Pierre-Jean-Baptiste
Nougaret
(1742-1823)
Contes
L'INGÉNUE CONFESSION
A Nantua, petite ville du Bugeail, sur la route de Genève à Lyon, résidait une famille qui concentrait tout son bonheur sur une jeune et jolie fille, qui paraissait être la Rosière de tous les environs. Voulait-on donner à quelqu'un un modèle de vertu, on citait cette jeune fille, qui parvint à l'àge de vingt-cinq ans sans qu'on ait rien à lui reprocher ; elle n'avait pourtant pas laissé que d'avoir une complaisance mal fondée pour un jeune homme qui l'abandonna lorsqu'elle se trouva dans un embarras très grand, mais qui fut ignoré de tout le monde. Quelque temps après, un joli garçon en devint éperdument amoureux ; il l'aima et fut payé de retour ; leur amourette fut interrompue par une catastrophe qui arriva au jeune homme. Un soir, pris de vin, des recruteurs du régiment de Berry-infanterie l'endoctrinèrent et il dut, pour joindre son régiment, partir dès le surlendemain. Il fit fort bien son temps. Revenu dans ses foyers au bout de son congé, il vola vers sa chère amie, qui le reçut avec la démonstration d'une joie si grande qu'elle manqua d'en mourir. Dès le lendemain de son arrivée, il fit la demande de mariage aux parents de son adorable ; ceux-ci le connaissant très sage, doué d'une grande vertu, lui accordèrent de bon coeur la main de leur fille. Huit jours se passèrent dans toutes sortes de divertissements où aucune dépense ne fut épargnée. Un jour que nos deux amoureux revenaient d'un repas des plus frugaux, où ils avaient été invités, ils s'entretenaient sur le temps passé loin l'un de l'autre, et sur la manière dont ils s'étaient comportés. — Le plus grand crime que j'aie à me reprocher, dit le garçon, c'est de ne pouvoir te faire le présent de ma virginité ; je l'ai laissée à une jeune fille de Strasbourg. — Console-toi, mon cher ami, répliqua la fille en pleurant, je suis dans le même cas. J'ai eu le malheur de faire un enfant qui est mort. Je te supplie de me faire la grâce de me le pardonner. — De bon cœur, dit-il, je te le pardonne. Et, pas à pas, il arrivèrent chez eux. Plusieurs jours s'écoulèrent sans que le garçon vînt rendre visite à sa belle. La mère, impatiente, demanda à sa fille : — Qu'as-tu fait à ton amoureux qu'il ne revient point ? — Rien du tout, dit-elle ; je lui ai seulement dit que j'avais fait un enfant. — Eh, grosse bête ! répliqua la mère en colère, que le diable t'arrache ta langue ! J'en avais bien fait trois avant que de me marier avec ton père, sans que jamais je lui en aie parlé. Je me serais plutôt fait hacher par morceaux, et toi, pour un seul, tu vas le dire. LA FLÈCHE DE BOIS
Une famille de gens vertueux, mais sans grande fortune, ne laissait pas éduquer leur fils unique d'une manière convenable à leur rang. Ce jeune homme étant parvenu à l'âge de pouvoir servir, ses parents ne négligèrent rien pour le faire enrégimenter. Comme il était d'une taille très avantageuse, joli de visage et très bien fait de sa personne, ils n'eurent aucune peine à lui acheter une charge de lieutenant dans la cavalerie. Lorsqu'il fut entré au corps, il se lia avec plusieurs jeunes gens, officiers comme lui. Il se fit aimer en général par son grand air, ses bons mots et ses bonnes manières. Tout aurait parlé en sa faveur, si la nature s'était montrée moins ingrate envers lui du côté du membre viril. On aurait dit qu'au lieu d'avoir une cheville ouvrière, il n'avait qu'une espèce de pointe. Ses amis s'en étant un jour aperçu, en firent des risées ; cependant, comme on lui voulait du bien, on résolut de tâcher de le marier avec une dame d'une grande richesse, qui aimait passionnément les beaux hommes, principalement lorsqu'ils avaient une flûte magnifique. Pour cela, on lui fit fabriquer un superbe instrument de bois : vide en dedans il pouvait y mettre facilement le sien. L'extérieur de la chose en était si parfait que la plus jolie connaisseuse s'y serait méprise. Lorsqu'il en fut le possesseur, on le mena dans la rue Saint-Honoré, où la dame demeurait. Elle se trouvait en ce moment à la fenêtre où elle passait la plus grande partie de la journée. Le mot étant donné de s'arrêter sous les dites fenêtres pour faire de l'eau, ils n'y manquèrent pas. La jeune dame, ayant jeté un regard