Henri
Liebrecht
(18..-19..)
Défense et
illustration des Lettres Belges
(1934)
Le retour périodique de la Semaine
du Livre Belge ramène sur le plan de
l'actualité le débat dont notre littérature nationale est souvent
l'objet. Une enquête précise, menée récemment par Lionel dans « La
Nation Belge » a montré l'importance de la question et l'intérêt qui
s'y attache, aussi bien pour les écrivains que pour le public.
Et, d'abord, existe-t-il une littérature belge de langue française autonome, qui soit autre chose qu'une simple province de la littérature française ? Indiscutablement oui. Ceux qui, chez nous, se font les défenseurs de la thèse contraire obéissent, sans le savoir peut-être, à une loi d'attraction : les grands centres littéraires comme Paris, tendent à absorber ou à annihiler l'apport des centres moins importants, qu'ils soient provinciaux comme Bordeaux ou Marseille, qu'ils soient étrangers compte Genève ou Bruxelles. Ils les absorbent si les écrivains, venus à Paris, s'y dénationalisent en quelque sorte au profit de Paris. Ce fut le cas par exemple des frères Rosny ou d'Albert 't Serstevens, Belges de naissance. Ils les annihilent au contraire s'ils restent éloignés de Paris et si leur activité littéraire s'exerce dans les limites de leur centre d'origine. Seuls un Verhaeren, un Maeterlinck, par leur génie ont su défendre leur autonomie et rester Belges en vivant en France, comme un Ramuz est resté Suisse. En Belgique, à l'heure actuelle, quelque trois ou quatre cents écrivains usent de la langue française pour composer leurs œuvres. La littérature n'est pas pour eux un métier, du moins n'est-elle pas tenue de leur assurer des ressources suffisantes pour vivre. Ils peuvent donc prendre leur temps quand sonne l'heure de l'inspiration. D'où vient donc que leurs livres ne trouvent pas auprès du public une audience aussi large que les livres des écrivains français ? L'enquête à laquelle nous faisions allusion tout à l'heure a fixé certains griefs. On reproche au romancier belge de s'attacher trop volontiers aux sujets d'inspiration régionale, de ne pas se dégager de cet esprit de clocher qui marque notre particularisme. D'abord, je ne pense pas que ce caractère soit aussi général qu'on le prétend. Il était beaucoup plus marqué avant la guerre et ce sont surtout les écrivains de cette génération qui restent fidèles à ce régionalisme. Ensuite, je n'y vois pas une raison d'indifférence de la part du public. Un Belge lira avec tout autant de plaisir un roman qui a pour cadre un coin familier, une ville ou un village de chez nous, qu'un autre, dont le décor et les personnages sont exotiques : il y trouvera seulement un plaisir différent. C'est alors à la qualité de ce plaisir qu'on s'en prend. Il y a, dit-on, dans le livre français, un tour de main plus habile, plus d'aisance dans le récit, plus de grâce dans la forme, plus de clarté dans la langue, en un mot plus d'attrait et une autorité plus grande. Je ne crois pas que l'on puisse attribuer ce brevet supérieur à toute la production française, qui est d'une extrême abondance et souvent fort inégale. Certes, les œuvres qui le méritent y sont nombreuses, Mais les écrivains Belges n'ont-ils pas d'autres qualités, dont il ne faut pas juger par comparaison mais en soi, et qui font précisément que la littérature belge existe, non pas en dehors mais à côté de la littérature française. Un roman de Jean Tousseul, d'André Baillon, de Franz Hellens, d'Edmond Glesener, a une personnalité très nette mais il a aussi un air de famille. Un lecteur un peu averti ne s'y trompera pas : de tels livres ont entr'eux des liens secrets, en dépit de toutes les différences d'inspiration qui les séparent. Est-ce un certain goût pour la mélancolie, l'attrait de sujets tristes, des personnages aux âmes troubles ? En poussant un peu l'étude on pourrait arriver à des conclusions plus précises. Ce qui importe ici c'est de dégager, au profit de nos écrivains, un attrait littéraire suffisant à fixer l'attention du public. Du public belge ! Oui. Commençons par celui-là. N'est-ce pas celui qui parait