIMY.

Ne vous amusez pas à ses emportemens.

CAFAR.

            Sachez donc que depuis un tems,
Chaillot est devenu le séjour ordinaire
D’un Maréchal vaillant comme défunt César,
Sage comme un Caton, savant comme un Homère.

MARMUSE.

            Alte-là, mon ami Cafar ;
            L’éloge n’est pas ton affaire.
            Nous connoissons ce Maréchal,
            Ce qu’il a fait, ce qu’il peut faire :
            Et nous l’aimons, foi d’animal.

CAFAR, à Mimy.

            Ne voulez-vous pas faire taire
            Ce petit frippon de Matou ?

MIMY, à Marmuse.

Ah ! Marmuse, écoutez, si vous voulez me plaire.

MARMUSE.

Qu’il me soit donc permis, de bâiller tout mon soul.

CAFAR.

Cochon trop orgueilleux des faveurs de son maître,
De tous les autres Chiens attirant le courroux,
C’en est trop, dirent-ils, vengeons-nous, vengeons-nous.
            Il faut nous défaire d’un traître.
La rage à cet instant vient s’offrir devant eux :
Qu’un de vous aujourd’hui, dit-elle, me reçoive ;
            Sans qu’on s’en apperçoive,
            Je punirai cet orgueilleux.
            Cirron, sans tarder davantage,
Ouvre toute son ame à la cruelle rage.
            D’abord ce Chien adroit
            Parcourut le village,
Puis vint prendre Cochon par un vilain endroit,
            Et l’envoya là-bas tout droit.

MIMY.

La fortune pour nous devient donc favorable.
            Ce Chien, ce rival redoutable,
Pour qui nos tendres soins ont été négligés,
A subi des destins l’arrêt irrévocable ;
Mais peut-être les maux dont l’Amour nous accable
            N’en seront pas plus soulagés.
Grisette pleurera ses plaisirs dérangés.
            Quand on aime, est-ce un avantage
De voir du fier objet à qui l’on rend hommage
            Les beaux yeux toujours affligés ?

CHŒUR DE CHATS.

Miaou, miaou, nous sommes tous vengés.

MARMUSE, à Mimy.

Au lieu de vous répandre en de belles paroles,
Nous ferions mieux d’aller à pas bien ménagés,
            Dérober là-bas quelques soles,
Ou de certains chapons de graisse tous chargés,
            Que je sais qu’on n’a pas mangés.

MIMY.

            Marmuse, un autre soin m’occupe.

MARMUSE.

En Héros de Roman, comme une franche dupe,
            Cher Ami, vous vous érigez.

CHŒUR DE CHATS.

Miaou, miaou, nous sommes tous vengés.


SCÈNE III
GRISETTE, MIMY, MARMUSE, CAFAR,
CHOEUR DE CHATS DU VOISINAGE.

GRISETTE.

            Cruels Matous, qu’osez-vous dire ?
            Songez-vous que vous m’outragez ?

CHŒUR DE CHATS.

Miaou, miaou, nous sommes tous vengés.

GRISETTE.

A mes cruels ennuis je ne saurois suffire.
Mon juste désespoir va finir mes malheurs ;
Miaou, miaou, coulez, coulez mes pleurs.
            Malgré la haine naturelle
Que le Ciel, en naissant, imprima dans nos cœurs,
            Cochon désarma mes rigueurs,
Et je perdis pour lui le beau nom de cruelle.
Miaou, miaou, coulez, coulez mes pleurs.

MARMUSE.

Grisette, rougissez de vos folles douleurs.

CHŒUR DE CHATS.

Grisette, rougissez de vos folles douleurs.

GRISETTE.

Non, ce n’est point assez de pleurer ce que j’aime,
            Son trépas demande le mien.
            Mourons pour cet illustre Chien ;
A ses mânes errans immolons-nous nous-même.
Non, ce n’est point assez de pleurer ce que j’aime,
            Son trépas demande le mien.

MIMY.

Ce n’est donc pas assez, Chatte injuste et barbare,
            D’avoir trahi votre gloire
            Par une passion bizarre ?
Quand la mort d’un rival rallume mon espoir,
            Il faut encor me faire voir
Tout ce qu’à mon amour votre douleur prépare ?
Craignez que cette patte… Ah ! ma raison s’égare.
            Je frissonne… Je meurs…..

