Georges Eekhoud
(1854-1927)

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Bernard Vital

(Cycle Patibulaire, 2ème série, 1895)


A Emile Royer.

Bernard Vital avait été officier dans l'armée d'un pays où l'iniquité sociale provigne encore plus insolemment qu'ailleurs, un pays où le peuple a été tellement grugé, avili et foulé qu'il en a perdu toute énergie et, semble-t-il, jusqu'au sens même de son ilotisme.

Aussi les maîtres de ce bon peuple pro­clament-ils ironiquement sa sagesse et son patriotisme. Abalourdi, inerte et bovin, il cuve son ignominie ; sans ressort, incapable de se cabrer sous la piqûre des grasses sangsues qui aspirent sa dernière goutte de sang.

Nulle part le penseur n'était mieux placé que dans l'armée de ce pays pour constater à quelle abjection peut être réduite l'humanité régie par les oligarques du tiers Etat. Cette armée enchérissait encore, par sa composition, sur la misère et la déchéance des autres prolos. Les pauvres diables que leurs parents n'avaient pu racheter à l'Etat, maquignon d'âmes, s'y confondaient avec les vauriens ou plutôt les propres à rien d'autre qu'à devenir soldats, remplaçants mercenaires ou repris de justice, préférant encore, et non sans raison, le régime de la prison à celui de la caserne.

Dans cette « gent perdue », comme dit le Dante, minés par la misère ou flétris par l'inconduite, souvent ravagés par l'un et l'autre, se fourvoyaient quelques écervelés des familles dirigeantes éblouis par les fanfreluches et les, couleurs voyantes de l'uniforme, la piaffe du traîneur de sabre, la fallacieuse bravoure, le vernis de loyauté et d'émancipation, et tous les autres trompe-l'œil d'un métier déprimant entre tous.

Placée directement au-dessus de cette masse dolente, s'agite, sacre et sévit l'engeance louche et brutale des sous-officiers, la chiour­me de ce bagne, pressureurs ingénieux qui parviennent encore à tondre ce chauve troupeau, la plupart vaguement concussion­naires, mangeurs de blanc et « soutenus » avérés .

A l'étage supérieur le monde en général plus recommandable des officiers, souvent instruits et éduqués, ayant encore le souci de l'honneur pour les élever au-dessus des actions basses et usurières, race désintéressée, répugnant au commerce et aux gagne-pain lucratifs.

Bernard Vital, un de ceux-ci, parvint au grade de lieutenant. Jeune homme de noble caractère, aimant, rêveur jusqu'à l'illusio­nisme, nature d'artiste, dirions-nous, si le mot n'avait été prostitué à trop de cabotins et de gouapes, il s'imagina, jusqu'au moment où il quitta l'Ecole militaire, que les armes fussent la seule carrière ouverte en ce siècle à un galant homme soucieux de marcher droit et de garder les mains propres.

Certes, en apparence, elle offre plus de garanties d'hygiène morale que beaucoup d'autres cette profession du moderne guer­rier. D'abord, à la différence des affameurs et des financiers les massacreurs patentés n'opèrent que tous les dix ou vingt ans et d'une façon assez expéditive. Il y a de longues mortes-saisons pour le soldat, tandis que l'industrie et la haute finance ne chôment jamais. Elles tuent à petit feu les victimes que la guerre supprime en quelques batailles. Mais, même durant ces longues trêves, l'officier ne garde une conscience satisfaite qu'en se désintéressant des mœurs ambiantes. Il lui faut, pour ne pas se sentir troublé, atteint dans son vertueux et rigide équilibre, se retrancher dans un devoir routinier et égoïste, s'interdire toute spéculation, se cui­rasser contre les sensations désagréables que procurent aux témoins délicats et probes les laideurs qui se commettent au bas de l'échelle militaire.

Certes, alors comme, même plus que dans mainte autre profession, vous restez, abstraitement le monsieur honnête, l'homme hono­rable, voire l'homme d'honneur ; vous observez une sorte de neutralité entre la masse perpétuellement martyrisée et les systématiques bourreaux qui la questionnent jusqu'à la lymphe qui lui tient lieu de sang. Et si le spectacle vous écoeure jusqu'au vomissement, et finirait par déranger votre prudente règle de conduite, vous vous détournez et vous fermez les yeux, en vous efforçant de songer à autre chose et d'évoquer des visions souriantes, — il y en a encore.

Mais Bernard Vital n'appartenait pas à cette race d'hommes inertes « qui ne sont agréables ni à Dieu ni à ses ennemis » et que le visionnaire Florentin, sans les damner, relègue dans le vestibule des enfers. Il lui manquait cette impassibilité de bon goût, commune à beaucoup de ses contemporains les plus méritants, qui leur permet de trouver respirable l'atmosphère de suée et de sang qu'entretiennent autour d'eux les fouets et les tenailles de ce siècle très industriel.

