René-Louis Doyon
(1885-1966)
LÉAUTAUD
PAR CI, PAR LA ET AILLEURS
(1959)
POUR
M. G. D'ANGERVILLE
PETITE DECOUVERTE.
Dans « Le Mercure » du 1er septembre 1937, Léautaud a écrit une page admirable de ton, de justesse, d'équilibre, de langue même intitulée Portrait de mon père. On sait combien il s'appliqua, après bien des hésitations, à écrire In Memoriam publié maintenant avec Le petit ami (Mercure de France). Ce texte définitif est plus long, mais pour les débuts paternels, il n'a ni l'intensité ni le relief de la leçon signalée. Sans doute, les personnages décrits par Léautaud offrent souvent plus d'intérêt par leur portrait que par leurs traits. Leur image, leur comportement, leur souvenir s'accrochent à un homme tellement attachant, à un écrivain si « présent » dans tout ce qu'il écrit qu'il les entraîne dans son orbe et avec eux le souci qu'il en a et l'opinion qu'il s'en fait. C'est ainsi que Firmin Léautaud, si peu sympathique, s'offre avec bien des curiosités. Léautaud le dit natif de Fours dans les Basses-Alpes, ce qui ne convainc guère pour des origines provençales. Il semble même que ce nom soit plutôt du nord et ce qui inclinerait à adopter cette origine, c'est que Firmin Léautaud fut élève et lauréat du Conservatoire de Lille de 1866 à 1868 et y obtint un prix de tragédie. La capitale des Flandres françaises est bien éloignée de Barcelonnette ! Mais cela est sans importance ; ce qui vaut plus de précision, c'est le rôle que joua au Théâtre du Français cet acteur même quand il ne joua plus et en devint le souffleur. Paul Léautaud, tout en signalant une connaissance étendue des rôles tenus par son père, des pièces qu'il aimait, semble ignorer qu'il remplit une fonction qui est très importante dans le théâtre contemporain. « Metteur en scène ». On indique maintenant le nom de ce directeur d'action, de ce responsable du jeu sur les affiches et les programmes comme la garantie supplémentaire d'un nouveau spectacle ; bien plus, cet agent spécialisé est, en général, associé aux aléas et aux revenus de la nouvelle entreprise. Firmin Léautaud fut metteur en scène accrédité rue de Richelieu, et j'en ai eu le témoignage en cette circonstance : un ancien acteur, M. Romain Gantois, de Mons, ayant lu accidentellement une de mes notes sur Paul Léautaud me demanda s'il avait quelque parenté avec un F. Léautaud dont il avait suivi la mise en scène très pratique de L'Etincelle d'Edouard Pailleron. Il m'apporta la plaquette (édition Calmann et d'après la grébige, p. 57, cette édition date de 1910); elle était doublée d'indications à l'encre rouge copiées, m'assura-t-il, sur le texte de la mise en scène « qu'on achetait à M. Léautaud ou à l'éditeur ». J'écrivis aussitôt à Paul Léautaud cette découverte, qui me répondit aussitôt : « Il s'agit certainement de mon père, Firmin Léautaud ». Comme il ne manifesta aucune curiosité pour avoir le document, je le rendis à son propriétaire sans n'y plus songer. C'est en relisant Portrait de mon père et In Memoriam que j'eus des scrupules ; je voulus récupérer le document et M.. Romain Gantois, en heureuse santé, me l'a confié et m'a précisé que les indications autographes à l'encre rouge étaient transcrites du texte original et qu'elles étaient si précises et si utiles qu'un acteur n'avait qu'à les suivre exactement pour que le jeu soit bon. Or en consultant la plaquette, on lit au dos du grand titre à la suite de personnages, l'indication suivante : « S'adresser, pour la mise en scène détaillée et le plan du décor, à M. Léautaud au Théâtre Français ». Cette mention doit figurer encore dans les éditions des différentes pièces dont Firmin Léautaud fut certainement le metteur en scène, ce qu'a paru ignorer son mémorialiste de fils. Il y va aussi de ma faute, car si j'avais lu la notice et lui avait adressé la plaquette, il aurait profité de ces quelques indications pour nourrir sa curieuse évocation qui, si elle manque de tendresse, n'est pas dépourvue d'émotion et de tristesse. Léautaud a paru attacher peu d'importance au rôle paternel évidemment singulier et peu favorable à faire aimer ce retraité fourbu, atrabilaire, fatigué dont les activités diversifiées avaient été trop intenses. Il manque même de précision pour ses funérailles. Par discrétion, je n'ai jamais voulu lui indiquer une notice fort bien faite et qui maintient dans les annales du théâtre le nom d'un pauvre souffleur, d'un acteur qui fut bon sans atteindre au succès. On la lit dans une curieuse Histoire du théâtre en deux volumes in-4° publiée probablement vers 1912 et connue des curieux sous son titre : Dictionnaire des comédiens français (ceux d'hier) par Henry Lyonnet. C'est un ouvrage très utile et d'une solide information, avec même des portraits et des dessins. Voici le texte concernant le père et que le fils semble avoir ignoré mais non ses lecteurs actuels : Léautaud Firmin Isidore, Prix de Tragédie du Conservatoire de Lille 1866-1868, Paris 1869. Odéon 1870-74. Souffleur à la Comédie-Française 1875 et années suivantes. Retraité comme tel, Courbevoie 1897-1903. En 1898, 64 ans ; 39 ans de théâtre, 500 francs de pension. Les obsèques de Léautaud furent célébrées le 27 février 1903 à Courbevoie ; la plus grande partie du personnel de la Comédie, avec M. Claretie à sa tête, y assistait. Ainsi sont vérifiés certains détails : la date de naissance de Firmin que calculait Paul est bien 1834 ; un séjour à Lille que le fils paraissait avoir ignoré, ses rôles à l'Odéon. Peut-être aurait-il aspiré au Français ? Son goût de Paris avec les facilités que le grouillement féminin assurait à ses copieux appétits lui ont fait opter pour le métier de souffleur, à défaut d'acteur sur la première scène française. Son rôle de « metteur en scène » a dû lui valoir un certain renom et quelques revenus supplémentaires ; cela composa son « aura » professionnelle. Le mémorialiste lui a forgé la paternelle en rude métal ; elle n'est évidemment pas de vermeil mais elle a des angles et des reliefs si vrais que nous les acceptons avec tout ce que Léautaud nous a détaillé.