avide sur nos cavaliers, fut frappée à la vue d'un si bel instrument possédé par un si joli homme. Elle prit sur-le-champ la résolution de le faire appeler par un de ses domestiques. Le lieutenant, à qui l'on vint annoncer qu'une dame désirait lui parler, prit congé de ses amis. Ils se doutèrent bien que tout réussirait à leur contentement. Après mille salutations de part et d'autre, et bien des compliments, la jeune dame s'informa de la famille du jeune homme. Elle voulut savoir quel poste il occupait dans la cavalerie et l'état de sa fortune. Sur quoi notre cavalier, ayant satisfait à toutes ces demandes, au contentement de la dame, celle-ci lui demanda s'il était dans son dessein de se marier. Il répondit qu'il ne demandait pas mieux pourvu que ce fût avec elle. Elle l'invita, après le dîner, qui fut des plus splendides, à revenir le lendemain. Elle avait quelque chose de très important à lui dire. Il ne fut pas plutôt dehors que la dame fit atteler ses chevaux et fut lui acheter une Compagnie ; elle lui offrit, en outre, un superbe équipage, beaucoup plus brillant que celui du colonel. Le lendemain, le cavalier alla retrouver son héroïne, qui se hâta de lui remettre un brevet de colonel et cent mille livres, en lui disant que sa générosité ne se bornerait pas là. Enfin, on fit le contrat ; on publia les bans. Le jour du mariage fut des plus brillants, car on n'épargna rien pour donner tout l'éclat possible à la cérémonie. L'heure arrivée où chacun devait se retirer, nos nouveaux mariés se rendirent au lit conjugal où la dame languissait d'avoir à son service le beau et magnifique instrument qu'elle avait tant admiré. Prête à se coucher, la dame s'adressa à son époux et lui dit : — Monsieur, j'espère que vous voudrez bien excuser quelques incommodités que j'ai. — Volontiers, madame, repartit notre cavalier. — C'est que, reprit-elle, vous croyez que ce sont mes propres yeux que vous aimez ; point du tout, j'en ai un de verre. Elle l'arrache et le pose sur la table. — Vous croyez que ce sont mes dents que voilà ; non, elles sont artificielles. Vous me croyez bien droite, mais c'est à l'aide d'un talon de liège. Et elle posa le talon sur la table. Notre nouveau marié, quoique fort étonné de tout ce qu'il voyait, en prit néanmoins son parti. — Ce n'est rien, madame, lui dit-il, c'est bagatelle, mais c'est que j'ai une chose très petite que je vous prie aussi d'excuser. — Oui, lui dit-elle, avec plaisir. — Vous croyez, madame, que la nature m'a favorisé d'un beau sabre, je vous prie de vous détromper : il est de bois. Et le prenant, il le posa aussi sur la table. La dame le prit, transportée de rage, et le regardant d'un air de pitié se plaignit, mais trop tard, d'avoir été trompée. — Il est un endroit, dit-elle, si délicat et si sensible qu'il ne saurait pardonner une aussi petite erreur. LE CURÉ AMOUREUX
Monsieur le curé Jean était devenu amoureux d'une fille, dont il avait facilité le mariage, à condition qu'après la cérémonie il pût faire avec elle la même chose qu'elle faisait avec son mari. La fille accepta la proposition ; cependant elle avertit son mari, afin qu'il ne trouvât point cela étrange. Le mariage eut lieu, et le curé espérait bien faire goûter à la jeune femme de son fruit de cas pendu. Etant allé voir un jour la nouvelle mariée, il lui dit : — Sais-tu bien ce que tu m'as promis ? — Eh quoi ! lui répondit-elle. — De mettre un de mes membres dans un de tes trous. — Je veux bien, monsieur le curé : mettez donc votre nez à mon cul : ainsi vous boucherez trois trous avec une seule cheville. Ces gais propos donnaient espérance au curé de venir à bout de son dessein. Mais la jeune femme, ennuyée des fréquentes visites de l'amoureux, chercha avec son mari un moyen pour se défaire de lui. Le mari feignit d'aller en voyage. Mais, monsieur le curé, qui allait et venait pour rencontrer la belle, eut assignation de venir le soir, sur la brune. Voici mon curé qui arrive tout content ; aussitôt qu'elle l'aperçoit : — Hélas ! dit-elle, personne ne vous a-t-il vu ? J'en suis toute tremblante. — Ma mie, tout ira bien, rassurez-vous. — Eh bien, monsieur, soyez le bienvenu, goûtons notre vin. — Non, pas encore. Françoise, ma mie, goûtons autre chose auparavant. — Vraiment, vous