Images d'Epinal

Fables de La Fontaine
(série rose)
(19..)
 
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SÉRIE ROSE

FABLES

DE

LAFONTAINE
Fables de La Fontaine (série rose), couv.

LE LIÈVRE ET LA PERDRIX


Il ne se faut jamais moquer des misérables
Car qui peut s'assurer d'être toujours heureux ?
           Le sage Esope, dans ses Fables,
           Nous en donne un exemple ou deux.
           Celui qu'en ces vers je propose,
Et les siens, sont même chose.
Le lièvre et la perdrix, concitoyens d'un champ,
Vivaient dans un état, ce semble, assez tranquille,
          Quand une meute s'approchant
Oblige le premier à chercher un asile :
Il s'enfuit dans son fort, met les chiens en défaut,
          Sans même en excepter Brifaut.
          Enfin il se trahit lui-même
Par les esprits sortant de son corps échauffé.
Miraut sur leur odeur ayant philosophé,
Conclut que c'est son lièvre, et, d'une ardeur extrême,
Il le pousse ; et Rustaut qui n'a jamais menti,
          Dit que le lièvre est reparti
Le pauvre malheureux vient mourir à son gîte.
          La perdrix le raille, et lui dit
          Tu te vantais d'être si vite :
Qu'as-tu fait de tes pieds ? Au moment qu'elle rit,
Son tour vient, on la trouve. Elle croit, que ses ailes
La sauront garantir à toute extrémité ;
          Mais la pauvrette avait compté
Sans l'autour aux serres cruelles.
Le lièvre et la perdrix

L'HUITRE ET LES PLAIDEURS

Un jour deux pèlerins sur le sable rencontrent
Une huître que le flot y venait d'apporter ;
Ils l'avalent des yeux, du doigt ils se la montrent ;
A l'égard de la dent il fallut contester.
L'un se baissait déjà pour ramasser la proie ;
L'autre le pousse, et dit : Il est bon de savoir
          Qui de nous en aura la joie.
Celui qui le premier a pu l'apercevoir
En sera le gobeur ; l'autre le verra faire.
          Si par là l'on-juge l'affaire,
Reprit son compagnon, j'ai l'œil bon, Dieu merci.
          Je ne l'ai, pas mauvais aussi,
Dit l'autre et je l'ai vue avant vous sur ma vie.
Eh bien ! vous l'avez vue ; et moi je l'ai sentie.
          Pendant tout ce bel incident,
Perrin-Dandin arrive : ils le prennent pour juge.
Perrin fort gravement ouvre l'huître et la gruge,
          Nos deux messieurs le regardant.
Cerepas fait, il dit d'un ton de président :
Tenez, la cour vous donne à chacun une écaille
Sans dépens, et qu'en paix chacun chez soi s'en aille
Mettez ce qu'il en coûte à plaider aujourd'hui ;
Comptez ce qu'il en reste à beaucoup de familles :
Vous verrez que Perrin tire l'argent à lui
Et ne laisse aux plaideurs que le sac et les quilles.
L'huitre et les plaideurs

LE SINGE ET LE LÉOPARD


         Le singe avec le léopard
         Gagnaient de l'argent à la foire
         Ils affichaient chacun à part.
L'un d'eux disait : Messieurs, mon mérite et ma gloire
Sont connus en bon lieu : le roi m'a voulu voir,
         Et si je meurs il veut avoir
Un manchon de ma peau, tant elle est bigarrée,
         Pleine de taches, marquetée,
         Et vergetée, et mouchetée.
La bigarrure plaît : partant chacun le vit.
Mais ce fut bientôt fait ; bientôt chacun sortit.
Le singe de sa part disait : Venez, de grâce,
Venez, messieurs ; je fais cent tours de passe-passe.
Cette diversité dont on vous parle tant,
Mon voisin léopard l'a sur soi seulement
Moi, je l'ai dans l'esprit. Votre serviteur Gille,
         Cousin et gendre de Bertrand,
         Singe du pape en son vivant,
         Tout fraichement en cette ville
Arrive en trois bateaux, expès pour vous parler :
Car il parle, on l'entend ; il sait danser, baller,
         Faire des tours de toute sorte,
Passer en des cerceaux et le tout pour six blancs ;
Non, messieurs, pour un sou si vous n'êtes contents,
Nous rendrons à chacun son argent à la porte.
Le singe avait raison : ce n'est pas sur l'habit
Que la diversité me plaît ; c'est dans l'esprit
L'une fournit toujours des choses agréables ;
L'autre, en moins d'un moment, lasse les regardants.
Oh ! que de grands seigneurs, au léopard semblables
        N'ont que l'habit pour talents !
Le singe et le léopard

