Marc-Antoine
Désaugiers
(1772-1827)
Que de tableaux on a faits de
cette grande capitale de la
France et de la civilisation ! sous combien d’aspects, en effet,
on peut
la peindre ! Mercier, ce bizarre écrivain, ou plutôt
fabricateur d’écrits
en tout genre, qui se donnait tant de peine pour singer
l’originalité, fut le
premier qui entreprit ce portrait en grand. Jusque-là, on
s’était borné à en
décrire les monuments et les édifices ; il voulut en
retracer aussi les
usages et les mœurs. Son Tableau de
Paris ne manquait point, dans quelques
parties, d’observation et de vérité ; mais un philosophisme frondeur et
bavard, un manque presque total de vues saines et
élevées, condamnaient cette
œuvre à la médiocrité. Son style, sans correction
et sans couleur, acheva de la
vouer à l’oubli. Aussi n’en reste-t-il guère aujourd’hui
dans nos souvenirs que
cet arrêt porté sur elle par un ingénieux
critique : « Livre
pensé
dans la rue et écrit sur la borne ! »
Mercier, toutefois, se crut, d’après cette ébauche, promu en quelque sorte à l’emploi de peintre officiel et permanent de notre capitale. En 1796, il en recommençait le tableau sous le titre du Nouveau Paris ; mais cette fois ce fut pis encore. Outre ses divagations personnelles, il y entassa les doctrines et rêveries politiques de l’époque : ce qui en rendit la lecture dès lors très fastidieuse, et aujourd’hui à peu près impossible. Au temps où il avait
entrepris son premier travail, c’était
tenter une espèce de voyage de découvertes dans cette
cité-monde. Il en avait
laissé beaucoup à faire à ses successeurs, et
vingt années de révolutions les
avaient multipliées pour eux. Aussi un assez grand nombre
d’observateurs se
lancèrent dans cette carrière, avec plus ou moins de
succès. Salgues, Gallois,
Saint-Victor, Dulaure, etc., y consacrèrent tour à tour
leurs pinceaux.
Ajoutons que, pour justifier un adage de nos jours :
Tout
s’entreprend par compagnie.
La capitale a
également fourni le sujets de deux ouvrages
assez volumineux, éclos de l’association de divers
écrivains, le Livre des
Cent-Un, et le Nouveau
Tableau de Paris.
Paris a aussi inspiré,
comme on sait, des compositions moins
graves ; ainsi le spirituel Ermite
de la Chaussée-d’Antin en crayonna,
sous l’Empire, avec une légèreté railleuse les
mœurs et les ridicules, et
Picard voulut en transporter sur le théâtre le panorama
critique ; mais il
fut moins heureux avec la Grande
Ville qu’avec la Petite.
Depuis longtemps la
Poésie avait aussi trouvé des couleurs
sur sa palette pour retracer au moins quelques traits de la physionomie
de
cette vaste cité, et la verve satyrique de Boileau en avait les embarras,
qui, de nos jours, auraient fourni un ample supplément à
ses descriptions.
Désaugiers ne voulut pas que la Chanson fût
déshérité dans ce partage ; il
saisit, pour faire poser Paris
devant lui, l’instant où le portrait devait
être et rester le plus vrai, cinq
heures du matin, moment où n’ayant point
encore fait sa toilette, Paris s’offrait à lui
…….
Dans le simple appareil
D’une cité qui vient d’échapper au sommeil. Grâce à cet
habile choix, ce tableau a conservé, après un
demi-siècle, toute sa fraîcheur, tout son coloris. Son
exécution finie l’a
rendu il est vrai l’un des chefs-d’œuvre de son auteur. Là ne
brille pas
seulement sa vive et franche gaité ; observation fine,
critique maligne,
morale enjouée, tout s’y trouve réuni et disposé
avec un art qui a tout le
charme du naturel.
Dans cette production,
Désaugiers s’imposa en outre la tâche
et mérita le prix de la difficulté vaincue par le choix
de son rythme. Sur la
contredanse du Ballet de la
rosière, de Gardel aîné, il fit courir pour
ainsi
dire une foule de vers rapides, courts et légers, de rimes
redoublées, qui
constituent ce que l’on appelle chez nous le couplet de facture. C’est un
mérite de plus, quand il n’a rien coûté au sens, au
goût et à la vérité ;
et, à tous ces titres, cette jolie miniature restera l’un des
ornements de
notre Musée lyrique.
OURRY, membre du
Caveau moderne.
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L’ombre s’évapore Et déjà l’aurore De ses rayons dore Les toits alentours Les lampes pâlissent, Les maisons blanchissent Les marchés s’emplissent : On a vu le jour. De la Villette Dans sa charrette, Suzon brouette Ses fleurs sur le quai, Et de Vincenne, Gros-Pierre amène Ses fruits que traîne Un âne efflanqué. Déjà l'épicière, Déjà la fruitière, Déjà l'écaillère Sautent au bas du lit. L'ouvrier travaille, L'écrivain rimaille, Le fainéant baille, Et le savant lit. J'entends Javotte, Portant sa hotte, Crier : Carotte, Panais et chou-fleur ! Perçant et grêle, Son cri se mêle A la voix frêle Du noir ramoneur. |
L'huissier carillonne, Attend, jure, sonne, Ressonne, et la bonne, Qui l'entend trop bien, Maudissant le traître, Du lit de son maître Prompte à disparaître, Regagne le sien. Gentille, accorte Devant ma porte Perrette apporte Son lait encor chaud ; Et la portière, Sous la gouttière, Pend la volière De Dame Margot. Le joueur avide, La mine livide, et la bourse vide, Rentre en fulminant ; Et sur son passage, L'ivrogne, plus sage, Rêvant son breuvage, Ronfle en fredonnant. Tout, chez Hortense, Est en cadence ; On chante, on danse, Joue, et cætera... Et sur la pierre Un pauvre hère, La nuit entière, Souffrit et pleura. |
Le malade sonne, Afin qu'on lui donne La drogue qu'ordonne Son vieux médecin ; Tandis que sa belle, Que l'amour appelle, Au plaisir fidèle, Feint d'aller au bain. Quand vers Cythère, La solitaire, Avec mystère, Dirige ses pas, La diligence Part pour Mayence, Bordeaux, Florence, Ou les Pays-Bas. « Adieu donc, mon père, Adieu donc, mon frère, Adieu donc, ma mère, - Adieu, mes petits. » Les chevaux hennissent, Les fouets retentissent, Les vitres frémissent : Les voilà partis. |
Dans chaque rue, Plus parcourue, La foule accrue Grossit tout à coup : Grands, valetaille, Vieillards, marmaille, Bourgeois, canaille, Abondent partout. Ah ! quelle cohue ! Ma tête est perdue, Moulue et fendue, Où donc me cacher ! Jamais mon oreille N'eut frayeur pareille... Tout Paris s'éveille... Allons nous coucher. |