Vital songeait, comparait, réfléchissait trop. Le sérieux de ses attitudes et la chasteté de sa vie, sa profonde intelligence et son vaste coeur candide en faisaient un être doublement impressionnable, réceptif à l'excès. Souvent il se fût souhaité le caractère sceptique et comme ils disaient « je m'en fichiste » de ses camarades.

Aussi longtemps que des examens à subir, des grades à passer, des cours à suivre et à revoir avaient réclamé son activité intellec­tuelle, il vécut dans l'insouciance des pro­blèmes autrement graves que ceux des mathématiques supérieures. Mais le jour où il fut arrivé au bout de l'aride programme, il se jeta avec une fièvre et une ardeur nouvelle dans la lecture des philosophes et des penseurs révolutionnaires : Fourrier, Dostoïewski, Bakounine, Reclus, Kropotkine, Tolstoï. Il trouvait leurs théories les plus violentes légitimées par ce qui se passait autour de lui. Aucune institution ne tenait plus debout, n'était digne d'inspirer respect et confiance. Partout régnait l'hypocrisie et l'imposture. La justice était rendue par des magistrats prévaricateurs, la religion n'avait plus de prêtres croyants. Partout la lettre avait tué l'esprit.

Et cette armée ! Quelle école de démora­lisation. De sains et copieux gaillards, aban­donnés souvent des jours entiers à l'oisiveté, à la cagnardise, dans une promiscuité de mauvais couvent, toute occupation intellec­tuelle étant suspecte à leurs chefs, véritables pouilleux du cerveau.

Le temps que les troupiers n'employaient pas à des corvées, ils le passaient vautrés sur leur lit, à s'abêtir en futilités et en niaises corruptions. Combien de pauvres diables mal nourris, volés par les sous-off, traduits pour des peccadilles devant un conseil de guerre et, contaminés par la caserne, défi­nitivement pourris dans les casemates et les cellules de la maison de correction.

Vital, qui avait toujours eu le caractère timide et concentré, se tut longtemps, et cuva son indignation, choqué à tout instant par les abus qui se commettaient autour de lui, mais à plusieurs reprises, au mess, la bêtise veule, les ramolottades ou l'égoïste optimisme des officiers supérieurs le firent sortir de son équanimité et quoiqu'il essayât d'atténuer la subversion de ces sorties, elles en disaient plus long qu'il n'aurait voulu ; puis, il avait des intonations auxquelles il était impossible, même à la baderne la plus gâteuse, de se méprendre. De la révolte pleurait dans sa voix engorgée, les idées mal à l'aise dans la courtoisie des paroles semblaient un dogue furieux tirant sur sa chaîne et rongeant son frein. Naturellement, ses incar­tades nuisirent à son avancement.

Un jour il s'oublia jusqu'à condamner en bloc l'armée, cette armée qui était leur raison d'être et qui les nourrissait. Après avoir fait le tableau de l'abrutissement de la caserne et du régime militaire en temps de paix, il se répandit en une philippique superbe contre la guerre, un de ces « maux nécessaires », comme disent les bourgeois. Il en démasqua l'ignominie. Le va-tout des politiciens aux abois, la grande ressource des banquiers et des spéculateurs. On flétrissait l'assassinat  individuel ; le massacre d'un peuple faisait l'objet d'une apothéose. Ah, surtout que ces guerres, attribuées par la diplomatie à cette bonne blague, la « raison d'Etat », imposées aux souverains par on ne sait quelle occulte camarilla, étaient décidées de commun accord par les despotes, compères et larrons en foire, pour saigner, sous couleur de patrio­tisme et de salut national, leurs peuples devenus trop virils et trop remuants, pour débarrasser l'humanité pléthorique des hordes de pauvres diables prêts à exiger le superflu des riches. Waterloo, l'effondrement de l'empire de Napoléon, n'avait été qu'une mine d'or pour Rothschild. L'héroïsme de la vieille garde, les hécatombes accumulées, tout ce sang généreux répandu de la Médi­terranée à la Baltique, toutes ces épopées, ces légendes titanesques n'avaient servi qu'à remplir les coffres de la youtraille perpé­tuellement déicide.

Vital était venu précisément à un moment où les esprits travaillaient, où des signes non équivoques, météores isolés, sourdes révoltes, attentats éparpillés, avant-coureurs de cataclysmes et d'éruptions universelles, se montraient à l'horizon. Impressionnable et réceptif comme il l'était, il devinait, flairait pour ainsi dire la profonde détresse sociale. D'une part, les repus et les assouvis, aux grimaçantes débauches, l'intelligence aussi atrophiée que les sens ; gras chapons torpides ; d'autre part, les miséreux, machi­naux faiseurs d'enfants, en quête d'une croûte de pain, sans logis, sans ressources pour leurs familles. Vital se sentait des colères corrosives au spectacle de ces bas viveurs flanqués de femelles stupides comme des dindes et bêtement dépensières, outrageu­sement parées, avec lesquelles, suivant l'état de leurs névroses, ils se montraient d'une gros­sièreté et d'une cruauté de monomane, ou d'une galantine platitude. Vital souffrait surtout en songeant qu'aux yeux des famé­liques, des claquedents sevrés de toute ressource l'excès même, l'abondance, le luxe insolent, tapageur et bestial représentait le véritable idéal, le summum du bonheur. Il souffrait de savoir ces sinistres viveurs enviés par ces parias.

