Anonyme
SUJET
DE LA FARCE
REPRESENTÉE
PAR MAZARIN, SES DEUX NIEPCES
ET LES PARTISANS
dancée dans la place de Sainct-Germain-en-Laye
A Paris, chez C. Morlot, ruë de la Bucherie
Aux Vieilles Estuves.- M.DC.XLIX
Avec permission
Cependant que
toute l’Europe est en alarme et que la tristesse tient
l’Empire dessus toutes les passions, Mazarin, bien
qu’il aye plus de raison de pleurer que de rire, ne laisse
pourtant de chercher toutes les occasions de pouvoir se divertir. Il
vid dans une si grande indifference, qu’il n’y a
rien qui le tourmente que le souvenirs de ses plaisirs
passés ; il ayme plus la guerre que la paix, le mal que le
bien de la France ; la mort du Roy d’Angleterre est pour luy
une legere histoire, et la paix generale est dans son idée
le plus grands malheur du monde. Il appelle l’honneur un
monstre dans la nature, la vertu un phantosme d’horreur, et
le vice est pour luy le souverain bien temporel. Dans le caresme aussi
bien que dans le carnaval, il cherche ses divertissemens ; et parce que
la rigueur de l’hiver ne luy a pas permis, à cause
des grandes neiges, à cause des grandes neiges, de pouvoir
aller à la chasse, l’envie luy prit le dimanche
dernier de faire une farce pour se divertir, cependant que
l’on tenoit la conference à Ruel touchant les
affaires les plus importantes pour le salut de la France ; il
s’habilla en vendeur de baulme, et pria ses niepces de faire
les personnages des danseuses, et les partisans de contrefaire les
arracheurs de dents. Ils se mirent tous dans la disposition de bien
faire leur devoir ; et pour mettre en execution leur dessein, ils
firent dresser un theatre dans la place de Sainct-Germain-en-Laye,
où estans montez, voicy que le Mazarin commença
à faire sa premiere entrée, et fit une grande
reverence à l’italienne à tout le
peuple qu y assistoit ; et en après il commença
à faire une excellente description des vertuz et proprietez
de son remede. Ne croyez pas qu’il fust composé
d’anis, de rhubarbe ou de sené, ny de quelques
rares et salutaires simples, ny moins encore qu’il fust
semblable au remede que distribuë son grand amy Orvietant ; il
aymeroit mieux plustost en distribuer un qui luy fust contraire
entierement, et ne seroit pas plus soigneux d’en distribuer
à nos messieurs du Parlement, qu’à
plusieurs princes de la France, afin de les faire aller plus viste en
l’autre monde ; son remede est d’une autre nature
et la composition en est prodigieuse ; parcequ’il
n’est qu’un extraict d’un seul ingredient
; et pour ne pas vous faire languir davantage, je vous diray que son
baume est la quinte essence des tresors de la France. Le peuple
considerant qu’il estoit d’un trop grand prix,
fut tout estonné de son artifice, et il ne se
trouvoit point aucun des assistans qui osast jeter son mouchoir ; il ne
laissa pas neantmoins de raconter à la compagnie les
prodigieux effets de sa quinte essence. Il disoit qu’elle
n’estoit pas seulement propre pour rejouïr le
cœur, fortifier la memoire, dissiper la melancholie,
recréer les esprits, chassez les ventositez et cruditez de
l’estomach, mais encore elle estoit excellente pour toutes
sortes de blessures, et que sans elle on ne peut jamais faire de bons
consumez ny moins tenir long-temps le corps humain en repos et en
santé. Nostre medecin certainement a raison ; car une
personne qui n’a point d’or est toujours en fievre.
Il sçavoit bien que son remede estoit de trop grand prix, et
que par consequent aucun des habitans de Sainct-Germain
n’entreprendroit point d’en achepter, mais plustost
de le piller, ce qui fut la cause qu’il ne l’exposa
point en vente ; mais il le laissa dans ses coffres, prit
congé de l’assemblée et s’en
alla derriere le theatre. A l’instant ses deux niepces
parurent, qui firent un grand discours sur la souplesse et
l’agilité du corps humain, et sur le plaisir et le
contentement qu’il y a à danser sur la corde ;
pourtant il ne se trouva homme ny femme qui voulust apprendre ce
mestier, mais tout d’un commun accord leur dirent
qu’elles devoient apprendre ce mestier à leur
oncle, puisqu’il estoit plus digne de la corde que personne
qui fust en France. Elles mal satisfaites d’une telle
response s’en retournent toutes au fond du theatre,
d’où sortent en mesme temps les partisans habillez
en arracheurs de dents ; ils parlent à merveille de
l’industrie de leurs mains, promettant de tirer toutes les
dents de la gorge d’une personne sans luy faire de mal.
Ils font voir assez que le proverbe est très-veritable, qu’ils sont semblables à ces arracheurs, et ont coustume de mentir beaucoup plus que non pas les derniers, qu’ils sont cent fois plus dommageables aux sujets de la France que non pas les autres ; une trop funeste experience nous le fait cognoistre evidemment : les arracheurs de dents nous peuvent empescher par nostre consentement de manger du pain, et les autres nous le derobent ; ces bateleurs ne nous peuvent pas empescher de boire, et les partisans nous empeschent de boire et de manger par leurs malefices et artifices ; ils sont mesme pires que les demons, qui ne peuvent point prejudicier qu’à l’exterieur, et ces sansuës donnent la gesne tant exterieurement qu’interieurement aux plus fidelles François ; ils n’ont point d’autres regles ny axiomes que cet adage : Dum fueris dives multos numerabis amicos, Tempora si fuerint nubila nudus eris Ces arracheurs de dents aussi bien que l’empirique et les danseurs sur la corde, ne trouvent point dans cette place de Sainct-Germain à débiter leurs secrets ; neantmoins pour le contentement de la compagnie ils promettent la jolie farce des rencontres nocturnes, si bien que le Mazarin vient le premier sur le theatre en oublieux, et ce n’est pas sans raisons qu’il fait ce personnage, puisqu’il a esté dans Rome porteur de rogatons. Après luy viennent ces deux niepces, l’une fait la maquerelle et l’autre la garce ; elles representent parfaictement la charge et le mestier qu’elles exercent. La troisiesme entrée est des partisans qui font le personnage de leveurs de manteau ; toute cette troupe, en dansant sur un mesme air, font en figure les sept planettes, pour faire vivre les François sous le signe de l’Escrevice ; mais les deux Jumeaux qui precedent cette constellation, avec le Lio et la Balance, mettront en deroute cet amas de canaille et destruiront le theatre de leur insolence ; alors le baume, les plaisirs et les dents ne manqueront point. FIN.
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