UN PIÈGE.
Comme bien d'autres, j'ai postulé l'honneur de republier Le petit ami et, avec une obstination inflexible, son auteur a toujours opposé un refus. Des maisons nouvelles indiquaient — on ne sait sur quels espoirs — le titre précieux dans leurs collections ; aucune n'obtint — même à pourcentage élevé — les facilités pour un tirage même restreint, illustré ou non. Bien plus, un aventurier de la bouquinerie lança un bulletin de souscription et les crédules bibliophiles en furent pour leurs pertes, car l'entrepreneur — aussi peu autorisé que ses confrères — se contenta de garder les avances imprudentes à 800 francs l'exemplaire, il y a une vingtaine d'années. Pour ma part, je voulus contourner cette opposition et je décidai de publier clandestinement la suite du Petit ami que j'avais détachée du Mercure et qui a été ajouté dans la réédition attendue (Mercure, 1956) sous le titre Amours. Je devais imprimer cela en Hollande sous une enseigne fallacieuse et l'écoulement en eût été facile et rapide ; mais voilà ! Je ne voulais ni tromper ni voler Léautaud. J'eusse accompli mon dessein, j'en aurais payé les droits certes, mais l'auteur aurait pris le fait comme une offense sans pardon. Je lui écrivis tout simplement que je désirais faire un joli volume de ce texte touchant, de cette chronique amoureuse, cet échec après l'autre, le grand, l'irréparable ; et Léautaud de me répondre : « Si ce texte avait dû être édité, il y a longtemps que ce serait fait » et de me remercier. Eh ! bien, ce que les scrupules m'ont empêché de réaliser, un coquin de Hollandais l'a entrepris avec succès et profit. Il n'y a guère un catalogue hollandais annonçait une impression assez récente et dispendieuse ; Le petit ami réalisé à Amsterdam à un petit nombre et criblée de coquilles dues à une méconnaissance du français ; elle était cotée 20.000 francs et rejoignait comme prix les exemplaires de l'originale. J'en référais immédiatement à Léautaud qui me répondit — et l'aveu dut lui en coûter — qu'il avait été sollicité par un Hollandais, il ne savait pour quelle œuvre, qu'il avait cédé pour une somme forfaitaire qu'en définitive il ne reçut jamais. Il dut certes posséder un ou deux exemplaires puisqu'il savait ce sur quoi je demandais des précisions ; son ton embarrassé en disait assez pour révéler une mortification. Avoir résisté pendant plus de trente ans aux offres les plus avantageuses et se voir berné aussi sottement, il n'y avait pas de quoi être satisfait et s'en voir reprocher la cause par moi ! voilà qui dut lui faire esquisser sa grimace caractéristique.
UNE FACULTÉ TROMPEUSE.
On devrait se défier des personnes qui écrivent un journal ; on ne sait jamais comment elles vont transcrire ce qu'elles entendent, voient, rapportent et souvent déforment. Certes P. Léautaud offre beaucoup de garanties pour la sincérité de ses opinions. La mémoire qu'on n'a pas en vain définie : cette faculté qui oublie, n'est pas toujours chez lui très exacte ni quelque fois peu scrupuleuse. On ne lui en fait pas procès ; on ajuste. J'ai déjà signalé les incertitudes et les variations de son affaire Mortier. Je reviens maintenant à un fait personnel qu'il faut soumettre à l'équité. On lit en effet dans « Le journal Littéraire » (Mercure de France) 31 mai 1920 : « R.L.D... le directeur de la Connaissance m'avait dit qu'il allait m'envoyer quelque chose qui probablement me plairait. Le portrait d'un homme qui aime beaucoup les bêtes et peu les hommes. Reçu aujourd'hui, une sorte de portrait d'une trentaine de lignes à paraître dans le prochain n°... c'est enfantin », et une page en deçà, il rajoute : « J'oubliais de noter, à propos du portrait de R.L.D., je me suis amusé, il y a quelques jours, à écrire en quelques lignes un portrait de moi pour servir de prétexte en le donnant comme publié par un journal, à écrire quelques lignes dans une chronique sur la condition d'un écrivain d'aujourd'hui. C'est autrement véridique et libre que le petit morceau de Doyon ». Il est regrettable de ne pas avoir ce portrait-type autographique, véridique et libre. Je pense même que c'est à cause de mon esquisse que P. Léautaud m'abordait peu après en me signalant que j'avais une drôle de manière de louer mes amis. Diable ! Je compris qu'il fallait être roide, juste et sans épanchement, ce que je fus par la suite et Léautaud m'en a assez chaleureusement complimenté pour n'insister pas sur ces réussites ; toutefois j'ai voulu relire ce premier portrait d'un écrivain que je respectais certes ,d'un auteur de qui l'unique