Georges Eekhoud
(1854-1927)

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Les Quatre métiers de Stann Molderé
Conte de Noël
(Nouvelles Kermesses, 1894)


Personne n'affirmerait que Stann Molderé, le terrassier, fût un mauvais garçon. Au contraire, dans le village tout le monde s'accordait à dire qu'il n'en existait pas de meilleur. Mais à la condition que Stann n'eût point bu. Or le malheur voulait précisément que Stann pintât souvent et beaucoup. Chaque jour même il ingurgitait un verre de genièvre — un simple dé à coudre, comme il disait — de plus que la veille.

Le soir, en revenant de la ville, il s'attardait dans les « chapelles » et ne démarrait de la dernière que lorsque le baes le poussait dehors par les épaules. Alors, il allait à la grâce du dieu des ivrognes, maugréant et titubant, butant et culbu­tant. Lorsqu'il échouait au logis, plein comme une dame-jeanne, il fallait que sa femme, la patiente Annemie, le charriât sur son lit.

Le lendemain, un peu dégrisé, avant de partir pour la besogne, le pochard faisait les plus solen­nelles promesses à son indulgente moitié, pressait tendrement sa nichée sur son cœur, se remplissait, les yeux et l'âme de leurs roses frimousses auréo­lées de tignasses blondes, afin de résister l'après-midi aux sollicitations de son vice, et s'éloignait, - guilleret et résolu, l'outil sur l'épaule, le bidon et la musette au flanc, réconcilié avec lui-même.

Malheureusement, à mesure que la journée s'écoulait, les viriles résolutions de l'aube s'ébran­laient, les évocations du foyer pâlissaient et finis­saient par laisser le champ libre aux mirages pervers de la boisson. Ainsi la totalité du salaire se fondait sur les comptoirs des liquoristes.

Entre temps sa famille subissait des privations, les joues potelées des enfants se cousaient : Anneke, dolente, besoignait et tremblait la fièvre ; le pro­priétaire menaçait de les expulser s'ils ne payaient intégralement à l'an neuf les quatre mois échus du loyer. Alors encore, Stann à qui l'évangélique femme cachait ses tribulations et ses angoisses, continuait de lever le coude.

La veille de Noël, il gelait à décourager un cosaque et notre terrassier longeait la chaussée menant de la cité à son clocher. Le faible garçon avait emprunté cinq francs à l'entrepreneur, son patron, dans l'intention de célébrer glorieusement la férie avec les siens. Ils mangeraient des boudins aux pommes, des noudles et des couquebaques, arrosés d'un litre de la bière brune de chez Nand Meivis, la meilleure de la paroisse, et peut-être resterait-il encore assez de miettes du beau double florin pour acheter un Noël en pain d'épice à chacun des moutards.

Il complotait cette régalade à offrir à sa maison­née, depuis le matin. Aussi, le soleil couché, comme il quittait fiévreusement le chantier ! comme il tournait allègrement le dos aux remparts urbains ! comme il allongeait le pas ! Au moment de croiser l'enseigne d'un cabaret, il fermait les yeux et pas­sait outre. En se tenant à quatre, il parvint à en bouder sept. Une bonne lieue le séparait encore du port ; il sortirait vainqueur de la lutte.

Pour les préserver du froid, il plongeait les mains dans les poches de sa culotte de piloux et, ce qui le réchauffait surtout, c'était, dans le gousset droit, de toucher le rond écu de cinq francs abso­lument intact.

Cependant la gelée augmentant, Stann consi­déra qu'un petit sou distrait des  quatre-vingt-dix-neuf autres n'ébrécherait pas trop considérablement son trésor et, qu'en revanche, un minuscule dé de kwak lui donnerait des jambes pour brûler les dernières étapes.

Il résista d'abord à ce conseil insidieux, tâcha de gagner du temps et d'émousser son envie, parvint ainsi à dépasser trois herberges encore, toutes trois des plus recommandables de l'itinéraire pour leur spécialité de « bonnets de nuit » ; mais à la onzième, il succomba, franchit le seuil et demanda du « meilleur » en faisant sauter la luisante pièce blanche sur le comptoir.