Et ce qui l'exaspérait peut-être plus encore, C'était le dilettantisme de l'anarchie, l'affec­tation humanitaire et même libertaire des beaux messieurs en habit et en plastron blanc, et des belles dames aux oreilles et au col escarbouclés de pierreries, — assidus aux séances de propagande révolutionnaire, coudoyant des ouvriers en bourgeron et des ouvrières en cottes et en caraco. Ah l'ignoble byzantinisme. Vital assimilait ce contact, cette curiosité perverse, à on ne sait quel innom­mable piment, à quelles piqûres de morphine, à quelle érotomanie. Etranges picas. Fringa­les de pourris.

Et ces ouvriers soi-disant socialistes, à peine en possession de quelque aisance et de quelque fonction publique, adoptant les moeurs de la classe conspuée. Tribuns virulents, flétrissant la corruption bourgeoise, s'amourachant d'actrices et soupant dans les estaminets à la mode. Journaux soi-disant réformateurs et sains, rendant compte des ineptes gaudrioles de bouis-bouis et des chahuts de ballerines. Prud'hommesques pères de famille, embourgeoisés, habillés comme des patrons et des commerçants notables, singeant la morgue, le faux luxe, les ostensibles dépenses de leurs anciens exploiteurs, inspirant à leurs enfants le mépris des va-nu-pieds et des petiots hail­lonneux.

Vital était donc un fort anormal officier, pour le moins déplacé dans la chiourme bourgeoise. Jamais il n'infligeait de punition marquante qui eût entraîné pour le coupable une prolongation du temps de service et, en dépit de la discipline et de la hiérarchie, il avait morigéné et tancé plus d'une fois un rossard de sous-off et protégé la recrue.

Les soldats vénéraient ce grand et martial garçon, ni hâbleur, ni même disert, aux paroles rares et harmonieuses ainsi que les accents d'un bourdon de fête, les yeux bruns emplis de rêverie. La réflexion accusait dans la blancheur mate et l'ample espace de son front, une ride large comme une balafre, cicatrice de la chronique et profonde blessure que lui infligeait son esprit réfractaire. Les semaines qu'il était de service, il arpentait des heures, à grands pas, le préau de la caserne, le front redressé vers le ciel, scru­tant par delà les murailles maussades, et sans doute par delà d'autres barrières et d'autres obstacles, les maisons d'un horizon symbolique.

Malgré sa bonté, il leur inspirait à tous un peu de crainte. Ils le devinaient troublé, désorbité, atteint d'une lancinante affliction morale. En effet, celui dont il souffrait était bien le plus cuisant des maux dont on puisse être atteint à cette période d'âpre sauve-qui-peut et de chacun pour soi l'altruisme.

Dans les cadres d'officiers, surtout parmi l'élément jeune, se rencontraient des natures généreuses et chevaleresques, des braques sans haute intellectualité, mais du moins affranchis des mesquineries et des roueries. Ceux-ci tenaient Bernard pour un original, mais ne l'estimaient pas moins que ses inférieurs, et dans leurs moments de sincé­rité, lorsque leur coeur était complètement lucide, ils lui donnaient raison et se seraient même compromis avec lui. Loyaux camarades, souvent ils prévinrent les catastrophes qui le menaçaient. Attribuant à un besoin de con­troverses, à une humeur paradoxale, à de pures boutades, les licences d'appréciations qu'il s'était permises devant des généraux peu endurants, à son insu ils réparaient ce qu'il appelaient ses « gaffes ». La droiture de son caractère, sa bonté virile, la culture profonde, le prestige d'une vie de pensée les avait conquis.

Mais les choses devaient toutefois finir par se gâter. A mesure que le malaise social et les crises augmentaient, les éclats se sui­vaient coup sur coup. Les doctrines socialistes pénétraient dans l'armée. Bernard s'abstenait toutefois de contribuer à la propagande, empêché par des scrupules louables, estimant qu'il commettrait un abus de confiance et une trahison en profitant de son grade et de sa situation d'officier pour répandre les idées qui lui étaient personnellement chères. Non, il n'attendait qu'une occasion pour donner sa démission, et, libre alors pour attaquer loyalement face à face un état dont il se sentait de plus en plus ennemi.