roman et le roman unique me bouleverse encore, et, sans hésiter puisqu'il n'est lisible que dans une rare collection de la revue «La Connaissance» (lre année N° 5 mai 1920 p. 468), je le soumets sans en changer une virgule, à la judiciaire du lecteur qui en mesurera la simplesse, la sincérité et la liberté encore que je connaissais peu celui qui en était l'occasion. Cela s'intitulait : UN ICONOCLASTE (et pas autrement) : « P. L. dans les allées du petit Luxembourg, caressait un chien perdu. En ces temps-là, on parlait de rationner un pain noir et ceux qui avaient à nourrir de doux animaux songeaient avec angoisse à diminuer leur part congrue pour la partager avec leurs innocents pensionnaires; P.L. en hébergeait 15 déjà et ce surcroît de « famille » motivait le pli d'inquiétude qui barrait son front soucieux ; il releva ses lunettes, attacha une laisse au collier sans nom, et, excusant son geste, il murmura : « Ils m'apprennent un peu à aimer les hommes ! ». Tel est l'auteur du Petit Ami, roman en quoi chacun a vu une œuvre remarquable. Mais, ne vous y fiez pas ! son auteur observe ; il note, collige, retient. Sa probité littéraire ne connaît pas la camaraderie ; il a de l'amitié pour tel écrivain ; cela n'arrêtera point l'exécution du bas-bleu, femme du dit. La maison dont il est une des colonnes publie telle œuvre d'une autre femme ; celle-ci recevra son jugement cinglant ; le grotesque le fait rire, le tartuffe le fait rugir ; il mord quand il faut ; le cœur de L. est tendre, la plume de Boissard est une vigoureuse trique ; il a dépeint des athlètes et marqué au fer rouge leur front prétentieux ; c'est la juste manière de les envoyer dans la... gloire. Comme chez tous les combatifs parfois les coups portent, font naître en lui une hésitation, qui sait ? un remords. Cependant, il se ressaisit ; l'honnêteté est un garant. Tant pis pour les sots. Et qui a vu P.L., partir pour sa demeure chargé de croûtons destinés à ses chiens trouvés ne reconnaîtrait pas en lui l'ennemi des faux-dieux, mais ne se tromperait point en disant : voilà un brave homme ! ». Tel est le corps du délit. Un ami m'avait parlé du mal que se donnait Léautaud pour les animaux ; il me l'avait dépeint chargé comme j'ai dit et où il l'avait rencontré. Que ce soit enfantin, j'en suis d'accord, mais en quoi cela manque-t-il de vérité et de liberté ? on se perdra en conjectures car, par la suite, nous devions mieux encore nous entendre sur la question animaux perdus, soins à donner, et le reste. Il a su que moins libre et moins heureux que lui, les chats perdus ont amené à celui qui les avoue les pires infortunes. J'ai cependant repris le portrait sous cet aspect. Léautaud protecteur et collecteur d'animaux perdus. On sait qu'en 1942 la nouvelle d'une mort prématurée de P. L. avait été diffusée dans les journaux de la zone non occupée. Il répondit à ces oraisons funèbres anthumes avec beaucoup de vigueur et d'ironie dans la N.R.F. même concluant par ce trait : « Partie remise ! » Je ne manquais pas non plus de l'occasion pour écrire un nouveau portrait de r écrivain « (Livrets du Mandarin », n° 3, janvier 1942) sous le titre opportun Amusements d'exil ou les Archontes jugés par Narcisse, et je ne reçus aucun reproche car, en ces temps de malheur, je rencontrais assez fréquemment l'ermite de Fontenay. Sous le même angle, j'écrivis une autre notice dans « La Protection des Animaux » (Lyon, 2e trimestre 1955, n° 154) uniquement consacrée à la louange du défenseur des animaux et j'en concluais : « Cet écrivain, si maître de sa plume, a un souci vraiment humain des bêtes et il mérite d'être cité en exemple comme nous le citons à l'honneur. Le nom de P. L. est un honneur et une représentation exemplaires pour ceux qui défendent de leur mieux les bêtes sans liberté, sans protection, et nous trouvons que ce fleuron supplémentaire ne dépare point sa couronne s'il n'en est pas le plus beau joyau... ». En attendant de trouver dans un Journal Littéraire à paraître, un peu moins épuré que le dernier ?, une mercuriale pour cette note, je n'ose mettre à sa suite ces déclarations virulentes d'André Rouveyre dans le « Bulletin de Paris », émaillées de : Animal, Cloporte, Clown, Comédien, Maniaque, etc.. ; Il n'a plus de bêtes que pour la montre... Le reste n'est pas moins violent et peut être exhaustif. Ce n'est pas le lieu de prévenir une injure qui me sera servie un jour ou l'autre par le torrent de cruautés servies par son ami André Rouveyre. Que chacun s'accommode de ces faits et en délibère.
LA BRETAGNE ÉLUE.