avez si grande hâte, la pièce n'est point en perce. Attendez que nous soyons couchés ; vous avez assez de quoi besogner ; je vous montrerai un petit endroit où il y a plus à travailler qu'il n'y a à moudre à quatre setiers de blé. Soupons vivement, et ensuite, nous nous coucherons. Pendant ce temps là, le curé lui déroba quelques petits baisers. Ils soupèrent rapidement puis elle lui dit : — Là, couchons-nous, c'est trop languir. Jamais le mignon ne se trouva si aise ; il fut bientôt au lit ; et elle, presque toute nue, faisait semblant d'aller éteindre la chandelle. Le curé disait : — Françoise, venez vite ; voici Jaquemart de bande-froide qui vous attend ; c'est Perrein Boute-avant ; venez vite, il est dur comme un os. Elle s'approcha du lit, n'ayant plus que sa chemise : — Ho ! dit-elle, je m'en vais ôter ma chemise, mais vous aussi, vous ôterez la vôtre. Il l'ôte. — Je vais éteindre la chandelle, dit-elle, tendez-moi la main pour vous trouver. Elle faisait semblant d'enlever sa chemise, une manche, puis l'autre ; elle cherchait maintenant à tuer les puces qui la dévoraient. Le drôle de curé prenait plaisir à la lueur de la chandelle à regarder ses tetons qui étaient blancs et fermes. Mais voilà bien du changement. Comme elle passait sa chemise par-dessus sa tête pour la quitter, tout à coup l'on frappe violemment à la porte ; alors la pauvre femme, toute tremblante, s'écrie : — Hélas ! monsieur le curé, où vous mettrez-vous ? Je suis perdue ! On frappait plus fort. — Ouvre-moi, Françoise, ouvre vitement, je suis mort, je t'en prie, ouvre. Elle criait : — Oui, oui, je me lève. Pendant ce temps-là, elle aidait le curé à monter sur le travers de bois qui sert de perchoir aux poules. Cela fait, et comme hors d'elle-même, elle va ouvrir la porte à son mari, et lui dit : — Et d'où venez-vous si tard ? il est belle heure pour rentrer. — Ha, ma mie ! excuse-moi, je suis mort ; ne te fâche point, tu ne me verras plus guère, je me meurs ; envoie chercher monsieur le curé, que je me confesse. Il se tenait le ventre près du feu, comme s'il eût eu la colique, et faisait semblant par intervalle de s'évanouir. Il fait mander les voisins, qui s'assemblent pour le secourir, et le mettre sur son lit. Mais il ne faisait plus que soupirer. — Hé ! compère, prenez courage. — Jamais. — Ce ne sera rien ; or, levez-vous, mon ami, là, aidez-vous. — Jamais. — Il faut voir monsieur le curé. — Jamais. — Il vous dira des bonnes paroles. — Jamais. — Encore ne faut-il pas se laisser aller ainsi. — Jamais. — Il semble que vous ne nous connaissez plus. — Jamais. Quand presque toute la paroisse fut rassemblée, et qu'on lui eut dit : — Ah ! ça, compère, debout ; allons au lit, vous y serez mieux. Alors, levant les yeux au ciel, il montra de la main le curé et dit : — Jamais je ne vis un pareil coq avec mes poules. Et tout le monde de rire. LES DÉVOTES
Il y avait dans la bonne ville de Dijon deux soeurs qui contrefaisaient extraordinairement les dévotes, allant tous les jours à la tombée de la nuit à l'église de Saint-Michel, pour faire leurs prières devant la chapelle de la Vierge. Le sacristain de cette église s'aperçut de cette assiduité, et remarqua qu'elles faisaient leurs prières à voix intelligible. Il se cacha un jour dans le confessionnal qui était dans ladite chapelle. La plus jeune des deux soeurs arriva la première, mais il ne fut pas possible au sacristain d'entendre ce qu'elle disait : sa prière fut fort courte ; elle fit une révérence, s'en retourna. Un moment après, sa sœur arriva devant la même chapelle, et jeta un coup d'oeil pour voir si elle ne voyait personne. Se croyant seule, elle se mit à genoux, et s'adressant à la Vierge, elle lui dit : — Vierge sainte, obtenez-moi s'il vous plaît la grâce d'enfanter sans péché. Elle fit ensuite la révérence et se retira. Le lendemain matin, le sacristain alla trouver deux de ses amis et leur fit confidence de ce qui lui était arrivé ; ils se mirent à rire comme des fous et commencèrent à chercher quel serait le moyen le plus propre pour soulager ces pauvres âmes dévotes. L'un d'eux, après quelques moments de silence, dit : — J'ai trouvé le véritable moyen ; que l'on m'apporte du papier et de l'encre. Alors il coucha sur un carré de papier les paroles