Le sort le désigna pour siéger au conseil de guerre. On jugeait un jeune brigadier long temps persécuté par une brute de sous-off, soudrille d'un caractère et d'une moralité déplorables, à la charge de qui pesaient plusieurs graves faits d'indélicatesse nonob­stant lesquels on le maintenait purement dans son grade et on lui livrait chaque année une fournée de pauvres novices des champs dont ce joli monsieur était censé faire l'ins­truction militaire. Lorsque la réprobation et le mépris rendaient sa situation intenable dans un milieu qui l'avait jaugé à fond, et par trop au courant de ses frasques, on se conten­tait de le changer de régiment. Il ne tardait pas à se rendre aussi odieux dans ce cadre nouveau que dans les autres.

A quelle aveugle et puissante protection attribuer la longanimité dont l'autorité militaire faisait preuve à l'égard de cette fripouille, d'ailleurs un bellâtre, toujours vêtu d'uni­formes hors d'ordonnance, frisé, pommadé, la moustache cirée ? D'aucuns prétendaient que seule l'intervention d'une vieille cocotte, toute-puissante Egérie d'une des grosses épaulettes du pays, et dont cet adonis était le patito, l'avait empêché d'être dégradé et mis à la porte. Le misérable n'en était devenu que plus tyrannique pour les pauvres diables subordonnés à ce pourri qu'au lieu de l'inves­tir d'un commandement quelconque il eût fallu réduire à l'impuissance. Se sentant méprisé, il abusait surtout de son autorité sur les garçons honnêtes dont la droiture, la conduite probe, la saine candeur étaient un reproche et un défi.

Le jeune brigadier traduit devant le conseil de guerre avait été tout particulièrement en butte aux tracasseries et aux brimades de cette soudrille. Puni continuellement, un jour, exaspéré, poussé à bout, il avait fini par appli­quer au tortionnaire une terrible volée de coups de poing, de ces poings les bonnes armes loyales et naturelles de l'homme libre. La male bête avait été aux trois quarts démolie. Bavante et hurlante elle se releva, l'âme pleine de représailles et de vengeances. Malheureusement pour le brigadier, il y avait eu des témoins de cette exécution. Et quoique détestant le sous-off, cités en témoi­gnage et forcés de prêter serment, plutôt que de se parjurer ils racontèrent la scène non sans insister, toutefois, sur l'injure suprême qui avait poussé leur camarade hors de ses gonds.

En dépit de la provocation manifeste, l'affaire était claire. La discipline exigeait le châtiment du rebelle. Le délit emportait au moins l'internement dans un fort ou à Vilvorde. Les juges, quoi qu'ils en eussent, devraient se rendre aux conclusions de l'auditeur militaire.

Sanglés, boutonnés dans leur uniforme, ils n'étaient plus hommes, ils n'avaient plus le droit d'être humains, ils étaient avant tout soldats. Compatissants dans leur for inté­rieur, ébranlés, émus jusqu'aux entrailles, telle était la force du préjugé militaire, de leur abominable et inique justice, qu'en entrant dans la salle ils étaient décidés d'avance à condamner le pauvre hère. Seul, Vital qui, à la nouvelle de l'exploit du jeune soldat, avait pris ostensiblement fait et cause pour lui, était bien résolu à l'acquitter. Il s'était enquis, de son côté, de toute la vie menée par le prévenu depuis son incorpo­ration.

L'avocat plaida maladroitement. Pendant qu'il parlait on vit Bernard Vital donner des signes d'impatience, coucher fébrilement des arabesques sur le papier, et on assista tout à coup à ce spectacle — inattendu pour sûr dans les tribunaux, et surtout dans ce conseil de guerre — d'un juge qui, en un superbe morceau d'éloquence spontanée jailli comme une source pure, limpide, généreuse, des rocs abrupts et arides, prit la défense, non, fit même l'apologie du prétendu criminel. Vital avait coupé la parole au robin de profession, et son exorde avait été si foudroyante, si impérieuse de magnanimité et de haute envolée psychique que celui-ci,d'abord interloqué, puis subjugué s'était rassis après quelques bredouillements inin­telligibles. Les officiers, ses collègues, avaient fait un mouvement pour empêcher Vital de produire un terrible esclandre et de se compromettre à tout jamais, mais eux aussi avaient été matés par son admirable entrée en matière. Enfin, jusqu'au colonel même présidant le conseil qui ne put se résoudre à le rappeler à l'ordre et à lui imposer silence.