LE LION, LE LOUP ET LE RENARD


Un lion, décrépit, goutteux, n'en pouvant plus,
Voulait que l'on trouvât remède à la vieillesse.
Alléguer l'impossible aux rois, c'est un abus.
           Celui–ci parmi chaque espèce
Manda des médecins : il en est de tous arts :
Médecins au lion viennent de toutes parts ;
De tous côtés lui vient des donneurs de recettes.
           Dans les visites qui sont faites,
Le renard se dispense, et se tient clos et coi.
Le loup en fait sa cour, daube, au coucher du roi,
Son camarade absent. Le prince, tout à l'heure,
Veut qu'on aille enfumer renard dans sa demeure,
Qu'on le fasse venir. Il vient, est présenté ;
Et sachant que le loup lui faisait cette affaire :
Je crains, sire, dit-il, qu'un rapport peu sincère
           Ne m'ai à mépris imputé
           D'avoir différé cet hommage ;
          Mais j'étais en pélérinage,
Et m'acquittais d'un vœu fait pour votre santé.
          Même j'ai vu dans mon voyage
Gens experts et savants, leur ai dit la langueur
Dont votre majesté craint à bon droit la suite.
          Vous ne manquez que de chaleur :
          Le long âge en vous l'a détruite.
D'un loup écorché vif appliquez-vous la peau
          Toute chaude et toute fumante :
          Le secret sans doute en est beau
          Pour la nature défaillante.
          Messire loup vous servira,
          S'il vous plaît, de robe de chambre.
          Le roi goûte cet avis–là
          On écorche, on taille, on démembre
Messire loup. Le monarque en soupa,
           Et de sa peau s'enveloppa.

Messieurs les courtisans, cessez de vous détruire ;
Faites, si vous pouvez, votre cour sans vous nuire !
Le mal se rend chez vous au quadruple du bien.
Les daubeurs ont leur tour, d'une ou d'autre manière ?
           Vous êtes dans une carrière
           Où l'on ne se pardonne rien.
Le lion, le loup et le renard

LE RENARD & LES RAISINS

Certain renard gascon, d'autres disent normand,
Mourant presque de faim, vit au hautd'une treille
Des raisins mûrs apparemment,
Et couverts d'une peau vermeille.
Le galant en eût fait volontiers un repas ;
Mais comme il n'y pouvait atteindre .
Ils sont trop verts, dit-il, et bons pour des goujats
Fit-il pas mieux que de se plaindre ?
Le renard et les raisins
LE RAT DE VILLE ET LE RAT DES CHAMPS

Autrefois le rat de ville
Invita le rat des champs,
D'une façon fort civile,
A des reliefs d'ortolans.
Sur un tapis de Turquie.
Le couvert se trouva mis.
Je laisse à penser la vie
Que firent ces deux amis.
Le régal fut fort honnête ;
Rien, ne manquait au festin ;
Mais quelqu'un troubla la fête
Pendant qu'ils étaient en train.
A la porte de la salle
Ils entendirent du bruit.
Le rat de ville détale
Son camarade le suit.
Le bruit cesse ; on se retire :
Rats en campagne aussitôt ;
Et le citadin de dire :
Achevons tout notre rôt.
C'est assez, dit la rustique :
Demain vous viendrez chez moi.
Ce n'est pas que je me pique
De tous vos festins de roi.
Mais rien ne vient m'interrompre ;
Je mange tout à loisir.
Adieu donc.
Fi du plaisir
Que la crainte peut corrompre t

Le rat des villes et le rat des champs








Imagerie de Pont-à-Mousson, Marcel VAGNÉ,
Imprimeur-Éditeur (Déposé)
4e de couv.


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