Si Léautaud a failli être soldat, il a hésité à devenir juge de paix. Le puissant Berthelot qui a fait si heureusement démobiliser l'auxiliaire de 1914, l'infernal soldat qui arrivait aux Invalides avec une capote et un pantalon de velours, ou avec un pantalon militaire et une veste d'apparat, ou tournait à gauche quand un sergent indiquait la droite. L'ancien saute-ruisseau que le même Berthelot a failli faire nommer juge de paix (et à tout prendre il aurait fait un magistrat raisonnable et bien supérieur à celui que j'ai subi l'an dernier gonflé de toxines sébacées, de son importance et de ses ambitions), ce même Léautaud a été et demeure un vrai Parisien, un de ces hommes né dans cette ville attachante si on l'apprend bien et vous prend mieux. Un vrai Parisien ne saurait s'en éloigner sans vertigo et sans mélancolie. Léautaud était un de ces citadins comme on n'en trouve plus guère qui accomplissaient à pied toutes leurs courses et connaissaient tous les coins. Parmi ces vrais piétons (et pas taximanes comme ce lyrique J. P. Fargue), il faut rappeler le rageur Lucien Descaves qui, du fond de son XIVe, arrivait à la rue de Richelieu, (la fortune tard-venue lui infligea une auto). Et le père Leclerc, que j'ai évoqué dans Mémoire d'Homme à la grande joie de Blaise Cendras qui croyait être seul à le connaître et m'en a écrit une lettre pittoresque, Léautaud donc quoiqu'il en ait écrit et en dépit de quelques courtes évasions, n'aurait pu quitter Paris. Sans doute sa vicieuse panthère l'a conduit en basse-Bretagne où il vint, plus pour cette femelle que pour le pays. Il nous en a conté cependant que peut-être, etc., Enfin vous l'imaginez juge de paix, en promenade aux environs de Pornic, suivi d'un chien et harcelé par son chameau, pardon sa panthère ? Moi, fort mal ! Toutefois j'ai par raccroc provoqué un aveu d'élection. Voici comment : un instituteur cultivé et passionné de lecture, un breton pas gallo mais bretonnant d'origine, de séjour mais non séparatiste m'avait écrit pour informations livresques, puis par amitié, elle dure encore ! Dans nos échanges épistolaires, le nom de Léautaud fut avancé car M. E. Olier était déjà un client littéraire du Petit Ami. C'était pendant la dure occupation. Je rencontrais de fois à autre Léautaud ou lui écrivais au besoin. Je lui transmis ainsi, pensant lui être agréable, la lettre de mon correspondant très passionné du solitaire de Fontenay. Après tout si cela l'embête, il me gourmandera comme il le fit une fois avec une fermeté réfrigérante parce que j'avais usé d'une formule trop affective ! Le résultat fut le plus opposé à ma crainte. Mon ami reçut la lettre que voici : elle intéressera par les divers incidents évoqués et par ce rêve, cette velléité, d'aller achever sur les bords de l'Océan, une existence déjà assez longue.
Fontenay-aux-Roses, le 6 décembre 1943
Monsieur, M.R.L.D. m'a envoyé copie, dans une lettre que vous lui avez écrite, d'un passage me concernant. Je me découvre ainsi un lecteur que je ne me soupçonnais pas et il me semble que je peux biert vous remercier de la sympathie que vous exprimez pour la nouvelle {fausse) de ma mort, résultat d'une erreur de radio certainement, et non d'un dessein, et pour mon congédiement du « Mercure » (1). J'ai été en effet liquidé par un nouveau directeur, mégalomane et grisé de son ascension, après 45 ans de collaboration à la revue et 33 ans dans mon emploi de secrétaire lequel, si mal payé qu'il fût, représentait la principale de mes ressources. J'ai pris la chose de la meilleure manière possible. De pareils tours ont toujours quelque chose de réjouissant par un côté. Je me suis seulement permis de dire à ce malheureux qui se prend pour ce qu'il n'est pas, qu'il me faisait quitter une maison qui était peut-être plus la mienne que la sienne... Etes-vous breton ou êtes-vous en Bretagne seulement par carrière? de 1914 à vers 1934 ; j'allais chaque année à plusieurs reprises en Bretagne du côté de Nantes un peu proche de la Vendée. J'ai fait aussi un petit voyage de traversée de Saint-Malo à Saint-Nazaire. (Je veux dire traversée terrestre). Le premier jour, ce pays m'a conquis, parisien pourtant et fils, de parisien. Je ne sais quoi vous dire : Le ciel, la campagne, l'air, le ton de ce pays. Je ne dépenserais pas 10 francs pour aller dans le midi. J'ai rêvé un moment d'aller vivre mes dernières années tranquilles dans un coin breton retiré où ma rêverie aurait nourri son paysage... avec mes sentiments distingués P. L. Ces aveux spontanés ne sont-ils pas touchants ? Si mon correspondant s'enorgueillit en toute raison d'avoir reçu un tel témoignage, les lecteurs du Mandarin méritaient bien d'en avoir la révélation. LE PAUVRE RICTUS ET LE TRISTE BERNOUARD. Léautaud n'eut aucune estime littéraire pour Jehan Rictus. En eut-il une autre ? C'est fort douteux. Ici mes souvenirs, mais non les documents qui ont échappé à sa légataire-à-tirages multiples et aux deux complices de celle-ci, vont montrer la perspicacité, la malice et même le bon sens du bonhomme consacré sans ambition et sans profit, sinon pour ses garniaires, uniquement à sa passion littéraire et à ses jeux. Parmi les 26.000 lettres reçues par le poète et qui figurent dans le fonds que j'ai inventorié et classé après lecture, il n'y a qu'une lettre adressée par Léautaud à J. Rictus à l'occasion de Fil-de-Fer, et encore est-elle consacrée par la bande à louer un animal ! La langue artificielle, même artificieuse et souvent stercoraire de Rictus, a déplu au puriste qu'était Léautaud, capable des plus audacieuses peintures, des plus indiscrets aveux (l'héritière en a tiré déjà un large profit) mais répugnant à toute grossièreté et vulgarité écrites. Ses faiblesses sont en petit nombre et malgré sa rude liberté, il n'a jamais usé du mot que l'histoire a menteusement prêté à un général plutôt moins que loquace. Les lecteurs des Soliloques se gargarisent des nombreuses saillies dont l'une fut cruellement pastichée par Laurent Tailhade (2). Léautaud a cependant connu Rictus au « Mercure », d'où le poète pour son plus grand dam, s'est évadé et s'est imprudemment jeté dans les bras de son ami d'enfance Rey qui a vécu de lui et l'a maintenu sous un contrat draconien jamais élargi et toujours mal rétribué depuis la première édition illustrée par Steinlen jusqu'aux tirages dont son successeur tire encore bénéfice. Rictus, ce velléitaire, voulait chaque