Claude Malleville
(1592-1647)
Sonnet
Quel crime ai-je commis quand je vous ai baisée Qui vous doive obliger à désirer ma mort? Juger plus doucement d'un amoureux effort, Ou de trop de rigueur vous serez amusée. Mais quoi? vous revenez d'amour tout embrasée Et me tendant les mains avec un doux transport : « Mon coeur, me dites-vous, je vous aime si fort Que d'un autre baiser je veux être apaisée. » O qu'Amour est un Dieu digne d'être suivi! Depuis qu'à son pouvoir je me suis asservi, Par combien de faveurs ai-je vu sa clémence! Son coeur à nos plaisirs est si fort attaché Qu'il excuse le mal lorsque l'on recommence Et pour la pénitence ordonne le péché. La belle matineuse
Le silence régnait sur la terre et sur l'onde; L'air devenait serein et l'Olympe vermeil, Et l'amoureux Zéphyre affranchi du sommeil Ressucitait les fleurs d'une haleine féconde. L'Aurore déployait l'or de sa tresse blonde Et semait de rubis le chemin du Soleil; Enfin ce Dieu venait au plus grand appareil Qu'il soit jamais venu pour éclairer le monde, Quand la jeune Philis au visage riant, Sortant de son palais plus clair que l'Orient, Fit voir une lumière et plus vive et plus belle. Sacré flambeau du jour, n'en soyez point jaloux! Vous parûtes alors aussi peu devant elle Que les feux de la nuit avaient fait devant vous. Autre
L'Étoile de Vénus si brillante et si belle Annonçait à nos yeux la naissance du jour, Zéphyre embrassait Flore et, soupirant d'amour, Baisait de son beau sein la fraîcheur éternelle. L'Aurore allait chassant les ombres devant elle Et peignait d'incarnat le céleste séjour, Et l'Astre souverain revenant à son tour Jetait un nouveau feu dans sa course nouvelle. Quand Philis, se levant avecque le Soleil, Dépouilla l'Orient de tout cet appareil Et de clair qu'il était, le fit devenir sombre. Pardon, sacré flambeau de la terre et des Cieux! Sitôt qu'elle parut ta clarté fut une ombre Et l'on ne connut plus de soleil que ses yeux. Sonnet
Ce miroir où chacun contemple sa figure Fut en Chypre autrefois un Peintre si vanté Que le bruit de son art jusqu'aux astres monté Fit avecque raison étonner la nature. Vénus dans ses vergers le trouvant d'aventure Le voulut obliger à peindre sa beauté; Mais, étant de son fils indignement traité, L'insolent refusa de faire sa peinture. La Déesse qui vit ce jeune audacieux Mépriser follement les flammes de ses yeux, Changea par un dépit son corps en cette glace, Et, donnant cet exemple à ses autres sujets, Ordonna contre lui, pour punir son audace, Qu'il représenterait toute sorte d'objets. |
Rondeau A une Dame soupçonnée d'avoir fait un rondeau Vous l'avez fait, je m'imagine, Ce petit rondeau qui raffine Tous les rondeaux de ce temps-ci; Il porte asez bien, Dieu merci, La marque de son origine. La grâce en est toute divine Et la chute tellement fine Que vous pouvez bien dire si Vous l'avez fait. En vain vous faites la mutine, Vous rougissez; c'est une fine Qui nous assure de ceci; Non, je n'en suis plus en souci, Je le connais à votre mine : Vous l'avez fait. Rondeau
Petit Amour, inspire-moi; Je veux, en l'honneur de ma foi, Peindre la beauté que j'adore. Son teint frais fait honte à l'Aurore Et son bel oeil nous fait la loi. Sa main sait tout ravir à soi, Elle a le port digne d'un Roi, Et le pied même, ou je l'ignore, Petit. Mais las! Amour, je m'aperçois Que j'omets un je ne sais quoi; Fais-le moi voir, Dieu que j'implore. Car je n'en puis qu'en dire encore, Il est bien vrai que je le crois Petit. Rondeau Pour une Dame dont on médisait On lui fait faire plus de traits Que jadis Lise n'en a faits; Le bruit court qu'elle est mercenaire Et va tous les jours d'ordinaire Pour semettre en vente au Palais. On dit qu'elle prend des poulets, Se laisse baiser aux valets; Bref, tous le pis qu'on lui peut faire On lui fait. Que la médisance a d'attraits! Chacun s'y délecte, et jamais Ne la croit fausse ou téméraire; Cependant je sais le contraire : Elle ne fait point cela, mais On lui fait. |