Cette concession faite à l'habitude, aussitôt il reprit goût au liquide et ne sortit de cet estaminet que pour enfiler la porte du suivant. Retombé dans ses pratiques coutumières, il n'omit aucune station du pèlerinage. Un moment il éprouvait un remords, une honte en voyant se fractionner le noble blanc métal en une vile mitraille de sous vert-de-grisés. Et il se représenta le réveillon projeté, la familiale attablée, les platées rissolantes de noudles et de couquebaques, les battements de mains de Rik, Pol et Mitje, et à la cantonade le sourire attendri de la mère, affairée, courant, la poêle à la main, des fourneaux à la table, et prenant à peine le temps de goûter à sa cuisine.

Au lieu que ces captivantes images du foyer l'arrêtassent dans ses libations, il voulut réagir contre les révoltes de sa conscience en renforçant la dose du poison. Il s'étourdit si bien qu'arrivé à la dernière borne kilométrique avant l'entrée du village, patatra ! il s'allongea dans la neige, se redressa en s'appuyant sur les poings, culbuta de nouveau, marmotta quelques invectives à son adresse, attendit pour se relever que les arbres eussent fini de danser la sarabande autour de lui, décrivit encore quelques festons et s'effondra défi­nitivement.

En ce moment, dix heures sonnaient au village.

Stann, complètement assommé par la ligne des « dés à coudre », ferma les yeux, ne bougea plus et l'horrible gelée allait infailliblement changer sa torpeur d'ivrogne en un éternel sommeil, lorsqu'il se sentit violemment secoué. Une voix grave le hélait :

— Stann Molderé ! Stann Molderé !

Le terrassier parvint à se mettre sur son séant et il promena autour de lui des yeux hébétés de somnambule. La pleine lune trouant l'éther bru­meux, répandait ses clartés mélancoliques sur le blanc paysage d'hiver. D'abord, Stann n'aperçut à droite et à gauche que l'immense plaine ensevelie sous son uniforme linceul aux reflets micacés et devant lui les arbres avec leur fantastique frondai­son de givre. Il retourna la tête et alors seulement il avisa, non sans frémir, un grand vieillard de­bout, derrière lui, qui devait l'observer tranquil­lement depuis des minutes, peut-être depuis des heures. Ce vénérable contemporain portait de longs cheveux blancs et une barbe non moins chenue.

Un épais manteau de bure le drapait, mais les jambes et les bras en sortaient nus et encore mus­clés. A la main il tenait en manière de canne le tronc d'un jeune chêne. Le visage ridé était rose et derrière les yeux bleus, profondément enfoncés dans les orbites, mais intenses, scrutateurs, il sem­blait que l'Éternité même épiât le passage fugace des Mondes.

Le silence accompagnant ces regards contri­buait au malaise du gars. Aussi, préférant toute complication éventuelle à ce mutisme, Stann inter­pella l'inquiétant quidam avec une familiarité poupine :

— Or ça, mon vieil oncle, qu'y a-t-il à votre service ?

Pour toute réponse, le vieux empoigna par le bras le terrassier qui était resté accroupi et le souleva jusqu'à ce qu'il se fût dressé sur ses pieds.

— Dis donc, l'ancien, grommela le garçon que ces façons brèves et péremptoires humiliaient un tantinet, si vous laissiez vos mains en poche, je crois que nous nous entendrions mieux.

Cette réflexion ne sembla pas convaincre le mystérieux paroissien, car, au lieu de lâcher le bras, maintenant que Stann était debout, il le serra plus fort. Ces terribles phalanges pressaient comme dans un étau le biceps du gars, ce fameux biceps redouté des mauvais coucheurs.

— Ah maïe ! geignait le patient. Pour sûr j'ai l'os broyé. Pottvolblougi ! Stann n'est pas un chercheur de querelles. Il sait ce que parler veut dire. Mais encore faut-il parler !

Desserrant un peu les doigts, mais toutefois, sans délivrer sa victime, le vieillard indiqua de son bâton la route morne courant devant eux.

— Cela signifie « Marche ! » en langage de chrétien. Que ne parliez-vous plus tôt, au lieu de torturer un garçon inoffensif comme moi ? En avant, donc !

Et Stann partit du pied gauche ; l'inconnu marchait du même pas, à côté de lui.

