Maximilien
Leroy
(17..-18..)
L'art
de parler sans rien dire
A l'usage des étrangers et des jeunes gens
qui se destinent au grand monde et qui désirent y briller
(1811)
On a chanté l'Amour, on a chanté la Gloire, On a chanté Bacchus, Achille et la Victoire, On a chanté les dieux, on a chanté les rois, On a chanté la table, on a chanté les bois : Je chante un nouvel art. Dans mon noble délire, Je prétends enseigner à parler sans rien dire. O langue ! prête-moi tous ces froids à-propos, Ces insipides riens et ces mauvais bons mots, Ces calembourgs connus, ces lourdes épigrammes, Ce langage ampoulé tiré des mélodrames, Qui, placés avec art, feront sans contredit Dans l'être le plus sot trouver un bel esprit. Étrangers que le goût a seul guidés en France, Pour acquérir ce ton, ce jargon, cette aisance, Qui dans tous les pays distinguent le Français, Et près de vos beautés répondent du succès, Écoutez mes conseils. Timide adolescence De la société vous l'unique espérance, Retenez mes leçons ; que toujours mes avis Par vous soient approuvés et soient par vous suivis. L'art de bien converser n'est pas ce que l'on pense ; Prodiguer de grands mots, c'est la grande science. Si vous apercevez dans le coin d'un salon Des gens d'un âge mûr causer avec raison, N'allez pas discuter, mais, d'un ton emphatique, Mettez sur le tapis nouvelle et politique ; Partagez l'univers ; dans vos vastes desseins, Donnez et retirez le sceptre aux souverains, Et d'un air suffisant mettez dans la balance Les intérêts de telle ou telle autre puissance ; Soyez tranchant sur tout, vous serez applaudi, Et par-tout recherché, couru, fêté, chéri. Si l'on vient à parler de la pièce nouvelle N'allez pas, d'Aristote épousant la querelle, En marquer les défauts, en sentir les beautés, Raisonner sur le plan, chercher les unités. N'imitez pas celui dont l'esprit docte et sage Examine, mûrit, analyse un ouvrage Que deviendrait mon art ? Nommez d'abord l'auteur, Effleurez le poëme, et parlez de l'acteur ; Dites, il en est temps, ces vérités connues, Et dans tous nos journaux mille fois rebattues : Talma joue à ravir. — Lafond est excellent. — Mars peint bien la candeur. — Damas a du talent. C'est ainsi qu'éludant le point que l'on propose, Vous parlerez beaucoup et direz peu de chose. Faites des impromptu composés à loisir ; Employez l'équivoque, et vous ferez plaisir. D'un célèbre marquis empruntez le langage, Que de Bièvre vous guide en votre bavardage ; Il excelle dans l'art d'égayer un discours. Pour égayer aussi, faites des calembourgs : Ces mauvais jeux de mots, transitions forcées, Auprès des ignorans tiendront lieu de pensées. Ce n'est pas tout encor. Dans un cercle brillant, Il faut, pour captiver, placer adroitement Quelques vers décousus, lancer des épigrammes, Et toujours à propos parler modes aux dames. Que le fredon en vogue anime seul vos chants. Gardez-vous d'oublier la pluie et le beau temps ; C'est pour les grands parleurs la source intarissable. Quel plus riche sujet ! il est inépuisable ! Mon, baromètre est bon. — Le mien est excellent. — Il indiquait la pluie. — Il remontait au vent. — Il tombera de l'eau. — La chaleur est extrême. — L'été sera brûlant. — Je le pense de même. Voilà de ces discours qui, semés au hasard, Sont pour nos vains causeurs le sublime de l'art. Voyez dans son boudoir la petite-maîtresse ; Elle n'a rien à dire et babille sans cesse. Parle-t-on de morale ? elle parle chanson, Vous rapporte un bon mot si l'on parle raison. C'est un bourdonnement ; et dans son verbiage Il est question de tout, excepté de ménage. Voyez dans ce café ces babillards fameux, Assis autour du poële, et conversant entre eux ; De mots entrecoupés ils font souvent usage. Oui.- Mais non.-Si fait.-Car.-Monsieur.-Plus j'envisage. - Certes. - Il se pourrait !- Le bruit est général. - Quoi ? - Si. - Vraiment ? -Ah ! ah !- C'était sur le journal. Exprimez-vous ainsi, parlez avec emphase, Et de ces jolis riens parsemez chaque phrase. Recherchez avec soin des mots harmonieux, De ces mots bien jetés l'effet est merveilleux. Si l'on parle à quelqu'un , citez vite un proverbe ; A ce que l'on répond ajoutez un adverbe. Courez les lieux publics, les grands jardins sur-tout ; C'est pour l'observateur l'école du bon goût. Pour avoir de l'aplomb, une grande assurance, Visitez quelquefois la petite Provence (*). Admirez ces vieillards causant à qui mieux mieux ; Ils se chauffent sans frais, parlent, et sont heureux. Écoutez ces rentiers dissertant politique, Jugeant les cabinets, condamnant leur tactique : Ils déclarent la guerre, ils demandent la paix, Ils bavardent toujours, ne raisonnent jamais. Examinez ce fat, ne rêvant que toilette ; Sa réputation dans le beau monde est faite. Il vous parle chevaux, spectacles, nouveautés ; C'est le tableau motivant de nos futilités : A l'entendre, il subjugue, asservit par ses charmes ; La modeste vertu doit lui rendre les armes. De la pudeur souvent il outrage les lois. Dans tout ce qu'il vous dit il faudra faire un choix. Prenez de son jargon le brillant, le frivole, Et pour le moindre mot donnez votre parole. Avec attention relisez les Plaideurs ; J'y vois dans l'Intimé l'élite des parleurs. Ouvrez aussi Molière, imitez Sganarelle ; Des grands diseurs de riens c'est le parfait modèle. Médecin malgré lui, ce docteur ignorant Vous offre le patron de plus d'un faux savant ; Il veut parler de tout, jamais ne se démonte : Savez-vous le latin ? dit-il au vieux Géronte. —Non. — Ah ! Musa, musae. Bonus, bona, bonum. Hic, haec, hoc. Etenim. Semper. Amo Deum. Sachez ainsi que lui, pour briller davantage, D'un très-petit savoir faire un grand étalage. Je n'en finirais pas s'il fallait peindre encor Ceux dont le vain babil est pour vous un trésor. Il faudrait présenter les pédans, les sophistes, Les éternels conteurs, les froids panégyristes, Les auteurs de bouquets, les citateurs d'ana, Les ennuyeux plaisans, les sots, et caetera. De la frivolité c'est une faible esquisse. J'ai tracé le portrait, qu'un autre le finisse.
FIN.
(*) Lieu des Tuileries où se rassemblent les rentiers et les politiques, comme autrefois sous le fameux arbre de Cracovie, au Palais-Royal. (texte
non relu
après saisie, 23.V.11)
|