suivantes : « L'ange Gabriel vous visitera ce soir. » Après quoi il fut convenu que le sacristain se cacherait dans la chaire à prêcher aux heures que les dévotes sœurs devaient venir. Il attendrait l'arrivée de l'aînée et laisserait partir la cadette qui venait toujours la première ; quand celle-ci aurait fini sa prière il jetterait sans bruit le dit billet dans la chapelle, aux pieds de la dévote, ce qui lui était facile, la chaire joignant la chapelle. Ce qui fut dit fut fait. Notre bonne dévote, étant arrivée, fait donc sa prière à haute voix, se croyant seule ; mais à peine fut-elle achevée que le billet tomba à ses pieds. Après avoir ramassé le billet elle allume une bougie qu'elle avait dans sa poche, regarde de côté et d'autres, et ne voit personne. Alors elle lit ces paroles : « L'ange Gabriel vous visitera ce soir. » Elle fit une grande révérence et s'adressant à la Vierge, elle dit : « Vierge Sainte, quelle grâce n'ai-je pas à vous rendre ; vous m'avez obtenu la même prérogative que celle qui vous a été accordée. » Puis elle s'en retourna tout émue et pénétrée d'un profond respect. En arrivant chez elle, elle dit à sa sœur : — Ma mie, la bonne Vierge m'a obtenu de son fils ce que je lui ai demandé dans ma prière, car dès ce soir je dois recevoir la visite de l'ange Gabriel, si tu ne peux pas me croire, lis ce billet qui m'a été envoyé du ciel ; aussitôt ma prière finie, il est tombé de la voûte de la chapelle de la Vierge à mes pieds. Certainement il n'y avait personne à l'église dans ce temps-là, car j'ai allumé ma bougie et je n'ai vu personne. Préparons-lui donc une collation, et s'il juge à propos d'en goûter, il nous louera beaucoup. Préparons aussi le lit, et qu'il soit propre ! Pendant que ces bonnes dévotes faisaient la cuisine, le sacristain fut trouver ses amis et leur conta comment tout s'était passé. Alors l'un d'eux se couvre le visage d'un masque, s'habille en blanc, prend des ailes postiches, et sur les neuf heures et demie du soir va frapper à la porte des deux soeurs dévotes, qui, n'ayant ni père, ni mère, logeaient seules ; elles avaient bien un frère, mais il restait chez un procureur, dans une maison peu éloignée de chez elles. L'ange Gabriel ayant frappé, l'aînée demanda — Qui frappe ? Une voix répond — L'ange Gabriel. Saisie d'admiration, elle s'écrie : « Grand Dieu quelle grâce n'ai-je pas à vous rendre ! » L'ange entre, elle lui présente une chaise, lui offre une collation. Il répond : — Ma chère soeur en Dieu, vous devez savoir que les anges étant spirituels, ne mangent point. Je suis seulement envoyé chez vous, d'en haut, pour vous visiter ; ainsi, disposez-vous à me recevoir. Elle commença à se déshabiller pour se coucher. L'ange Gabriel en fit autant. La soeur cadette fit semblant d'aller se reposer dans une autre chambre, mais elle sortit par une porte de derrière et alla donner promptement avis de ce qui se passait à son frère qui, ne perdant point de temps, se camoufle, prend le manteau du procureur qui était rouge, se munit d'un trousseau de clefs, et vient frapper à la porte de sa sœur. — Qui est là ? — Saint Pierre. Alors se levant tout de suite, sans avoir reconnu la voix de son frère, elle s'écria : — Grand Dieu, quelles grâces n'ai-je pas à vous rendre. Tous les Saints et les Anges du Paradis me visiteront donc ce soir. Saint Pierre étant entré demande si l'ange Gabriel n'était point à la maison. Elle lui répond, avec une profonde révérence — Oui. — Où est-il ce drôle, cet apostat, qui est sorti du Paradis sans ma permission ? Le pauvre ange Gabriel n'eut que le temps de prendre ses vêtements pour se sauver, mais saint Pierre l'ayant saisi au collet lui donna tant de coups de clefs qu'il faillit rester mort devant la porte de la pauvre dévote qu'il venait de visiter, et qui demandait grâce pour lui. Son corps était noir de coups ; il fut obligé de rester six semaines au lit. Mais sa visite fit tant d'effet que la pauvre dévote en devint grosse. Elle ne connaissait ledit quidam que sous le nom d'ange Gabriel, et, étant obligée de faire sa déclaration, on lui demanda de qui elle était enceinte. — De l'ange Gabriel, répondit-elle. Elle ajouta : — Et dire que, sans l'arrivée de saint Pierre, ma sœur aurait eu une pareille visite.