MARMUSE, à Mimy.

Bon soir.

à Grisette.

            C’est un diable quand on l’irrite ;
Ne vous exposez pas à son ardent courroux :
A contenter ses feux tout en lui vous invite.
            Cochon n’avoit d’autre mérite
Que celui d’être aimé d’un Héros et de vous.

GRISETTE.

Son choix autorisoit ma fatale foiblesse.
On sait pour mon amant la douleur qui le presse.
Mon cher Cochon étoit le plus beau des Toutous.
Miaou, miaou.

MARMUSE.

            Peste de Miaous !
            Beauté capricieuse,
            Soyez un peu moins précieuse ;
Le ridicule suit de bien près les grands goûts.
            Cet assemblage de merveilles,
            Ce Cochon, ce Chien tant aimé,
            Etoit sans queue et sans oreilles.
Il fut, dit-on, sauvé de l’égoût de Marseille ;
            Et Cochon fut nommé,
Tant il avoit de l’air de cette bête immonde.
Il sortoit de sa gueule une certaine odeur
Qui se faisoit sentir de cent pas à la ronde.
Il ne lui restoit plus qu’un œil distilateur.
C’étoit, à cela près, le plus beau Chien du monde.

GRISETTE.

            Non, Cochon étoit fait
            Pour emflammer un cœur.

CHŒUR DE CHATS.

            Pour faire mal au cœur.

MARMUSE.

            Durant tout le cour de sa vie
Il ne se passa jour, je n’en excepte aucun,
            Qu’il ne lui prit une sincère envie
            De dévorer toujours quelqu’un :
Chapons, Perdrix, entroient dans sa pance profonde,
            Sans qu’il prit soin de les mâcher.
Caresses ni bienfaits ne pouvoient le toucher ;
C’étoit, à cela près, le meilleur Chien du monde.

GRISETTE.

Ose-t-on à mon cœur porter de pareils coups !
            Ah ! que d’horreurs, et quel blasphême,
            Redoutez, médisans Matous,
            Redoutez ma fureur extrême ;
            Tremblez, tremblez tous.
Toi, divine Vénus, dont je suis descendue,
            Viens ici défendre mes droits.
Ne laisse pas pour moi ta tendresse inconnue ;
            Punis des Habitans des Toits
            La brutale et dure insolence.
            C’est en moi ton sang qu’on offense.

MARMUSE.

            Nous redoutons peu sa vengeance ;
Un Chat au bord du Nil fut jadis son époux,
            Et nous avons fait connoissance
            Tandis qu’elle étoit parmi nous.
Cessez donc d’invoquer la charmante Déesse ;
            Redonnez-vous à votre espèce,
            Votre destin sera plus doux.

CHŒUR DE CHATS.

            Redonnez-vous à votre espèce,
            Votre destin sera plus doux.

GRISETTE.

            Je dois à Cochon ma tendresse.
Dussiez-vous être encor mille fois plus jaloux.
Vous verrez à quel point pour lui je m’intéresse.

CHŒUR DE CHATS.

            Redonnez-vous à votre espèce,
            Votre destin sera plus doux.

MARMUSE.
Menuet.

            Il faut n’être pas mal folle
            Pour aimer un amant mort.
            Les Humains en sont d’accord :
            On apprend à leur école
            Que l’absent a toujours tort.

MIMY.

            L’ingrate a déjà fait retraite,
            Elle fuit mes feux irrités.
            Ah ! cruelle Chatte, arrêtez,
            Grisette, Grisette, Grisette.

CHŒUR DE CHATS.

            Grisette, Grisette, Grisette.
            Ah ! cruelle Chatte, arrêtez.


SCÈNE IV
L'AMOUR, MIMY, MARMUSE,
CHOEUR DE CHATS.

L'AMOUR à califourchon sur une gouttiere.

            TENDRE Matou, laissez-la faire :
            Votre infortune finira ;
J'en jure par mon arc, j'en jure par ma mère.
            La constance est une chimère,
            Dont Grisette se lassera.

CHOEURS DE CHATS.

Croyons, croyons l'Amour ; ce Dieu nous vengera.

FIN.

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