Anonyme
LES
INHUMANITEZ
ET SACRILEGES DU
CAPITAINE LIGNOU EN-
vers les Religieux de la Chartreuse
du Liget, place en Thouraine par
luy prise :
Avec
l’emprisonnement de Chicot
par ledict Lignou
Suyvant la coppie d’une Missive envoyee
de Tours à un Religieux de Paris.
A PARIS
De l’Imprimerie de Denis Binet.
M.D.LXXXIX
MONSIEUR,
le
Theatre de la France est ores tellement parfourny de personnages trop
prompts (à mon regret de l’ensanglanter par un
tragicq
desbordement, qu’il m’est possible apres vous avoir
adverty
de noz affaires particulieres, vous faire entendre autre chose que
leurs esnormes nouveautez. Or entre les plus recentes, j’ai
voulu
vous faire sçavoir, que depuis quelque temps en
çà, un certain Matois, appellé le
Capitaine
Lignou, par une trouppe de gens de sa sorte qui le suivent &
assistent en ses courses, est entré violemment en une place
forte de ces quartiers, distante de ceste Ville de sept à
huict
lieuës, accompagné de cinquante ou soixante
Cuirasses, lieu
certainement autant beau & fort que devotieux,
appellé les
Chartreux de Liget, où estant aleché &
meu des moyens
dudict lieu, & semblablement de leurs reliques qui ont
certainement
pour s’en assouvir, esté à sa devotion,
ne
s’est peu contenter. Ains ô cruauté
barbare, avide
de plus en plus, de ce qui le pousse. Il prent tost apres &
faict
prendre quelques uns des plus anciens Religieux dudict Convent, pour
leur faire dirent ce qu’ils ne sçavent pas, ou
pour mieux
dire s’en jouer, les a faict mettre & plonger en
l’eau
des plus proches Estangs jusques à la gorge, puis jusques
aux
levres, en apres avoir mis la pointes de leur homicides lames, leur
ouvroyent la bouche, & leur desseroient les dents pour y
laisser
& faire entrer & couler l’eau, &
ainsi les faire peu
à peu noyer : estimant leur faire enseigner ce
qu’ils ne
sçavoient pas eux mesmes : cuidant lors que la constance qui
apparoissoit en ces scaincts personnages provint de quelque obstination
ou crainte de perdre ce qu’ils n’avoient pas,
&
qu’ils leur vouloient faire deviner : ils redoubloient leur
courroux & cruautez, innovant de là en avant tels
&
autres tourmens pour les vexer, si bien que les pauvres gens ont
esté dechassez, leur Temple polu, & le Sainct
Service
arresté, & au lieu d’iceux maintenant
profané
d’odieux jurements. Evident signe veritablement, que
c’est
contre Dieu que l’on s’adresse, &
qu’à
cette raison il prendra nostre cause, si nous deffendons la sienne. Et
ce qui me faict esmerveiller, c’est que l’on ne
sçait pour qui il tient : car l’on m’a
asseuré, qu’il ne tient ny pour l’un, ny
pour
l’autre, ains pour luy seul : Et dit-on qu’il
surprent en
cette sorte les forts , Places & Chasteaux, puis y reside,
jusques
à ce que l’on le face sortir, ou par force
d’escus,
ou à force de boulets, ce qui en donne couverture,
c’est
que ceux du Chasteau de Loches, proches dudict lieu
s’apprestent
d’y mener le Canon, pource que ladicte place est
d’importance sur le Chasteau de Loches. Pource aussi
qu’au
paravant Chicot si estoit transporté pour parlementer avec
ce
Capitaine Lignou pour luy promettre deux milles escuz, afin
qu’il
quittast ladicte place : ce qu’il n’a voulu
accepter : ains
a retins & emprisonné ledict Chicot, lequel ny pour
apprehension d’estre captif, renaque, bouffe, deteste, grince
les
dents, & crie : car simia semper simia,
renouvelant toutes les
folies dont il resjouissoit son Maistre, qui ne meritent de
parvenir jusques à voz pures oreilles : Toutefois, on dict
qui
donne sondict Maistre Henry à tous les Diables, & le
maudict
souventesfois, & a essayé de sortir par une
infinité
de ruses & stratagemes qu’il inventoit en
soy-mesme, entre
autres, jouant un jour avec celuy qui luy tenoit compagnie pour sa
fois, ils jouerent tant, & esmeut tant son guardien
à jouer,
qu’il luy fist en fin jouer jusques à sa cazaque
son
chapeau empanaché, ses armes, & tout son
equipage, que ils
mettoient presentement en jeu : l’heur voulut que Chicquot
gaigna
le tout, puis s’en equippa, & faisant le mauvais
s’en
panadoit : au grand despit du perdant, qui ne taschoit
qu’à recouvrer sa perte : ce que ledict Chicot luy
promit
rendre, moyennant aussi qu’il luy permist de le laisser,
&
s’en aller librement presenter devant ledict Capitaine Lignou
pour le faire rire : toutesfois son intention estoit de tascher
à sortir dudit lieu & faire escampe, ce que ledict
perdant
luy accorda facilement ; Mais au lieu de ce faire, la teste baissee
passa entre les soldats comme ses compagnons, estant vestu entierement
de leur livree, & estoit desja incogneu : passé tous
les
passages qui l’eussent rendu en liberté, si ceux
qui
gardoient la derniere porte rians, & se gaudissans
ensemblement,
n’eussent ouy un coup de canon qui fut tiré du
proche
Chasteau de Loche, qui tout aussi tost (veu aussi quelques
compagnies qui passoient & costoient ladicte place) les fist
serrer, clorre, & barrer la porte, qui fut la cause de retenir
la
sortie au pauvre soldat de Chicot, qui par apres fut recogneu &
incontinent serré plus estroictement qu’il
n’avoit
esté par devant. Tout cecy n’est digne de vous
amuser
davantage, & laisseray là Chicot entre les mains
dudict
Lignou, lequel à dire vray a semblé à
celuy, qui
ce pendant que les ennemis se battoient à qui auroit
l’Asne, monta dessus & l’emmena. Et pour
vous dire, les
forces de deça sont bien petites, & que Monsieur le
Duc de
Mayenne ne doit redouter de leur venir donner subit l’assaut.
FIN.
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