LES ŒUFS Un jeune gentilhomme logeait seul près de Saint-Yves, dans une chambre garnie, chez une dame. Il jeta ses vues sur la servante, et lui dit un jour : — Vous êtes de la campagne, ma mie ? — Oui, monsieur. — Je m'en doutais bien ; je ne laisse pas que de vous aimer autant que si vous étiez de la ville, en vous voyant si bonne fille et si bonne ménagère ! — Hélas ! monsieur, vous êtes bien bon. — Or ma mie, comme je vous aime et que vous nous servez si bien, je vous avertirai, pour votre bien, qu'il y a un certain mal qui vient aux jeunes filles de la campagne, lorsqu'elles viennent demeurer en ville. Il leur croît dans le ventre des petits oeufs, qui y grossissent et se durcissent : il faut ensuite que ces pauvres filles souffrent beaucoup et soient obligées de montrer leur derrière au barbier pour se faire guérir. Je serais fâché que pareille chose vous arrivât ; cela ne sera pas si vous voulez me croire ; je ferai quelque chose pour vous, et il est temps de commencer car je vois à votre teint qu'il y a déjà des œufs. — Hélas ! dit-elle, monsieur, je vous serais bien obligée ; il est vrai que je ne me porte pas bien ; je ne suis point en mon naturel. — Eh bien, ma mie, je vous donnerai demain quelque chose. Le matin venu, elle vint en sa chambre ; il lui donna une cuillerée d'hypocras blanc, qu'elle savoura, et lui recommanda d'aller et venir et de prendre pour son déjeuner un peu de pain sec. Cela fut continué pendant deux ou trois jours. Mais un matin que madame n'y était pas, il fit monter cette jeune fille dans sa chambre, la plaça contre le lit, et lui leva sa jupe et sa chemise. — Hélas ! monsieur, que voulez-vous faire — Je ne vous veux point de mal, je veux seulement vous casser un oeuf qui est prêt de se durcir. Elle le laissa faire et aussitôt il lui mit son casse-œuf au bas de ventre, duquel elle se trouva fort bien, quoique cela lui cuisait un peu. Elle lui témoigna qu'elle en était heureuse. Il lui cassait souvent des œufs, au grand contentement de la fille, qui aurait voulu en avoir autant dans le ventre que l'on en eût put casser en cent ans. Un jour qu'elle était trop restée dans la chambre du casseur d'œufs, la maîtresse la querella quand elle fut descendue. — Vous êtes une drôlesse, dit-elle, vous avez certainement quelque commerce secret avec ce gentilhomme de là-haut : qu'avez-vous tant fait ? — Hélas, rien, madame. — Vous en avez menti, vilaine. — Ne vous déplaise, madame, c'est ce que j'ai l'honneur de vous dire. — Vous êtes une menteuse, vous avez sûrement quelque commerce avec ce monsieur de là-haut. — Hélas ! madame, vous avez grand tort, c'est le plus honnête homme du monde : il m'était venu des œufs au ventre ; il me les a cassés. — Quels œufs, voulez-vous dire, vilaine ? Alors, levant sa chemise, qui était toute mouillée par devant, elle lui dit : — Madame, regardez voir si ce n'est pas vrai, car voilà encore le blanc qui en est sorti, quand il me les cassait.