Ils entrèrent dans le village, où tout dormait déjà derrière l'huis soigneusement clos après le feu couvert. Comme ils approchaient de la maisonnette habitée par les Molderé, Stann jugea le moment venu de prendre congé de ce taciturne voyageur. En conséquence, il s'arrêta et dit en lui tirant poliment sa casquette :

— La bonne nuit, Papa-la-Pince, et sans rancune. Merci, plutôt pour le pas de conduite. Me voici arrivé...

Le vieillard ne souffla mot, mais la cuisante Poigne se referma, entraînant malgré lui le pauvre terrassier.

— Ah ça ! Que voulez-vous, au bout du compte ? Savez-vous bien que vous m'intriguez, l'homme aux bras nus, et que votre costume d'été ne m'inspire qu'une médiocre confiance ? On en porte de semblables à Merxplas. Parlez, vous faut-il de la pécune ? Je n'ai plus que du cuivre. Prenez toujours. Mais lâchez-moi et tirez ailleurs, matagot que vous êtes !

Muet, le vigoureux bonhomme paraissait au moins aussi sourd, car malgré les protestations du malheureux Stann, il s'obstinait à poursuivre en sa compagnie. Le terrassier, enhardi par le voisinage de sa case, jurait, se débattait comme un épilepti­que et, enragé, de la main restée libre, il essayait de poindre l'impassible visage de son tyran.

L'autre se contentait de parer les coups au moyen de son gourdin. Mais soudain, jugeant sans doute que ce jeu durait trop longtemps, il dégrafa son manteau, le déploya et, en dépit de la résistance de sa victime, il enveloppa notre homme, le roula dans l'ample étoffe depuis les pieds jusqu'à la tête, le tint absolument maté contre sa robuste poitrine, et voilà que Stann, étreint, étouffant, sentit la terre fuir sous leurs pieds. Ils volaient à travers l'espace.

Un peu, plus tard ils touchaient de nouveau le sol. Lorsque l'implacable personnage eut rendu jusqu'à un certain point la liberté des mouvements à sa proie en écartant les plis du manteau dans lequel le souffre-douleur avait été à la fois aveuglé, bâillonné et garrotté, le malheureux constata qu'il faisait encore nuit.

Mais où descendaient-ils ? Le site, — une, forêt plantée d'arbres aux fûts énormes et serrés, montant à perte de vue comme des piliers soutenant les voûtes sidérales — était totalement inconnu au terrassier.

— Que va-t-il advenir de moi ? ne cessait-il de se demander. Cette promenade dans le vide avait eu raison de sa dernière velléité de résistance. Maintes fois il s'était fait raconter à la veillée l'histoire de Klaes Calvoet, l'incorrigible gobelotteur, emporté par le diable et que personne ne revit jamais. Stann ne rencontrait-il pas la même aven­ture ?

Aussi, tout bouleversé, le pauvre garçon tomba aux pieds du redoutable vieillard et des larmes abondantes coulèrent de ses yeux ordinairement pleins de malice :

— Ah, messire Lucifer ! Laissez-moi retour­ner à Langdorp, auprès des miens. je ne pomperai jamais plus de genièvre et vivrai comme un bon chrétien.

Pour la première fois depuis qu'il avait prononcé le nom de Stann, le vieux fit entendre une voix gutturale, martelée comme le glas durant une nuit de tempête :

— Je suis l'Esprit de Noël ! Obéis et tais-toi !

— Ainsi vous n'êtes pas le diable ! Que ne le proclamiez-vous plus tôt ! Au fait, Lucifer a le pied de bouc. Diable ou non, messire, vous me fîtes une belle peur à moi, un soukelaire qui ne taquinerait pas une mouche ! Aussi à présent, Esprit de Noël, esprit chéri, permettez que je me retire. Il y a quelque part une femme et des petits que mon absence alarme. Ils m'attendaient... Tenez, nous voulions vous fêter... vider une pinte en votre honneur...

— Ramasse cette cognée ! fit l'Esprit en indi­quant au malheureux un outil oublié sans doute par un bûcheron géant.

Stann obéit, étonné que cette hache ne pesât pas davantage.

— Bien. Maintenant abats cet arbre...

— Celui-ci ? Mais je n'en viendrai jamais à bout.

— Je le veux !

Non sans geindre et ahaner, il s'improvisa bûcheron. Il venait à peine de mettre la cognée au pied du hêtre superbe que le colosse s'abattit avec un bruit sourd.