Mais aussi quelle conviction, quelle sainte et noble révolte d'âme palpitait, brûlait dans ce discours, de quelle voix vibrante et passionnée il l'improvisait ; les mots enthou­siastes, évangéliques, projetés de son cœur comme les rayons purificateurs du soleil. Ses phrases véhémentes brûlaient et cares­saient à tour de rôle. Par moments elles tenaient d'un baume fraternellement étendu sur nos plaies sociales et d'autres fois, lorsque cette plaie s'avérait aux sinistres symptômes de la gangrène, ces phrases se faisaient impitoyables, pamphlétaires, elles corrodaient comme l'acide et les pointes de feu. On aurait dit parfois, du Christ parlant aux humbles aimés, aux femmes perdues et aux bons larrons, et, en d'autres moments, du même Christ cinglant d'un fouet de torches allumées aux foudres de la colère céleste, les épaules des marchands et des Pharisiens du temple.

Ce fut un formidable réquisitoire contre la caserne, ce pourrissoir des énergies, des volontés et des pudeurs. Il en dit l'atmos­phère de fainéantise, la crasse invétérée, le langage perpétuellement obscène et impré­catoire ; d'une part les menaces et les insultes, d'autre part les sourdes malédictions et les grincements de dents. Il dévoila ce que cette apparente discipline cache de lâcheté et de compromissions dégradantes. Il montra les sous-officiers forcés de ménager les soldats qui ont découvert leurs vols et leurs concus­sions ; les recrues se livrant au chantage, ou profitant parfois de l'absence de témoins, pour assommer la brute qui ne pourra fournir la preuve de leur guet-apens.

Le brigadier traduit devant le conseil de guerre s'était engagé au sortir du collège. Son père s'étant remarié, lui avait donné une marâtre. Ils lui rendirent la vie si dure qu'il finit par prendre la maison paternelle en horreur et par envier le sort du soldat. Ses parents, impatients de le mettre à la porte, lui avaient pour ainsi dire ravi sa signature.

« Ah, elle est encore jolie ici la loi qui règle ces enrôlements de mineurs, plaidait Bernard Vital. Comment, vous contestez au jeune homme l'âge de raison ; c'est à peine s'il est majeur à vingt et un ans. Pour se marier avant cette époque il lui faut recourir aux sommations respectueuses. Bien plus, s'il commet un crime, vous le tenez encore pour irresponsable. S'il fait des dettes, il n'est point forcé de les payer. Avant vingt et un ans sa signature n'est jamais valable. Jamais, sauf toutefois dans un seul cas. Dans celui-là même où il est disposé à commettre la pire des sottises, à attenter plus qu'à sa vie, aux droits de sa conscience, à sa liberté, à la dignité humaine. Oui, vous permettez à un enfant de quinze ans de se river la chaîne au pied, de se vendre pour cinq ans à vos traîneurs de sabre. Ce marchandage que la loi devrait empêcher à tout prix, elle le pro­voque, elle le favorise. C'est le seul cas ou la signature d'un enfant est légale. Ah, canaille d'Etat. Toi qui spécules sur la faiblesse et l'innocence de cet étourdi, peut-être ébloui par les couleurs voyantes de l'uniforme et la piaffe militaire comme un papillon par une flamme de gaz, que viens-tu nous parler encore de détournement de mineur et d'exci­tation à la débauche. Alors que tu te montres le plus lâche, le pire des corrupteurs, que tu te livres à une véritable « presse » des enfants, que tu attires dans les bagnes militaires des gamins ignorants de la vie et incapables de S'imaginer un seul instant les turpitudes et les supplices des mercenaires de l'armée, l'Etat n'agit pas autrement que les négriers et les marchands d'âmes : il fait la traite des blancs.

» Ah, ne protestez point. L'histoire de ce jeune accusé est particulièrement édifiante.

» Donc, par la terreur de l'enfer qu'était devenue la maison paternelle, notre jeune homme se réfugie chez vous, et signe son engagement. Autant eût valu se suicider, ou signer sa propre condamnation à mort.

» Le voilà donc enrôlé. La faute est com­mise. Il est pris au piège. Vous le tenez. A peine pincé le malheureux s'aperçoit de l'abjection du milieu où il est immatriculé, mieux vaudrait dire écroué. Mais il n'y a plus moyen de sortir. Résigné et stoïque, il se distingue à l'instruction ; il fait ce que vous appelez du bon service, si bien qu'il obtient assez rapidement ses premiers galons.

» C'est ici qu'on le guette. Le nouveau brigadier n'a pas encore dix-sept ans. Pour inaugurer ces galons on ne trouve rien de mieux que de lui confier malicieusement la conduite d'une expédition vraiment martiale, — ah bien martiale, comme vous allez voir.

