Ernest d'Hervilly
(1839-1911)

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Sur les bords du Saubat
A Théophile Gautier
(Le harem, 1874)

Ma maîtresse est très belle, et vaut cher ! Ses oreilles
Pendantes sur son col ont des anneaux de fer;
Ses dents sont d'un beau jaune; et ses lèvres pareilles
Au fruit du jujubier, semblent embrasser l'air.
 
Ses seins noirs et luisants, dressés sur sa poitrine,
Ont l'air de deux moitiés d'un boulet de canon;
Au coin de son nez plat, passé dans la narine,
Pendille, et - c'est ma joie - un fragment de chaînon.
 
Ses cheveux courts, tressés, ont l'aspect de la laine;
Sa prunelle se meut, noire sur un fond blanc,
Humide, transparent comme la porcelaine;
Et son regard vous suit, placide, doux et lent.
 
Ses membres sont ornés de bracelets de graines
Eclatantes; elle a des joyaux plus coquets :
Pour lui faire un manteau comme en portent les reines.
J'ai tué dans les bois plus de cent perroquets !
 
Moi seul l'ai tatouée, et moi seul sur sa joue
Ai peint en vermillon de bizarres oiseaux,
Ou bien, à l'ocre jaune, une charmante roue.
Chef grave, j'ai construit son ombrelle en roseaux !
 
Pour vos maigres tailleurs, j'ai gardé peu d'estime :
La peau d'un buffle noir enveloppe mes reins,
Et sur son cuir tanné j'inscris chaque victime
De ma zagaie, où flotte une touffe de crins !
 
Notre couple effrayant en tous lieux a la vogue;
On le cite à la danse, au festin, au combat;
Nul ne sait mieux que nous conduire une pirogue
Sur les flots encombrés de nasses du Saubat.
 
Ma négresse est mon dieu ! je l'avoue à voix basse;
Et, quand j'ai vendu deux défenses d'éléphant,
Je lui verse du rhum à pleine calebasse;
Et pendant qu'elle boit, je porte son enfant.
 
Alors, je suis heureux ! Je hurle en vrai sauvage !
Mes trois colliers de dents rendent un son hideux !
Je bondis ! et mon cœur ne voit plus le rivage
Où vit, en m'oubliant, une femme aux yeux bleus.

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