année sortir de ce lit de Procuste, mais il n'y parvint jamais tandis qu'avec le strict mais probe Vallette, il eût gagné le plus régulier pourcentage. Léautaud savait tout cela et le reste. Un jour cependant, il partit en guerre dans un numéro du « Figaro Littéraire » avec un article plein de bon sens et de cruauté, article omis dans le commercial Léautaud (Gallimard) de sa palpeuse de revenus. Ce fut comme à plaisir, d'une rosserie autant que d'une vérité exemplaires. Il parut en octobre 1933, précédant de peu de jours la mort du poète. Je crains fort que les lecteurs de Rictus et de Léautaud n'aient gardé ce magnifique pamphlet et on me remerciera (même les collecteurs intéressés) de les dispenser d'une recherche et d'une copie. Voici ce texte qui était fort curieusement encadré à gauche d'un Rictus long, effilé, vêtu d'un long par-dessus allant jusqu'aux pieds, tenant de sa main droite et sur son cœur un gibus à reflets, appuyé sur une cheminée garnie de colifichets et donnant toute l'apparence d'un riche gandin à barbe, avec une mention indiquant : « Rictus en 1892» (ce qui peut paraître douteux) et sommé à droite de la photo d'un Rictus en casquette et aux poils blancs avec la mention : « Aujourd'hui » : Une pension à M. Jehan Rictus, auteur des « Soliloques du pauvre » ? Il paraît que la ville de Paris a institué une sorte de pension à donner à un écrivain parisien, arrivé à la [in de sa carrière sans avoir [ait fortune. Il en jouit sa vie durant. A sa mort, elle passe à un autre. On a parlé, comme bénéficiaire de cette libéralité, de M. Jehan Rictus, l'auteur des « Soliloques du pauvre » qui firent sensation il y a quelque trente ans dans ces établissements de Montmartre dénommés « Cabarets Artistiques ». Jusqu'où l'art va-t-il se nicher ? Tous les goûts sont dans la nature. Certains écrivains préfèrent assurer leur vie matérielle par un emploi, ce qu'on appelle, d'un terme peu joli, et inexact à mon sens, le second métier, ce qui reste à considérer la Littérature comme un autre métier, et faire tranquillement leur œuvre au petit bonheur de leur talent et de leur réussite. M. Jehan Rictus qui était dans sa jeunesse employé à la Préfecture de la Seine (il serait sans doute sous-chef de bureau aujourd'hui et à son aise, à moins d'incapacité ce qui est fort possible) a préféré quitter cette situation de tout repos pour se faire poète de cabarets. Je le répète, chacun son goût. Où le comique passe les bornes, c'est quand on voit les journaux à propos de cette pension donnée à M. Jehan Rictus faire de lui avec ses « Soliloques du Pauvre » le descendant de Villon ! « Notre Villon » retrouvé dans ses poèmes ? La même veine qui anime les Ballades du pauvre François ! Sapristi ! Quelle connaissance de l'œuvre ont donc ces appréciateurs ? L'ont-ils jamais lu pour errer à ce point et décerner à M. Jehan Rictus des lauriers qui sont à cent lieues de son front ? Rien de plus facile à comparer : Les poésies du Grand Testament à côté des « Soliloques » ! La merveilleuse langue des premières si pure, si savante, si évocatrice, resté si jeune, après tant de siècles, ces vers d'une émotion si pleine, si profondément humaine qu'elle émeut encore et qu'ils semblent écrits d'hier. Jamais un trait ni un mot vulgaire en dépit des sujets traités. C'est à la fois le très grand art et la perfection de la simplicité. Les Soliloques du Pauvre approchés de cela, comparés à cela, prétendus continuer cela et rappeler ! voyons ! C'est une plaisanterie qu'on a déjà faite sans qu'elle tînt davantage pour M. Jean Richepin qui avait un autre talent et était un autre poète que M. Jehan Rictus ! Les Soliloques du Pauvre sont, à dire vrai, de la basse littérature, grossière et vulgaire, de la poésie bien faite pour les endroits où elle est débitée, pour tout dire d'un mot assez répugnante et faite surtout d'artifices et de trucs. Villon n'a absolument rien à y voir. Cela n'empêche pas que nous avons vu revenir ces jours-ci les mêmes comparaisons à propos de la Légion d'honneur donnée à M. Jehan Rictus. En cette circonstance comme dans la première, pour nous peindre la triste situation dans laquelle se trouve M. Jehan Rictus, on a rehaussé les mérites littéraires du poète, les mérites domestiques de l'homme : M. Jehan Rictus lave son linge lui-même, il fait son ménage et sa cuisine lui-même. Mon Dieu ! Si vous voulez mon avis, à l'époque à laquelle nous sommes, où tout est si cher, un homme même plus ou moins écrivain qui n'est pas riche, qui a tout son temps libre, qui lave lui-même son linge et fait lui-même son ménage et sa cuisine, je ne vois rien là d'extraordinaire. C'est mon cas à moi-même que mes petits travaux littéraires n'ont pas enrichi et qui n'ai jamais d'ailleurs attendu d'eux ce résultat. Je lave mon linge de corps, je fais moi-même mon marché, ma cuisine et mon ménage, je me raccommode moi-même, cela même sans être favorisé de tout mon loisir comme M. Jehan Rictus... Si à l'opposé de l'opinion que j'ai, ce sont là de sî grands mérites, de si grands titres aux pensions et aux honneurs, je ne demande pas la Légion d'honneur, mais je demande une pension pour acheter du charbon pour ma lessive. (Figaro Illustré, oct. 1953). Le brûlot n'aurait choqué personne. Rictus avait demandé et obtenu la Légion d'honneur, à l'occasion de quoi on pourra lire une lettre bien salace de Jossot passé de l'anarchie parisienne à la soumission islamique et qui ne pouvait digérer le pseudo-aristocratisme de son ancien révolté (3). Le bruit courait alors de lui donner ce prix de La Ville de Paris alors moins important que celui qu'on jette en pâture au pauvre pseudo descendant du père Dumas par la cuisse d'une grand'mère ou d'un protozoaire de la catastrophique Eugénie et quelque oncle ; que ces deux occurences aient agacé et même indigné le solitaire de Fontenay, rien de moins étonnant. Si l'on n'a pas trop tripatouillé et cisaillé dans Le Journal Littéraire, on constate que Léautaud ne parle pas de Rictus, et aux funérailles auxquelles j'assistais avec Alfred Vallette et Henri Bachelin, Léautaud ne parut point ; il n'alla pas non plus satisfaire sa curiosité de nécrophile. Vallette seul représentait son premier éditeur et moi son dernier. C'était signe d'indifférence et de moquerie, A quelque temps de là, une association de videurs de soucoupes dans des brasseries du Quartier avait pris pour étiquette « Les Amis de 1914 », et