» Il nous arrive, — suivant en cela des instructions ministérielles — d'organiser des battues dans les quartiers de joie fréquentés par les soldats. Ces patrouillages font partie des intermèdes, des divertissements rompant la monotonie et le plat désœuvrement des casernes. C'est une sorte de sport et pour s'y livrer, les amateurs choisissent de préférence le dimanche. Ce jour-là, si le sous-off de garde s'ennuie, ce qui doit lui arriver assez souvent, il commande semblable battue. On s'amuse du désarroi et de la panique qu'occasionne dans les quartiers interlopes l'apparition des soldats l'arme au poing ; des cris poussés par les femmes dépoitraillées ; des jurons ; du hourvari ; des escalades et des culbutes de tous ces malheureux surpris et à peine rajustés. Tout cela, Messieurs, sous prétexte d'hygiène et morale et physique. A la vérité ces traques et ces dégoûtantes chasses à l'homme provoquent le scandale et ne préservent ni n'améliorent personne.

» Or, vous ne devinez jamais qui, certain dimanche mémorable, le sous-off de garde choisit pour commander cette équipe de fallacieux sauveteurs ? Eh bien, c'est ce tout jeune homme, cet enfant que désigna le facétieux sous-off de garde, qui n'était autre d'ailleurs que l'accusateur d'aujourd'hui. Oui, cet adolescent dut prendre le comman­dement, et se mettre à la tête du piquet, qui allait relancer dans les plus ignobles des bouges les soudrilles accomplies, les miséra­bles corrompus et viciés jusqu'aux moelles, des bougres qui n'en étaient pas sans doute à leur première vérole. Sous prétexte de sauver ces vieux pécheurs, on montrait le chemin et le spectacle de ces enfers à un tout jeune homme. Voilà ce qui se passa ce dimanche, voilà ce qui continue à se passer tous les jours. Ah, Messieurs les officiers, voilà de quelles saletés nous nous rendons complices, en nous déchargeant de notre autorité absolue — de cette autorité qui est toujours inique même lorsqu'elle est confiée à d'honnêtes gens — sur des malfaiteurs cyniques, des drôles de l'espèce de celui qui persécuta l'accusé, car je le répète, c'est lui l'accusateur, le plaignant qui confia cette jolie besogne à l'accusé... Il fallait salir, ravaler au plus tôt au niveau de ces saligauds cet enfant encore propre. Il fallait ternir à toute force ce jeune homme dont le visage était encore empreint de candeur et d'illusion ; il fallait le déniaiser coûte que coûte et au plus vite, éveiller en lui le vice avant le tendre désir, et peut-être empêcher à jamais les floraisons de l'amour en polluant les ger­mes de cette fleur sacrée et sublime dans les pires charniers de la prostitution.

» Bravo, Messieurs, allez-y, c'est là de la belle besogne. C'est là, je crois, ce que vous appelez faire un homme. Eh bien, tous mes compliments. Elle est propre votre création il est joli votre diplôme de virilité.

» Toutefois, ici, les initiateurs ne parvin­rent point à leurs fins. L'horreur et le dégoût navrèrent l'âme du petit. Loin de l'attirer, le lupanar l'épouvanta. Mais s'il n'en est point pourri et empoisonné jusqu'au sang, maudit jusqu'à la septième génération avant sa vingtième année, franchement ce n'est point de votre faute, aimable sous-off, joyeux luron, délicat maître ès ruffianisme.

» Est-ce peut-être à cause de cette fierté et de cette pudeur, que vous avez pris en haine ce gaillard réfractaire à vos débauches, à tout ce qui fait le charme et la gloire de votre vie. A ce qui représente, faut-il croire, votre raison d'être, votre utilité, ô sinistre pantin de décor et de parade, guerrier d'alcôve. Mais depuis ce jour vous vous êtes acharné contre lui, vous l'avez «cherché»; il n'a rien fait de bon, sans cesse il a été pris en défaut et puni, et vous savez tous — oh ne le niez pas — combien il est facile d'inventer des motifs. Les tortionnaires d'autrefois étaient à peine plus ingénieux et plus raffinés dans la composition de leurs supplices que les bourreaux militaires, les exécuteurs des basses œuvres soldatesques le sont dans celle des motifs de punition. Acculé, poussé à bout, un jour la patience échappa à la victime. Vous savez le reste. »

Et dans sa péroraison, après avoir retracé tout ce qui avait dû passer par l'âme du soi-disant coupable avant qu'il fût poussé à bout, — opposant aussi l'honnête et candide figure de l'accusé à cette larve en uniforme qui se faisait son accusateur, — quelle torture, quelle humiliation il avait dû subir pour en arriver là, pour braver en une minute de soulagement la perspective d'an­nées de géhenne et de dam à Vilvorde, Bernard Vital trouva des accents tellement péremptoires, allant jusqu'à devoir s'inter­rompre tant les mots suppliants lui nouaient la gorge, que les juges, à l'unanimité, acquit­tèrent le soldat rebelle et cela contrairement à tous les précédents, à toutes les prescrip­tions et prévisions du Code.

L'affaire causa même un gros scandale dans le monde des jurisprudents. Leur mouvement d'humanité passé, les officiers furent consternés par leur équitable mais audacieuse et subversive conduite. L'audi­teur militaire alla en appel. Cette fois Bernard Vital ne siégeait point au banc de justice et son protégé fut condamné à trois ans.