le plus aisé à conquérir ? L'exemple des écrivains flamands qui ont de nombreux lecteurs, celui des auteurs wallons, sont là pour servir de témoins. Or, c'est là que gît le mal. Le public belge, qui lit beaucoup, est très mal renseigné sur la production de nos écrivains, A côté d'une presse française largement répandue en Belgique, qui fait une part importante aux questions littéraires, qui satisfait la curiosité des lecteurs par mille anecdotes ayant trait aux auteurs en vogue, et dans laquelle les éditeurs font une publicité intensive, la presse belge traite la littérature en parente pauvre, ne parle jamais de nos écrivains et ne popularise même pas leur nom, en les autorisant â signer les chroniques qu'ils donnent parfois aux journaux. La page littéraire n'est régulière que dans quelques organes ; les échos littéraires sont parcimonieusement recueillis, Il n'est donc pas étonnant que le public belge soit plus au fait de la « chose littéraire » française qu'il ne l'est de la belge. A cette propagande par la presse quotidienne et par les revues, qui ont aussi chez nous une grande diffusion, s'ajoute celle des tournées de conférences qu'organisent régulièrement en Belgique les cercles de propagande française. Elle n'a pour les écrivains belges aucune contre-partie. Les éditeurs belges peuvent-ils lutter contre cet état de chose ? Difficilement. L'édition belge n'est pas organisée, elle travaille en ordre dispersé, ses moyens sont restreints, ses budgets de publicité nuls, son action à l'étranger est sans effet. Les tirages minimes auxquels elle est obligée de se tenir ne lui permettent pas de faire des « lancements» aussi irrésistibles que ceux de l'édition française. Le marché belge du moins lui reste, dont elle pourrait tirer un meilleur parti, en appliquant les méthodes qui réussissent ailleurs. Le libraire placé entre ces deux courants, obéit naturellement au plus fort. Le livre français lui arrive précédé d'une réputation faite par Paris. Son « départ » est soutenu. Un matériel publicitaire complet l'accompagne. Et sur le terrain commercial, il jouit de conditions très supérieures à celles que peut consentir le livre belge. Est-il surprenant dès lors, que très souvent celui-ci soit relégué au bas bout de la vitrine ? Certes, au temps jadis, le public belge a marqué une injuste prévention à l'égard de nos écrivains. Il l'a conservée, en grande partie, contre nos auteurs dramatiques. Elle s'est atténuée, et sans doute ferait-il meilleur accueil aux livres belges s'il était mieux renseigné par la presse, bien guidé par la critique et s'il avait plus souvent et plus longuement l'occasion de voir ces livres à la montre des libraires. Il faut donc savoir gré aux organisateurs de cette Semaine du Livre Belge qui tente avec des moyens restreints de remédier à ce défaut d'information. Si limité que soient les résultats qu'elle a donnés les premières années, elle n'en a pas moins sa grande utilité. Il serait désirable assurément qu'elle rencontrât un concours et surtout une adhésion plus unanimes de la part de tous ceux dont elle sert les intérêts matériels et moraux : auteurs, éditeurs, libraires et public. Le succès de la Semaine du Cinéma est là pour nous témoigner de la répercussion de manifestations semblables quand elles sont largement appuyées. Du moins la Semaine du Livre Belge est-elle assurée, quand elle reparaît au calendrier, de concours efficaces, tels que celui du Rayon de la Librairie du « Bon Marché », dont elle ne saurait trop se féliciter. Le chemin parcouru est plus long qu'on ne le pense. Le fait même de porter si souvent le débat devant le grand public, au lieu de le restreindre à un auditoire d'initiés le prouve à suffisance. Mais le but n'est pas atteint, loin de là. Il le sera le jour où le public beige, sans rien perdre de son admiration pour la littérature française au magnifique rayonnement, fera plus large part aux écrivains belges. C'est une cause à gagner par la persuasion, auprès d'un juge auquel on dissimule trop souvent les pièces à conviction. (texte non relu après saisie - 20.10.12) |