un nommé Bernouard l'agitait. Est-il besoin de mentionner qu'il y eut une séance d'indignation pour faire un panégyrique du poète et le procès injurieux d'un écrivain qui n'en a pas moins continué sa vie digne, solitaire et pauvre. Les épithètes dépassèrent la mesure et le Bernouard en fut prodigue. Mais au fait qui est ce Bernouard ? un poétaillon élégant étrangement, se faufilant dans certains milieux littéraires, tapant ceux-ci et vivant de ceux-là et d'autres. Il fut la première fois remarqué quand au cours d'une tournée théâtrale, il s'avisa de payer une tournée au grand étonnement des invités ; il jeta une pièce d'or sur le comptoir, et la pièce fit une si étrange musique qu'on devait bientôt apprendre que Bernouard avait quelques accointances avec les faux-monnayeurs chers à André Gide et à d'autres ; il avait écoulé quelques louis de verre si savamment confectionnés. Je me rappelle qu'en 1914, une femme vicieuse, claudicante et pittoresque tenait un salon bien singulier derrière la Closerie des Lilas ; elle aimait la bonne cuisine ; Albert de Berseaucourt qui commençait à s'y transformer en éponge, le joli Georgette et beaucoup de jeunes gens y fréquentaient. Quand cette Mme Danville repérait un éphèbe de son goût et qu'elle lui offrait un costume, son monde n'avait besoin d'aucune révélation. Ainsi, feu Jehan Desthieux eut un complet opportun et je m'enfuis de ce salon périlleux pour ne pas m'en voir offrir. Pas de mérite, Mme D... n'avait pour mon goût aucun attrait, encore qu'elle était douce et montrait un savoir étendu et raffiné ; elle était plus drôle à rencontrer dans les lieux clandestins dont je parlerai quelque jour, qu'à connaître par les sens. Un jour une jeune écervelée qui opérait un naïf début dans ce salon où les abandons étaient de rigueur ou de pratique, était allongée au bas d'un canapé sur lequel dormait un vague militaire Bernouard ; dans un déplacement, son livret militaire tomba et la jeune dinde le ramassa, lut au hasard et demanda tout haut avec une naïveté sans retenue : « qu'est-ce que çà veut dire : Le soldat Bernouard subira une peine pour avoir été contaminé par les troupes noires ! ». Du coup, tout le monde pâlit, toussa, cria et Bernouard réveillé arracha son livret à l'innocente de qui jamais plus le nom ne lui fut prononcé sans voir « sa chevelure se dresser et l'injure naître à ses lèvres ». Beaucoup plus tard le même homme fonda une maison d'édition qui avait une rose pour emblème ; il n'eut aucun souci des droits à payer, ni de la pureté des textes. Une banque, La Banque Populaire et Paysanne, je crois, eut la crédulité de lui avancer les premières sommes qui lui servirent à publier Les Œuvres Complètes de ceux-ci et de ceux-là, à un tirage beaucoup plus illimité que le collophon ne l'indiquait (Onestus faber ! ) et comme il ne remboursait rien, la Banque le poursuivit, le fit condamner ; il usa de toutes les ficelles juridiques pour échapper à l'arme ; et au dernier assaut, près d'être saisi, l'honnête entrepreneur avec un complice que je ne désignerai ni par son nom ni par son nouveau nom vendit à un soldeur tous les beaux papiers qui lui restaient, puis tous deux partirent jouir de leurs vacances ainsi assurées ! Je fus étonné d'apprendre ces faits par Henri Bachelin qui, lui, était probe et qui avait été alors nommé liquidateur de l'affaire en même temps que du « Monde Nouveau » failli aussi. J'y avais publié sans rien toucher La mise au tombeau. Henri Bachelin m'offrit sur ce qui lui restait en caisse de payer une part de mon dû. Je me contentai de prendre les quelques exemplaires qui restaient. C'est à cette occasion qu'on sut que Bernouard appartenait aux services de l'Intérieur, qu'il était intouchable, et en fait, les Allemands ,si barbares avec ses coreligionnaires, ceux qui ont tué Max Jacob, Tristan Bernard et d'autres ont laissé vivre ce singulier éditeur à qui je refusais aux Deux Magots où il agitait une chevelure jaune et des élégances nouvelles en 1944, tout salut et tout rapport. Il tenta aussi les « Œuvres Complètes de Léon Bloy ». On sait ce qu'il en advint ; il tira à tours de presse, ne paya rien ni personne et quand on vint pour instrumenter, Bernouard avait fui même ce monde, marié dit-on, mais ayant passé sa rose et ses produits à un tiers insolvable ! Les millions des Bloyens éblouis sont encore en perspective ! Tel est le type, admiré de Billy, (il est vraiment pervers !) qui mena le bal ; oh ! pas même satanique, contre Léautaud dans l'occurence. Des larmes de crocodile, des protestations de comptoirs, des injures grossières, des menaces même de bas orateur, tel fut le bilan de cette entreprise. Le temps passa. En 1943, je fus par hasard désigné pour inventorier le fonds Rictus agréé par les Successions Vacantes. On sait que nul n'est plus allé au fond des secrets du pauvre poète. Les uns m'ont rendu justice pour l'œuvre de précision que j'ai menée à bien ; d'autres m'ont dit sans pitié. Je n'ai obéi qu'à ma curiosité et à mon désir du vrai, du vivant. Après la lecture de ce prodigieux diaire, j'avais l'esprit agacé par les limites, la vanité, le vide de J. Rictus. J'en sortais ému par cette vie solitaire, cahotée et toujours conditionnée par le succès prolongé d'une seule œuvre, si bien que je rêvais d'écrire un roman dont voici, avec le titre, les données : Le Géant Pygmée ou Le Pygmée Géant : j'hésitais entre ceci et cela. Je voyais sur une couverture un homme long, effilé, accoté à un bec de gaz et dominant Montmartre et Paris que son ombre recouvrait et sur l'autre un Montmartre élancé au bas de quoi le même bec de gaz et le même homme étaient devenus un tout petit détail couvert d'ombre. Cela me passionnait à concevoir ; je dois avoir même ébauché ce roman douloureux : l'enfant, le solitaire, le pauvre, puis le lauréat, le glorieux, l'atmosphère de Montmartre, les aventures du bel homme, père d'un enfant qu'il nia, etc., etc., un beau drame, je vous assure (en rêve). Un jour en sortant de la Bibliothèque Nationale, je rencontrai Paul Léautaud. Il paraissait me voir sans déplaisir. Je n'éprouvais pas encore d'épreinte à lui parler. Après quelques aménités, je lui demandai conseil et lui exposai mon plan, sa réponse fut catégorique : Ah ! A quoi bon cette affabulation ? ce que vous avez écrit sur lui est bon et c'est bien suffisant ! Il n'en ajouta rien de plus, et j'ai laissé dormir mon projet à peine esquissé.
