Anonyme
(1649)
Exhortation
de
la Pucelle
d’Orléans,
à tous les Princes de la terre,
de faire venir une paix generale tous ensemble,
pour venger la mort du Roy d’Angleterre,
par une guerre toute particuliere.
Estant âgée de
dix-huit ans, je fus autrefois envoyée de
Dieu en France à Charles VII, pour conserver son Estat, &
pour lui remettre
la Couronne sur la teste, que le barbare anglois s’efforçoit de
luy oster en
usurpant ses terres : mais à present je descends du Ciel
avec la Themide
Astrée, pour donner un advis salutaire à tous les
souverains du bas monde.
Au temps que le Siecle de Fer s’estant chargé de tous les vices des Siecles passez s’en estoit rendu l’amas ; & qu’en embrassant toute sorte d’impiété, il avoit chassé la Verité, la Honte & la Foy, pour cherir en leur place, l’Effronterie, les Ruses, les Trahisons, la Violence, & l’execrable desir d’Avoir, dont la soif ne se peut estreindre. Au temps, dis-je, que la pieté : ensemble & la pieté couchées par terre, estoient foulées aux pieds : la Justice apres avoir resisté plus long-temps icy bas de toutes les divines Vertus, contre la violence de tous les vices, fut enfin forcée d’abandonner la terre pour se retirer dans le Ciel, où elle pouvoit pour lors seulement trouver de la seureté. Et aujourd’huy que l’impieté sans borne, s’est débordée si outrageusement dans l’Angleterre, qu’il ne luy suffit pas de s’estre acquis la Souveraineté de cette grande Isle : mais qu’elle a suscité d’autres Geants, lesquels bouffis de presomption, veulent planter leur Siege sur le Throsne des Roys ;& quoy qu’ils ne soient qu’enfans de la terre, se veulent seoir dans le Siege des Dieux, en massacrant plus que brutalement les Divinitez, qui ne sont envoyées icy bas que pour gouverner les hommes, elle est descenduë du Ciel avec moy par un commandement absolu de la Divinité, pour se transporter vers les suprémes puissance du bas monde, afin de les exhorter par ma bouche à prendre les armes contre les parricides Anglois. Apollon autrefois s’adressa
à Pâris, auquel il
parla en
cette sorte : C’est donc
maintenant qu’il faut que nous voyons
ruiner les
haultes Tours de Troye, que j’ay eu tant de peine à
bastir : Est-il
possible que vous jettiez les yeux sans affliction, sur ce Fort
penchant à sa
ruine ? Et comme il vid Pâris qui laschoit quelques
traits
sur des
simples soldats, sans valeur & sans nom, luy dit : Comment
t’amuses-tu à perdre ton temps & tes fléches, dans le
sang de ce menu
Peuple ? Ce n’est pas là que tu dois viser, si tu veux te
conserver. Ha
Roys de la terre ! je ne m’adresse pas à Pâris, mais
à Paris : Que
faites-vous maintenant, que vostre Confrere massacré, non par le
foible bras
d’un Pâris, mais décapité par la main d’un lasche
bourreau d’Enfer, se plaint à
vous pour en retirer une juste vengeance ? Ne perdez point vostre
temps
& vos pouldres, pour affoiblir vos forces, en vous affoiblisssans
vous-mesmes par la mort de tant d’hommes de coeur. Unissez-vous, &
ramassez
vos Escadrons, pour esteindre cette maudite race d’Anglois, qui ont si
traitreusement ensanglanté leurs mains dans le sang de leur
Prince. Quoy !
les dernieres paroles de ce pauvre Roy, laissent-elles vostre coeur
sans
ressentiment de sa mort ? Quand Darius dernier Roy des Perses, eut
l’heur
en son dernier mal heur, de rencontrer un Citoyen auprés d’une
fontaine :
il recommanda à ce grand Alexandre la vengeance du traistre,
& la justice
des Roys ; & telle recommandation eut tel pouvoir
auprés d’un Ennemy,
que Bessus fut donné au frere de Darius, pour estre aussi
justement puny, comme
il avoit brutalement massacré son maistre. Est-il possible qu’un
Ennemy trouve
du ressentiment pour rendre justice à l’autre, & que vos
coeurs ne
s’ouvrent point pour avoir compassion de vostre frere ? Faut-il
qu’une
pauvre veusve desolée, reduite à la derniere
extrémité, ne puisse faire naistre
aucune pitié dans vos armes ? Ces pauvres orphelins eslevez
dans
l’esperance d’une si grande fortune, ne vous touchent-ils point ?