LA MEUNIÈRE La bonne Denise, fâchée et aussi importunée qu'une putain qui a deux maîtres, lesquels sont comme les bouchers de notre pays, qui sont deux à faire des trous à une seule bête, dit un jour à son mari, le meunier, que le curé lui demandait souvent à tirer un coup. Le mari y avait déjà pensé. S'estimant trop homme de bien pour n'être point cocu, il jugea qu'il fallait l'être avec profit. Aussitôt, il dit à sa femme que si le curé voulait lui donner les quatre setiers de froment qu'il avait en son grenier de Saint-Maurice d'Angers, elle ferait bien d'adhérer à sa demande. — Ma mie, ajouta-t-il, il fait bon gagner quelque chose, cette année que tout est si cher ! Une nuit n'est pas grand'chose, il y en a plus que de semaines. Pardieu, soit : il est brave homme, il n'en sera que plus gentil et ne nous en aimera que mieux ; il nous confessera pour rien car il fait bon épargner. Il n'est si bel argent qui ne s'en aille. J'irai à la campagne et tu lui donneras rendez-vous. Une fois n'est pas coutume et s'il a du plaisir, nous aurons du blé. N'ai-je pas raison, ma femme ? Seulement il ne faudra pas recommencer. — Oh ! mon ami, j'aimerais mieux être tombée sur la pointe d'un draille et m'être rompu le cou sans me faire mal que d'avoir seulement songé à pécher deux fois avec le même homme. Denise attendit donc le curé, qui ne tarda pas à venir lui conter fleurette. Etant à deviser avec elle sur la façon d'enfiler les perles, elle lui dit : — Vraiment, vous cousez assez, vous autres prêtres, et vous voulez bien prendre vos ébats ; mais vous ne daignez rien donner. — Oh ! oh ! et ne tient-il qu'à cela ? Demande-moi tout ce que tu voudras ; tout ce que j'ai est à toi, mon connaud, dis-moi ce que tu veux, mon mignon. — J'ai un mari fâcheux et il me gronde, parce que nous n'avons point de blé. Donnez-moi vos quatre setiers de froment et venez coucher avec moi quand vous voudrez, pourvu que mon mari soit à la campagne. Je crois qu'il est dans l'intention de partir ce soir. Attendez, et revenez après vêpres, je vous dirai si d'aventure vous devez le voir sur son grand mulet s'en aller aux champs. Le mari averti monta sur son mulet et passa vers le soir devant le presbytère, où le curé le guettait. Le curé, au comble de la joie, lui dit : — Où allez-vous, compère ? — Je vais à cinq lieues d'ici chercher du blé, monsieur le curé. — Dieu vous conduise, mon compère. — Adieu, monsieur le curé. Pendant ce temps, le chapon rôtissait. Le curé, qui avait ouï parler de différents tours qui se font, voulut s'assurer de sa proie. Il appela la meunière dans la chambre à côté, l'embrassa, la coucha sur un petit lit et fit deux fois mouillette en attendant le souper. Après le repas, ils retournèrent se coucher. Le pauvre curé trempa son asperge dans le saucier tant qu'il voulut et la meunière ne cessait de lui dire : — Fous ! mon ami, fous ! tout ce bon blé passera bien par une trémie. Cependant, elle n'osait prendre autant de plaisir qu'avec son mari, de peur de le faire cocu, quoique ayant goût de recommencer la partie qui ne durait jamais assez longtemps à son gré. Le meunier revenu vit le blé ; il fut content, mais il dit à sa femme de ne plus renouveler la plaisante farce, sous peine d'avoir le cou rompu. — Mon ami, je l'entends ainsi, je ne ferai jamais que ce qu'il vous plaira. Par conséquent, n'en parlons plus. Deux ou trois jours après, le meunier étant aux champs, le curé vint voir Denise, et se mit à la caresser et à la baiser. — Laissez-moi, monsieur le curé, si mon mari venait, il ferait tapage. — Quoi ! j'ai bien fait tout ce que vous avez voulu, et vous faites la mauvaise ! Quoi, votre cas est-il plus cher et plus sage que l'autre jour ? — Voyez-vous, monsieur le curé, ce qui est fait est fait, mais vous n'aurez rien de plus, dussiez-vous attendre cent ans. — Pour le moins, baisez-moi, ma mignonne. — Que vous êtes importun ! Il la baisa, lui prit les tetons et mit la main dessous sa cotte. Maintenant il veut lui prendre son chose ; elle l'empêche en faisant semblant d'être en colère et ce sont des pleurs, des sanglots. — Que voulez-vous donc ? Si mon mari venait, je serais pendue ! — Laisse-moi, je te prie, je ne te ferai pas plus de mal que je t'en fis l'autre fois. Que tu es façonneuse, et pourquoi ? pour un pauvre petit coup. — Si mon mari venait ? — Il ne viendra pas. — Or ça, laissez-moi, ôtez-vous — Non, c'est pour lui dire adieu... Puisque tu es si mauvaise, que je voie du moins ton chose. — Ne m'importunerez-vous plus, si je vous le montre ? — Ce sera fini, je te le jure, foi d'honnête homme. Denise se retrousse et montre son chose ; ce qu'ayant vu, le curé s'écrie : — Oh ! dans quel beau grenier j'ai mis mon blé !