AMOURS.
Arnold van Gennep m'indiquait un jour une boutique d'antiquaire qui était la première maison entre la rue de Seine et la rue Mazarine. L'immeuble a été démoli pour un semblant de square. La tenancière du lieu fort amène, me disait-il, fut un certain temps la seule amie de Léautaud, mais, ajoutait-il, elle ne put se faire en aucune façon à l'odeur désagréable dont les chats réfugiés empoisonnaient l'atmosphère de sa demeure, et elle avait ajouté à mon confident qu'elle n'y résistait plus et le quittait. On trouvera sans doute des indices de cet échange peu durable dans quelque « Journal » ; ça n'est point mon affaire. Ce qu'il faut retenir de cette confidence, c'est que Léautaud eut beaucoup d'aventures très superficielles soldées en un échec. Marius Boisson avançait non sans raison peut-être, que Vallette en donnant le titre à ce livre émouvant et bien à part Le Petit Ami y avait mis malice, sachant les « Petits moyens » de cet amoureux aussi mesuré et tatillon dans ses aventures que dans la littérature qui fut sa véritable déesse. Cela nous est indifférent. Je serais incliné à croire que les beaux bibelots qu'il admirait et relève dans ce chef-d'œuvre : Ma Pièce préférée sont peut-être le don de cette respectable antiquaire. La confidence rapportée ici remonte à 1926. Depuis il a eu bien d'autres liaisons et bien d'autres femmes ont joué avec lui un rôle fugitif ou un sentimental et spéculatif, « Oh ! Marie ! endors-moi entre tes bras », quoi ? des dérivatifs, des nervosités, des besoins de détente sans noblesse mais suffisants. L'homme en souffrait plus qu'il ne l'a avoué, mais il est aisé de dénoncer cette bravade ; au vrai, il n'eut qu'un idéal érotique et amoureux : cette mère retrouvée, cette mère légère, devenue une autre et retrouvée trop tard, Il ne s'est jamais consolé de cette carence, de cette défaite, de ce vide. Le reste est banal, petite ou grande secousse ; un surgeon de vanité, une preuve à soi-même de virilité, de courage et peut-être d'héroïsme. Tout cela n'est que poussière, au regard du cas manifeste d'un homme voué à la littérature et dont l'évolution lente est manifeste. Le Petit Ami demeure avec 4 ou 5 confessions d'amour les plus sincères, les plus courageuses, une réussite unique. Sans doute, Léautaud n'y a pas atteint cette étincelante pureté où il arrive dans des récits comme Ma Pièce Préférée et d'autres pages ; on est étonné même quand on l'a pratiqué pendant tant d'années, sans fléchissement d'admiration, de trouver — avec l'excuse d'une première œuvre — des faiblesses, des abandons, disons même des banalités qu'on ne retrouvera jamais plus. Dans la moindre de ses pages, c'est un étonnement de retenir au-dessus de l'émotion qui court dans ce drame psychologique des mots et expressions qui traversent une surface d'une harmonique unité, tels que : Cunctation, Chouette, Miche, La tendresse passerait avant les contributions... Je m'en fiche comme l'an 40... ça chauffait... Rigolons ! Enfin, le seul mais le détestable jeu de mots que lui inspire la nomenclature des courtisanes de qui il est secrétaire, confident et même l'ami, le tendre ami comme cette douloureuse Perruche ; L'indicateur des grues de Paris ! Passons condamnation. Un jeune écrivain peut avoir de telles maladresses. Mais quelle vérité, quelle grandeur, quelle pureté dans ces bruits de cuvettes, ces concupiscences, cette recherche enfin de vide du cœur ! Si l'on veut la mesure sentimentale unie parfaitement à la littéraire, qu'on écoute ce texte émouvant : Propos d'un jour qu'il a enregistré lui-même (4). Un auditeur averti ne sera pas dupe d'une superficielle ironie ; c'est un magnifique discours sur le désarroi de ce cœur, sur la tristesse de ce couchant, sur le vide de ses amours et le regret d'une vie où il a manqué une mère, une déesse. Les autres occasions, les fiançailles, les servitudes, les faiblesses, les palpeuses portent le mépris qu'elles inspirent avec les bienfaits qu'elles en ont tirés. Nous préférons connaître derrière cette manière de bravache menaçant toujours le destin et insultant aux fortunes non sans amertume, un écorché qui n'est pas si aveugle pour ne pas toucher ses plaies, et leur refuser un dictamen. Nous préférons cet écrivain qui atteint une perfection quelle que soit sa mesure et nous comprenons que l'écrivain, le cabot, l'ironiste, le joujou de ses tyranes, reste pour nous un type étonnant.