A quelque temps de là éclata une grève. Les événements se précipitaient. Les chô­meurs poussés à bout avaient attaqué quel­ques unes de leurs géhennes industrielles et se retournaient contre les exploiteurs. Des châteaux s'allumaient, feux de joie de la revanche. De là-bas on réclamait l'interven­tion de l'armée. Vital comprit qu'il allait être forcé de tirer sur le peuple, sur des malheureux à qui en toute âme et conscience il ne pouvait que donner mille fois raison. En conséquence, il démissionna.

Naturellement, on le retint sous les dra­peaux, et pour mieux le tenter, l'induire en révolte, il fut dépêché malicieusement vers le théâtre de la grève, le jour même où l'on s'attendait à une collision suprême.
Alors, tandis que sur les troupes rangées en bataille, l'arme en joue, pleuvaient scories, charbons et pavés, Bernard Vital ne dit à mi-voix que ces simples mots à ses hommes : « Si je croyais l'un de vous capable de tirer sur ces malheureux, je lui brûlerais la cervelle ».

Le général commanda le feu. Les fusils partirent. Cinq ouvriers tombèrent. Mais la compagnie de Vital avait tiré en l'air.

La chose fut remarquée ; on apprit aussi, par des mouchards, la consigne révolution­naire qu'il avait donnée à ses soldats. Il fut question de le mettre en accusation, de l'attraire devant une cour martiale et de le passer par les armes, mais l'opinion publique enfin réveillée, n'était déjà que trop montée contre les mainteneurs de l'ordre ; puis les débats devraient être forcément publics et on se rappela le terrible discours prononcé autre­fois par Vital contre l'armée en plein conseil de guerre. En conséquence, on résolut de l'atteindre avec moins d'éclat mais tout aussi sûrement. Sa démission lui fut même accordée.

Il s'agissait à présent de trouver un autre emploi, il s'agissait de vivre. C'est ici que la société l'attendait. Son histoire s'ébruita, mais travestie, mais agrémentée de calomnies. Toutes les portes lui furent fermées. Même ceux qui le savaient incapable d'une forfai­ture le repoussèrent comme une brebis galeuse. Manquant d'opportunisme, il effa­rouchait jusqu'à ses apparents coreligion­naires qu'une certaine poussée de la conscience populaire allait amener au pouvoir. A ces imminents parlementaires, des gaillards de la trempe de Vital étaient plus haïssables que les bourgeois mêmes. L'ancien officier connut bientôt la misère, la plus extrême misère. Il aurait pu s'adresser aux crève-de-faim, aux vrais parias ; ceux-là, ces véritables frères, consentiraient sans doute à l'accueillir, mais tout famélique et rafalé qu'il se sentait, il s'oubliait lui-même et sa pire torture consistait dans le spectacle de ces milliers de sans-travail après lesquels haletait sa moelle nourricière et son sang rédempteur.

Au coeur de décembre, comme la marée de misère montait de plus en plus houleuse et sinistre, il prit une résolution dernière. Il ferait un acte de justice et solennelle démonstration. Puisque les avertissements et les discours ne suffisaient pas, il prêcherait par le fait et l'exemple.

En conséquence, muni d'un appareil explosif pour la confection duquel il avait utilisé sa profonde science de chimiste, il monta une après-midi aux tribunes du Palais législatif.

D'une main convulsive il pressait l'engin dissimulé dans une poche de son paletot. Il vit la salle d'aspect maussade, avec son public habituel, les députés tatillons, mou­lins à paroles, vaquant à leurs petites procé­dures, votes de budget, crédits à accorder pour les constructions banales. Millions dont la poussière d'or s'accrochait aux doigts gluants de force courtiers et entremetteurs. Ces votes, dont les intéressés étaient assurés, se passaient au milieu d'une inattention générale.
Vital regarda les tribunes et observa ses voisins. Non loin de lui était assise une femme, l'air bon et très doux, avec trois délicieux enfants. Mais il se dit : « A cette heure même mille pêcheurs risquent leur vie et périssent pour un salaire dérisoire, la faim hideuse s'avance vers leurs veuves et leurs petiots. A cette heure des milliers de houilleurs s'exténuent dans les charbonnages, le grisou les guette ou des diminutions de salaire les affament et réduisent leurs femmes et leurs mioches, et tous ceux-ci ont de l'or, de la réserve dans leurs coffres, la plupart font argent de leur nom, touchent des dividendes, cumulent des parts d'action­naires, émargent à tous les budgets, détien­nent tous les emplois et surtout les sinécures, et lorsqu'ils spéculent à la Bourse, à pro­prement dire, ils jouent à la hausse et à la baisse de la chair prolétaire ». Et comme sa conscience lui objectait : « Mais il en est peut-être d'honnêtes, de bons, dc, compatis­sants comme toi. — Tant pis, répondait-il nous mourrons alors ensemble. S'ils sont honnêtes, ils auront dû s'avouer depuis long­temps, qu'en présence de l'inertie et de l'égoïsme des riches et même du moindre propriétaire, les moyens pacifiques et la conciliation sont insuffisants, et que pour édifier quelque chose d'autre, il faut débar­rasser la surface de la terre de toutes les insti­tutions favorables à ces castes parasites qui pompent et neutralisent le meilleur des forces de l'humanité ».