L'ORIGINE DES PLAISIRS DU GENRE HUMAIN Adam et Eve, chassés du Paradis terrestre, se retirèrent en un certain canton. La fin de l'automne approchai t; déjà le froid se faisait sentir où, contre le gré de nos bonnes gens qui, n'ayant point de vêtements, étaient plus susceptibles de souffrir du froid que nous ne le sommes, étant couverts. Adam, par un instinct naturel à l'homme, s'avisa de faire du feu pour se chauffer de son mieux. Tombant de sommeil, Eve alla se coucher tout près du feu. Le hasard voulut qu'elle se reposa dessus le nid d'un écureuil. On sait qu'ordinairement ces animaux cherchent la chaleur ; mais, ayant à la fin plus chaud qu'il ne fallait, il voulut sortir ; et, pour cela, se mit à gratter la terre, ce qui fit lever le derrière de notre première mère. Surcroît de malheur, une pluie abondante vint à tomber contre le gré de nos braves gens. Adam, par un effet de complaisance pour sa chère moitié, voulut la garantir de la pluie et se coucha sur elle. Or, le bois avec lequel il avait allumé le feu était du sapin ; personne n'ignore qu'il jette des éclats de charbons. Adam, qui recevait ces éclats perpendiculairement, baissait le derrière, cependant qu'Eve, par les efforts que faisait l'écureuil pour échapper, levait le sien. Par ce mouvement continuel, la cheville ouvrière du père Adam se glissa subrepticement dans un second Paradis terrestre, où il trouva tant de plaisir qu'il apprit à ses descendants mâles la manière de jouir du seul bon héritage qu'ils nous ont laissé.
LA NOVICE Une abbesse s'étant un jour aperçue qu'une de ses religieuses s'était laissée aller à la tristesse, en voulut savoir la cause. L'ayant fait venir dans sa chambre, elle lui demanda le motif de son chagrin ; alors, elle lui dit, ingénument, en gémissant : — Ma sacrée chère dame et prudente mère, j'ai bien lieu d'être affligée, puisque je m'aperçois journellement que je deviens comme une bête ; j'ai déjà un petit minou qui m'est crû entre les jambes. — Voyons que je le voie ? Elle le lui montre ; alors l'abbesse, se retroussant, lui en fit voir un autre. Il y avait, au fond de la chambre, un petit cordelier qui se tenait caché ; ayant vu ce qui venait de se passer il cria à maître Bastien, magister Bastiane : vidi celos apertos. Après cela, la fillette demanda à sa tendre abbesse quel était cet animal qu'elle lui avait fait voir, et qui avait beaucoup de ressemblance avec le sien ? — Ma mie, dit l'abbesse, le vôtre n'est qu'un petit minou ; quand il aura autant étranglé de rats que le mien, il sera pour lors chat parfait : il fera marcou-margant et maître mitou. Ho ! ho ! ho ! Il n'est pas encore temps de rire. Un moment après, la belle demanda à son ami Etienne, ce que voulait dire madame, par ces rats et chats. Le petit penail le lui fit comprendre sans tarder et l'explication fut complète lorsqu'il lui eut fait étrangler le rat nature par le chat mystique.
LE PÈRE EUSTACHE Le père Eustache fut envoyé par son supérieur avec un compagnon, pour quêter. Ils arrivèrent dans un village où restait le fameux Bersault. Avant d'entrer dans la maison de ce dernier, il dit à son compagnon de l'attendre ; celui-ci alla seul frapper à la porte dudit Bersault, qui lui demanda ce qu'il souhaitait. — Faites-moi la charité, répondit-il. — Eh bien ! oui, père Eustache, mais il faut d'abord que vous me fassiez le plaisir de confesser un de mes serviteurs qui va mourir de vieillesse ! — Avec bien du plaisir, monsieur. Aussitôt, il le conduit dans un grenier où il yavait un vieux chien qui se mourait de vieillesse. — Voilà, dit-il, mon père, le vieux serviteur dont il est question. — Ah ! dit le père, je vois bien que vous vous moquez de moi parce que je suis un pauvre religieux : sachez que je suis assez instruit pour savoir comment il faut vivre. Il est indigne d'attribuer à un chien ce qui convient à son maître. Monsieur, vous m'excuserez... Bersault, outré de dépit contre ce père, le fit fouetter par ses domestiques et ensuite le renvoya. Le triste père s'en vint rejoindre son compagnon, à qui il raconta sa fouettée et ce qui l'avait occasionnée. — Laisse-moi faire, dit l'autre père, j'aurai pis ou moins. Il s'en alla et tint le même discours que son compagnon. Bersault lui ayant parlé de son vieux serviteur, il demanda à le voir. L'ayant vu, il dit : — Eh bien, monsieur, ce que vous me dites est juste ; faites-moi donner un