Supplément à la bibliographie de Léautaud.
La chère héritière de Léautaud a eu beau utiliser deux complices pour dresser un biblio-iconographie ; elle n'a pas réussi à la produire complète, donc insuffisamment honnête et sérieuse. Son Léautaud (Gallimard) sent la hâte de passer première à peu de frais et de vite gagner encore. Nous n'avons pas à nous en occuper, mais nous allons compléter cette entreprise. Voici pour combler des lacunes de textes cités. BIBLIOGRAPHIE 1. LA CONNAISSANCE 1920. 5 mai Un Iconoclaste. (Voir plus haut l'écho de P. L. lui-même). 2. LA VIE LITTERAIRE. 5 septembre 1923. Paul Léautaud et Maurice Boissard (nous n'avons pas gardé le texte de cet article qui ne doit avoir aucune importance). 3. LES LIVRETS DU MANDARIN, n° 2, mars 1931. Un écrivain : Paul Léautaud-Boissard, texte qui a été salué par une lettre fort belle de P. L. 4. LES LIVRETS DU MANDARIN, n° 3, janvier 1942. Amusements d'Exil. Les Archontes jugés par Narcisse. 5. LA PROTECTION DES ANIMAUX : Défense des animaux (à la louange de P. L.) Lyon, 2e trimestre 1955. 6. LES PROPOS SUBVERSIFS DU MANDARIN (tirés de Quo Vadis et publiés sous couverture à 200 ex.), mars 1955. Un fils naturel de Stendhal. 7. LES PROPOS SUBVERSIFS DU MANDARIN, n° 4, 1955. Une mort insolite, un livre insolent. Commentaire du volume de Robert Mallet : Une mort ambiguë. Cette étude a suscité une lettre de P. L. et une de Roger Martin du Gard. 8. LES LIVRETS DU MANDARIN, n° 1 (6e Série ) Léautaud par ci, par là. Les témoignages qui ont souligné ces différentes études peuvent se passer de la bibliographie officielle. Ne figure pas non plus dans le factum incriminé : 9 et 10. LIVRES DE FRANCE juillet 1956, 7e année, n° 6, 12 pages avec une très bonne iconographie, et Le Figaro Illustré, octobre 1933 avec l'article analysé plus haut. ICONOGRAPHIE Voici les indications iconographiques défaillantes : Il existe un portrait de Laboureur, un crayon de Pierre Gandon, un dessin à la plume de Simon-Auguste. Le portrait d'Edmond Heuzé est la propriété d'André Billy. Il n'est pas fait mention des portraits exécutés par Mlle Lefèvre ; pas davantage des 2 portraits à l'huile d'Emile Compard ni de la caricature du même (Voir le dernier Livret). On lit dans les Cahiers Paul Verlaine, n° 39-40 (mars-avril 1956) un article d'André Guibert-Lassalle sur sa dernière rencontre avec P.L. et signalant la présence du peintre Simon-Auguste exécutant un portrait dont on trouve la reproduction dans le catalogue à Galliéra d'une Exposition : Les Peintres Témoignage de leur temps. Ce serait le dernier portrait ; peut-être est-il acheté par Carnavalet ? Les serviteurs de l'héritière n'auront qu'à s'informer. On sait que le portrait de Matisse vendu 45.000 par intermédiaire a été acheté par André Rouveyre 75.000. Quant au Journal Littéraire (Mercure de France) le tome VI est celui qui est le plus condensé, le plus expéditif, le plus libertin, voire pornographique. Pour la première fois, une table onomastique le complète ; tant pis pour les 5 premiers qui n'ont pas eu d'auxiliaires pour ce travail. A la question posée : Est-il amputé ? On peut répondre sans erreur : Certainement et abondamment ; outre les redites, les retours du velléitaire, les dires de P. Léautaud sont souvent erronés, et peuvent passer pour injurieux, voire calomniateurs. Les éditeurs entre tels handicaps ne peuvent qu'être embarrassés et contraints à cisailler. Certains lecteurs qui ne sont pas prêts à suivre l'indiscret témoin perdent pied ; ils n'ont pas connu non plus les personnages qui reviennent sans cesse. Pour les autres, mieux informés, ils le suivront jusqu'au bout, trouvant plaisir et parfois régal à retrouver jusque dans ses fariboles et ses faiblesses cet incomparable mémorialiste. NOTES : (1) Bernard, employé au secrétariat, devint directeur du « Mercure» à la mort de Vallette et crut tout avaler même en collaborant sans vergogne. Il congédia brutalement P. L., je pense avec une indemnité insuffisante. A mes questions, il haussait les épaules. A la libération Bernard fut arrêté, jugé sévèrement et mourut ruiné et devenu fou. (2) Je renvoie une fois pour toutes à mon Rictus devant lui-même, Tailhade et Bloy, épuisé maintenant malgré près de 4000 exemplaires en circulation. (3) On la trouvera dans « Les Livrets du Mandarin », 5e série, n°1, avril 1956. (3) A Lis, Ecoute, 16, rue Delambre Paris, on trouvera ce disque et un autre ; mais j'adjure mes lecteurs à connaître cette belle page qui est une Haute Fidélité de la Pensée, de la Parole et de la Voix de P. L. (texte
non relu
après saisie, 11.11.14)
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