Ha il
faudroit estre insensibles, pour n’estre point émeus à
l’aspect de tant de
tristesse. Tant de millions de vraves Soldats, lesquels ont tous perdu
la vie
pour la defense de leur Roy, que depuis les Anglois ont tué, ne
se representent
ils point aux yeux de vostre souvenir ? Que si la Justice qui vous
parle
par ma bouche, ne peut obtenir cette requeste de vos armes ; que
la
crainte du moins qu’on vous en fasse tout autant, vous les mette entre les mains. Hé en quelle
asseurance
suprémes Puissances de la terre, pensez-vous que les autres Roys
puissent vivre
parmy les Peuples, puisque ces loups d’Anglois ont bien osé
d’une fureur
enragée, exercer une cruauté si brutale en la personne
d’un Roy, allié si
estroitement à la France, qu’ils sçavent aymer si
tendrement ses Roys ? La
France fait bien tant d’estat des Roys, qu’elle pardonne mesme aux
criminels
sortis de sang Royal. Si vous souffrez ce crime execrable, la mort des
Roys ne
sera qu’un jeu commun, & un moyen aux Peuple brutaux, pour se
retirer de
l’obeyssance de leurs Souverains : de laquelle ils ne se pourront
soustraire, sans leur ravir la vie. Les venerables droicts des
personnes
sacrées, autrefois tout à fait inviolables, ne pourront
doresnavant rendre un
Prince asseuré au milieu de son Peuple. Si nous aymons tant nos
Peres, que
Solon n’ait voulu qu’en sa Republique on ordonnast aucun supplice
contre les
parricides ; ne pensant pas qu’aucun de ses Citoyens conseust
jamais tant
de rage qu’il vint à commettre un tel crime, que devons-nous
à nos Roys ?
Et en effet, il n’entre dans le sens commun des hommes, qu’aucun puisse
se
resoudre de donner la mort, à celuy duquel il tient la vie.
Publius Malleolus
fut le premier dans Rome, qui contre le droict de nature, viola ce
droict sacré
par la mort de sa mere : mais la punition exemplaire suivit de
prés ce
coup d’enfer. Par la loy des Anciens, il fut fouëtté avec
des verges destinées
pour tel supplice : puisapres il fut jetté dans la mer
cousu dans un sac,
accompagné d’un Coq, d’une Vipère, & d’un Singe,
ainsi que dit Tite-Live
livre 48 comme une personne indigne estant vif de regarder le Ciel,
&
estant mort d’estre ensevely en terre. Depuis ce temps-là ce
supplice sembla
trop doux aux Romains, & voulurent livrer tels scelerats à
la cruauté des
bestes. Si les Loix punissent si severément un fils
desnaturé, pour avoir osté
à sa mere la vie qu’il tenoit d’elle : que pensez-vous
qu’elles fassent à
celuy qui a tué le pere commun de tant d’enfants ? Faut-il
avoir plus de
retenuë pour punir le crime d’un particulier, que celuy qui
regarde tout le
genre humain ? Quoy ! l’on reputera un Publius Malleolus qui
n’a
massacré que sa mere, un homme privé, indigne de
joüir de la faveur d’aucun des
éléments ; & l’on laissera respirer l’air
à ces diaboliques enfans,
qui d’un dessein d’enfer ont conspiré contre la vie du pere
commun de toute une
nation ? Il vivront apres avoir fait mourir leur pere ? Et
apres
l’avoir fait mourir par la main d’un bourreau, afin de le rendre par
une mort
criminelle, tout criminel sans crime ? Les Roys ne doivent rendre
compte
de leurs actions qu’à la Souveraine puissance, de laquelle seule
ils tirent
toute leur authorité : & ces desnaturez sans aucune
authorité, ont
fait mourir le leur ? Bourreaux, n’estoit-ce pas assez d’avoir
deshonoré
la France par le meurtre de Marie Stuart ? Falloit-il que pour que
pour
authoriser vostre crime, vous y adjoustassiez celui d’avoir tué
votre
Prince ? Sans autre raison, sinon que vous estes en possession de
faire
mourir vos Rois ? Mais il ne s’en faut pas estonner : car
ceux qui
font la guerre à Dieu, sont capables de tous crimes. Toutefois
puis qu’ils sont
tels, il est juste que toutes les creatures se bandent contre les
ennemis du
Createur.
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