— C'est parfait, dit le vieillard. Maintenant il s'agit d'équarrir et de débiter ce vaincu. Voici la scie...

— Pitié, messire, pour un simple terrassier... Je ne suis ni bûcheron, ni scieur de long... et je gâcherais votre ouvrage. Puis, j'ai charge d'âmes et l'on se lamente là-bas.

— Exécute d'abord mes ordres. Nous songe­rons plus tard à ta famille.

Stann obtempéra de nouveau à cette somma­tion.

Le hêtre féri s'encrouait aux extrémités dans les maîtresses branches de deux arbres voisins qui remplaçaient ainsi les tréteaux sur lesquels les scieurs de long asseoient la pièce à refendre. Sa haute stature permit au mystérieux vieillard, passant la main dans une oreille de l'outil, de faire l'office de l'ouvrier tirant de bas en haut ; Stann saisissant l'autre poignée, manœuvrait dessous, ti­rant de haut, en bas. Mue par les deux travailleurs, la scie allait et venait, mordait allègrement le bois vert sans rencontrer de résistance. Ils devaient donner au moins cent coups de scie par minute, le double de ce que fourniraient les meilleurs artisans dans la partie. Aussi en présence d'un autre acolyte que cet épouvantable barbon, le piaffeur n'eût pas tiré mince vanité de ses débuts dans un métier absolument nouveau pour lui. Les mains du manœuvre au lieu de conduire et, de pousser l'instrument, semblaient suivre l'impulsion de celui-ci. Bientôt un tas de planches s'éleva.

— Cela suffira pour quatre cercueils ! dit l'Es­prit comme se parlant à lui-même.

Mais le pauvre hère surprit cet à parte et lui qui n'éprouvait plus le froid depuis une heure et dont la sueur tombant à grosses gouttes faisait fondre la couche de neige à ses pieds, sentit ses moelles se glacer dans ses os.

— Tu as compris ? dit son implacable patron ; certes un baes plus incommode que ceux de la ville. Eh bien, à l'œuvre alors ! Dépêche, car mon séjour annuel sur la terre s'abrège...

Et en suivant la direction de l'index du vieil­lard, Stann Molderé vit, à terre, un rabot, un marteau et un complet assortiment de clous. Quel taillandier habile et invisible livrait à l'Esprit ces outils neufs d'une fabrique irréprochable ?

— Mais ces cercueils pour qui seront-ils, mes­sire ? demanda le pitoyable gars, prêt à aborder son quatrième métier de la journée.

— Tu le sauras bientôt ! Allons, qu'on se presse.

Et pan... pan... pan... le menuisier improvisé agença rapidement les planches, les rabota, les cloua. Cette opération, à sa profonde surprise, ne l'arrêtait pas plus que les précédentes.

Comme il chassait le dernier clou dans la quatrième bière, une cloche lointaine, dont le tim­bre rappelait celle de Langdorp, sonna les douze coups.

— Par saint Joseph, mon nouveau patron, nous finissons, pas vrai, messire ? En ouvrant davan­tage, je commettrais un péché. Voici Noël...

Stann s'arrêta court.

L'ultime tintement de minuit se prolongea ré­percuté par de lamentables échos. La forêt où la lune ne projetait que de faibles rayons, venait de s'éclairer d'une lueur surnaturelle, maladive, bla­farde comme l'eau hideuse vue par des yeux de noyés. Et des profondeurs de la futaie sortirent à la file trois vilains gnomes, visqueux et rampants comme des limaces, rabougris, encapuchonnés, l'échine ployée chacun sous un fardeau flasque et ballottant dont Stann appréhendait de discerner la forme et la nature.

L'étrange lueur annonçant l'arrivée du déplai­sant trio provenait d'une sorte de ciboire que chacun des nains portait à l'occiput et dans lequel ardait une liqueur magique.

— Esprit redoutable, quelles sont ces apparitions plus terrifiantes encore ? murmura Stann reculant à l'approche des kobolds.

— Comment ? Tes entrailles paternelles ne te les nomment pas ? Ce sont pourtant tes enfants de dilection : le premier s'appelle Paresse, le second Délire, le troisième Ruine. En attendant le qua­trième, qui naîtra bientôt et qu'on nommera Crime, voici que t'accueille leur mère, ta femme, l'horrible Ivrognerie. Va, cours l'embrasser...

