Xavier Forneret
(1809-1884)
Un pauvre honteux
Il l'a tirée De sa poche percée, L'a mise sous ses yeux ; Et l'a bien regardée En disant : " Malheureux ! " Il l'a soufflée De sa bouche humectée ; Il avait presque peur D'une horrible pensée Qui vint le prendre au coeur. Il l'a mouillée D'une larme gelée Qui fondit par hasard ; Sa chambre était trouée Encor plus qu'un bazar. Il l'a frottée Ne l'a pas réchauffée A peine il la sentait ; Car, par le froid pincée, Elle se retirait. Il l'a pesée Comme on pèse une idée, En l'appuyant sur l'air. Puis il l'a mesurée Avec du fil de fer. Il l'a touchée De sa lèvre ridée. - D'un frénétique effroi Elle s'est écriée : Adieu, embrasse-moi ! Il l'a baisée, Et après l'a croisée Sur l'horloge du corps, Qui rendait, mal montée, De mats et lourds accords. Il l'a palpée D'une main décidée A la faire mourir. - - Oui, c'est une bouchée Dont on peut se nourrir. Il l'a pliée, Il l'a cassée, Il l'a placée, Il l'a coupée ; Il l'a lavée, Il l'a portée, Il l'a grillée, Il l'a mangée. |
Quand il n'était pas grand on lui avait dit : Si tu as faim, mange une de tes mains. |