Leur race même est hideuse, se disait Vital. Presque tous ces législateurs ont mangé et bu au-delà de leur appétit et de leur soif. Ventrus, ils représentent l'émanation de la pourriture sociale, les mandataires de la corruption, les élus des coffres-forts ou de la bêtise moutonnière. Ils quintessencient le parlementarisme dans ce qu'il a de plus odieux.

Dans l'hémicycle, un nouvel orateur venait de se lever. C'était un avocat, beau parleur, répandu dans le monde, suintant l'esprit, faisant des mots à propos de tout, au demeu­rant sans conviction et affectant, pour la nécessité politique, des opinions et des sympathies auxquelles sa conduite donnait le plus flagrant démenti. C'était un de ces faux démocrates que leurs nerfs et leur sensibilité de petite maîtresse feraient se trouver mal dans la compagnie des gens qu'ils sont censés aimer et défendre. En ce moment, le politicien à la mode criblait et lardait d'épigrammes un de ses collègues appartenant à l'autre bout de la balançoire politique, avec qui il venait même de déjeuner copieusement en se gaussant de ce bon peuple dont leurs parades entretenaientles illusions généreuses. Et les épicuriennes caillettes donnant à dîner et à potiner, les belles dames, très parées, étaient venues au Palais législatif comme à une première représentation, comme à une matinée artis­tique. Et le bel orateur, virtuose de la rhéto­rique, avait conscience de la présence de ses admiratrices. De temps en temps, après un mot piquant ou une jolie période musicale, comme un ténor favori, coqueluche des nobles abonnées des premières loges, il dirigeait ses regards en coulisse, la main sur son coeur, vers les tribunes fashionables. Il y avait des chuchotements approbateurs, des murmures de ravissement et de délices ; des renversements de mièvres dillettantes pâmées comme aux notes d'une diva. O! la mascarade nauséeuse.

Et Vital songeait qu'au dehors, par une température de dix degrés sous zéro, une armée de sans-travail, blêmes, livides, dégue­nillés, bleus de froid, dévorés par la famine, battaient en ce moment le pavé somptueux, les voies triomphales de la ville luxueuse et babylonienne, qu'un cortège de mères hâves se meurtrissaient le sein pour en retirer une goutte de lait nécessaire à leurs nourrissons maudits avant la naissance.

Ils s'étaient amenés, par un dernier effort, d'une ville industrielle très éloignée ; ils avaient marché toute une nuit de gel, pieds nus, comme les pèlerins de la Faim, plus effrayants que les spectres des danses maca­bres, leur concert de voix fêlées et éraillées psamoldiant sans cesse ce sinistre refrain de litanie : « Du pain. Du pain. Du pain ».

Mais, au lieu de voter d'urgence un crédit de plusieurs millions, de prendre de l'argent n'importe où, au besoin d'en monnayer, d'en puiser par une imposition, une taxe nationale, on retardait le vote de la simple prise en considération de la supplique de tous ces misérables, on faisait faire antichambre à leur agonie.

Et tout cela pour applaudir byzantinement à un godelureau politique, pour lui entendre savonner des phrases d'amuseur du monde chic, pour lui permettre de confire en un excellent style classique des choses perfides mais dosées à l'adresse du gouvernement.

Alors Vital n'hésita plus. Il les jugea, il se jugea lui-même et il lança dans l'hémicycle bavard et funeste, au pied de la tribune d'où parlait le législateur pommadé, la bombe dont il venait d'allumer la mèche. Elle ricocha contre un pilier, déflagra...

Dans une fumée opaque fulminait l'explo­sif — éclair et tonnerre confondus — et la pourpre giclant de mille blessures prolon­geait d'un rougeoiement fumeux le sang fluide de l'éclair vengeur. Des apparences spectrales, des rictus presque aussi macabres que ceux des sans-travail, émergeaient de la buée suffocante.

Et à la détonation justicière, au fracas de meubles et de vitrages brisés, de pierres qui croulent, succédait un cri de terreur suivi d'une plainte, d'un râle continu horriblement modulé, ah, digne enfin de concerter avec les litanies de la Faim.

(texte non relu après saisie, 24.IX.07)

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Georges Eekhoud par Emile Verhaeren (1892)

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