C'EST
une grande concession, sans doute : un journal politique parler
de modes ! Et la gravité ! où est-elle ? A la
bonne heure ; mais partout on s'occupe de modes, et puis ne faut-il pas
un dédommagement, même frivole, à tant
de discours sans fin et de dissertations â perte de vue ? A
tout hasard donc, voici ce que nous avons appris des modes nouvelles ;
nous parlons d'hier, ce ne sera peut-être plus la
même chose demain.
Hâtons-nous donc, il s'agit de quelque chose d'aussi fugitif
qu'une ombre dans le dernier mois de l'automne ; quelque chose, et puis
rien, une feuille qui pend encore à l'arbre, que le vent
détache de la branche et qui se perd dans le bois, ou, si
vous aimez mieux, une lourde histoire de M. Capefigue, de petits vers
de l'école moderne, une ballade de M. Hugo, une
élégie espagnole de M. Émile
Deschamps, un poëme burlesque de M. Viennet, rien de plus.
Nous avons donc appris qu'un chapeau habillé doit
être en crêpe rose lisse et en blonde ; c'est un
chapeau déjà moins printanier, avec quatre bandes
sur la passe, trois plumes blanches et roses au sommet, un demi-voile
de blonde sur le devant, assez de blonde pour couvrir d'une ombre
légère la chevelure bouclée et cet
oeil si vif de jeune femme qui sort par un beau soleil, pas assez
longue cependant pour vous cacher son sourire, et la proportion est
difficile à trouver !
On porte encore des chapeaux de paille d'Italie, les chapeaux en papier
ayant fait aussi peu fortune que les discours de M. Agier ; on a mis du
trèfle d'eau sur ces chapeaux ; vous voyez d'ici l'effet :
une plante verte, à larges feuilles, fille de l'orage ;
aussi bien tombe-t-il assez d'eau, depuis quelque temps, pour qu'on ait
songé au trèfle aquatique à la place
de la rose, si fraîche, si belle, mais, hélas ! si
passagère toujours !
Vous avez vu souvent le matin, dans la rue de Rivoli, et donnant le
bras à son père, quelque jeune personne de
dix-huit ans, en robe bleue, en petits souliers et sans
écharpe ; alors, il n'y a pas de doute que sa jolie
tête était cachée sous une longue
capote de paille lisse bien sombre et doublée de rose d'une
teinte fort vive ; vous diriez de loin une jeune danseuse sous un
lustre, qui voudrait se dérober à la
lumière et qui ne peut éviter les regards.
On a fait aussi des chapeaux marseillais en gros de Naples et en
moiré ; la forme en est basse et plate, les bords, plats
aussi et égaux tout autour, ont au moins six pouces de
large. Pour porter un tel chapeau, prenez une belle et grande femme,
belle taille, teint vif, noble profil, oeil grand et animé,
Mlle Georges, si vous voulez, le lendemain d'un triomphe, quand elle
aura joué la Christine de l'auteur de Roméo.
Vous êtes à Tivoli, le soir (hélas !,
pauvre et beau jardin de Tivoli, le déluge a fait fermer ses
portes, il a ôté leur couleur à ses
girandoles enflammées, leur soleil à ses feux
d'artifice, leur harmonie à ses concerts, comme il a
enlevé la saveur aux glaces et aux sorbets de Tortoni) ;
vous êtes, vous dis-je, dans les bosquets de Tivoli, le soir,
un léger parfum perce devant vous, puis le bruit d'un
soulier neuf, le froissement d'une robe ; à coup
sûr cette robe est une jupe de jaconas rose ou
d'étoffe de soie d'un beau vert; et pour dessiner cette
jupe, dont l'extrémité, tombant à la
cheville, laisse entrevoir un pied de nymphe, un canezou blanc, sans
riche broderie, tout simple, éblouissant de
fraîcheur et légèrement
ombré par une teinte châtaine à son
sommet.
Dans beaucoup de salons de haut parage, surtout dans les salons
où se réfugie le bel esprit, alors que chacun
fait silence, que la maîtresse de la maison appuie sa
tête dans sa main gauche et son bras sur le bras de son
fauteuil, quand la pendule semble arrêtée et que
le lecteur, déroulant la tragédie de Moïse, tremble de ne pouvoir
pas assez bien lire, et ne se
souvient plus de ses succès de théâtre
et de vieille tragédie chantée ; alors, si vous
êtes jeune homme et plus avide de
réalité que de chimère, de
poésie vivante que de poésie morte, de drame
passionné que de déclamation languissante, vous
laissez errer vos regards sur les femmes de l'assemblée, et
vous remarquez leurs manches
à l'imbécile.
C'est ainsi qu'on les nomme, et bien injustement, sans doute : en
effet, figurez-vous, attachées à une robe de
grande dame, deux larges manches ouvertes depuis la saignée,
à l'endroit même où Dupuytren
choisirait la veine la plus gonflée, au milieu des veines
plus petites qui se croisent jusqu'au poignet, à la place
même où finit le gant jaune et frais ;
voilà les manches à
l'imbécile.
Deux petits boutons d'or émaillés ferment cette
fente, mais non pas assez pour empêcher de voir le bras blanc
et potelé. Et se cupit ante
videri.
On m'a fait remarquer au jardin des Tuileries, avec admiration, il est
vrai que l'observateur était une femme, un canezou blanc
surchargé par derrière d'une basque large de
quatre doigts et haute de deux. « Que c'est riche et beau !
disait la dame. - Je préfère à ce
canezou, lui répondis-je, et à sa basque de
quatre doigts, ce charmant brodequin d'étoffe,
lacé de côté en dedans, qui donne
à une jeune personne les pieds légers d'une
perdrix grise quand la moisson est faite, et qui vole plutôt
qu'elle ne court sur la paille coupée ! - Ce brodequin est
fort joli disait la dame en soupirant ; mais j'aime mieux cette basque
large de quatre doigts et haute de deux !
- Voyez-vous, Madame, lui répondis-je, il me semble que la
mode est faite surtout pour les hommes, et qu'à eux seuls
appartient de la juger. Soyez donc persuadée que ce canezou
à larges basques, que vous trouvez si beau, n'aura pas de
succès parmi nous. Parlez-moi des capotes de paille, des
jupes roses, des brodequins gris ou rouges, ou, si vous aimez mieux, de
ces robes du matin si simples et si jolies, qui ont des poches comme un
tablier de soie de la rue Vivienne ! - Les poches sont plus petites
qu'à l'ordinaire, répondit la dame, et elles sont
de la même étoffe que la robe, »
ajouta-t-elle ; puis avec un profond soupir : « J'aime mieux
ce canezou avec cette basque large de quatre doigts et haute de deux !
»
|