En effet, une quatrième figure, celle-ci longue, décharnée, hâve, le torse en forme d'alambic, les membres allongés comme des tuyaux de serpentins, la tête en façon de cornue transparente, sans yeux, dans laquelle luisait la même affreuse liqueur, s'avançait à son tour, et sa marche lente faisait le bruit d'un clapotement de gouttières, d'un glou­gloutement de bouteilles, d'un hoquet de buveur. Une autre de ces dépouilles vagues que le pauvre terrassier craignait de distinguer trop tôt, chargeait l'épaule de la monstrueuse créature...

Titubante, elle l'atteignait. Il voulut fuir, mais le bras de fer du Génie le rivait sur place.

— Salue ta famille nouvelle ! prononça-t-il. Tu lui livras tes anciennes amours. Les quatre cercueils sont prêts ; et voici les fossoyeurs.

A ces mots, les fantômes déposèrent chacun leur fardeau sur le sol. D'un geste éperdu, Stann écarta les linceuls recouvrant ces formes.

Il reconnut alors dans ces pitoyables dépouil­les, refroidies, violettes, émaciées, grimaçantes, un de ses chers petits, puis un autre, puis le troisième, puis leur mère.

— Esprit de Noël, râla-t-il, tu veux m'éprou­ver, mais non point me damner pour l'éternité. Parle ; n'est-ce pas que tout cela ment... et que tu rappelleras les bien-aimés à la vie en dissipant ces créations du cauchemar ?...

— Je ne puis rien pour eux ou pour toi ; n'as-tu pas choisi toi-même ce soir encore entre l'ignomi­nieuse famille de l'ivresse et les bienfaisants génies de ton foyer ?

— Oh ! les revoir encore comme lorsque je les embrassais ce matin !

— Jamais !...

— Jamais ! répéta le pauvre diable.

Cependant, sur un signe du Maître, les trois gnomes et la hideuse goule traînèrent leurs proies vers les cercueils... Stann se précipita pour les arrêter.

En ce moment, là-haut, bien au-dessus de la forêt, passa comme un vent d'orage un vol invisible mais harmonieux d'ailes palpitantes.

— A genoux ! cria l'Esprit de Noël, ce sont les anges qui se rendent à Bethléem. Invoque-les, ils se chargeront peut-être de ta prière pour le Rédempteur....

« Gloria in excelsis Deo ! » chantaient les esprits dans la nuée.

Alors, rassemblant tout ce qui lui restait de souffle après cette nuit d'angoisses et de larmes, Stann jeta vers le ciel, empourpré par l'aube, un formidable cri de douleur.

— Noël, Noël ! Un joyeux Noël ! répondirent les voix enfantines des chérubins.

Et Stann se sentit embrassé à la fois par trois paires de petits bras qui le câlinaient à l'envi. Il ouvrit les yeux, pleins de reconnaissance pour les messagers de la Bonne Nouvelle, et reconnut alors seulement dans ces anges lutins et enjôleurs, ses trois élus : Rik, Pol et Mitje.

Derrière, leur mère, la bénigne Anneke, souriait. O bonheur ! Il se trouvait chez lui, à Lang­dorp, entouré des siens.

Comme il les embrassa, les attira encore, les rappela, sans pouvoir se résoudre à les lâcher !

— Oui, Noël, répétait-il, exultant, un gai Noël à toi, femme !... Et un Noël qui comptera. Vite mes beaux effets des kermesses... que je m'habille... Allons d'abord à l'église où je pro­noncerai le serment... le serment de ne plus enton­ner, de ma vie, bière ou liqueur, qu'en ta récon­fortante compagnie et à la santé de nos petits.

Oui, je veux être, moi terrassier, à la fois bûcheron, scieur de long et menuisier comme cette nuit si je manque à mon serment. Tu ne comprends pas, femme. Je te conterai cela plus tard.

En attendant, ajouta-t-il en retirant du fond de sa poche trois pièces d'un franc, voilà pour fêter ce soir le joyeux Noël, avec des saucisses, des couquebaques et de la double brune... tu sais, de la double brune de chez Nand Meivis.

(texte non relu après saisie, 12.VII.07)

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Georges Eekhoud par Emile Verhaeren (1892)

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