petit bâton. On lui en apporta un ; le père le fendit par un bout et pria Bersault de sortir et de rester à la porte, parce qu'on ne devait jamais entendre la confession d'autrui. Aussitôt que Bersault fut sorti, il passa l'oreille du chien dans son bâton fendu et lui dit : — Mon ami chien, ne voulez-vous pas mourir en chien de bien ? Et, lui pinçant l'oreille, le chien aboya assez haut. — Ouan ! ouan ! — N'êtes-vous pas fâché d'avoir autrefois blessé quelqu'un ? — Ouan ! ouan ! ouan ! — Ne demandez-vous pas pardon à votre maître de l'avoir trompé, en mangeant quelquefois le gibier ? — Ouan ! ouan ! ouan ! — Ne pardonnez-vous pas à tout le monde ? — Ouan ! ouan ! ouan ! — Or, soyez donc, chien bienheureux, absous comme un loup gris, trépassant comme une bête. N'en êtes-vous pas bien aise, monsieur le chien ? — Ouan ! ouan ! ouan ! Il ajouta plusieurs autres calembredaines qui furent peut-être agréables au chien mais sûrement au maître, qui riait très fort. Celui-ci prit le père par la main, lui fit faire bonne chère, se divertit avec lui, lui donna de l'argent et des victuailles en abondance. Il promit même de lui en donner encore toutes les fois qu'il viendrait le voir. Savoir plaisanter à propos vaut mieux que sagesse. L'OFFICIER PRUDENT Un officier était marié avec une femme turbulente et entêtée, qui ne cessait de le tourmenter. Il la battit plusieurs fois ; celle-ci le menaça du Consistoire, qui est le purgatoire des huguenots. Etant mandé au Consistoire, il y alla, et on lui dit qu'il ne convenait pas à un honnête homme de battre sa femme. — Elle était battable, dit-il. — Allez, lui répliqua-t-on, retirez-vous ; qu'il y ait désormais de la mesure dans vos actions, et qu'on n'entende plus parler de vous. Quelques jours après, sa femme, s'appuyant sur le décret du Consistoire, se mit à faire le diable à la maison. Son mari la battit cette fois avec une aune qu'il avait empruntée à un maître tailleur. La pauvre femme porta plainte et fit appeler derechef au Consistoire, où il fut fait au mari une courte réprimande. — Allez, dit-on à cet officier, soyez sage, ne battez plus votre femme. — Monsieur, je lui ai fait ce que vous m'aviez recommandé ; je l'ai battue avec mesure. — Oui, dit-elle, messieurs, il m'a battue avec une aune de tailleur. — Comment, dit maître Jean Pissant, vous abusez des paroles saintes. Faites vos remontrances en vous inspirant de l'Ecriture. Sinon, on vous chassera. Quelques jours après, la femme fit encore la mauvaise ; il la battit ; mais ce fut avec un gros nouveau Testament couvert de bois et ferré ; il lia le livre dans une serviette et lui en donna à tour de bras. Elle se plaignit encore, et il fut appelé pour la troisième fois au Consistoire. Prenant la parole, il dit : — Messieurs, je ne l'ai corrigée qu'avec l'Ecriture Sainte. — Hélas ! messieurs, interrompit-elle, c'a été avec un gros maudit Testament qu'il m'a frappée. Cela ouï, il fut prononcé après délibéré qu'il n'eût plus à châtier sa femme que de sa langue, sous peine de punition corporelle. Ah ! parbleu, il n'y manqua pas, car sa femme s'étant de nouveau emportée, il prit une langue de bœuf fumée, avec laquelle il cogna tant et si fort que le diable eut de cul et le Consistoire de tête. L'ÉPREUVE DU PUCELAGE Un jeune Esculape se trouvant un jour devant le premier médecin de la Reine et voulant lui faire voir la manière de connaître si une fille est pucelle, lui dit : — Si vous voulez le savoir, prenez une fille bien faite, de quinze ans environ ; mettez-la toute nue et la faites tenir debout. Lors, vous mettant derrière elle, passez votre main gauche entre ses jambes et empoignez son minou ; le tenant bien artistement fermé vous avancerez alors votre main droite et des deux premiers doigts vous ouvrirez le trou du ciel, en écartant un peu les fesses ; puis, l'ouverture faite, approchez-y votre bouche; soufflez de toute votre force: si le vent passe par son minou et que vous sentiez ainsi de la fraîcheur sur votre main gauche, soyez sûr que la gente fille n'est plus pucelle.
LES TROIS FILLES Monsieur Martin Chabert aimait trois filles. Il leur dit, un jour : — Mes petites poulettes, je ne puis vous épouser toutes trois. Quoique je vous aime tendrement et autant les unes que les autres, je ne sais comment faire un choix. Pour m'éviter cette peine, je vous proposerai un moyen, savoir : c'est que j'épouserai celle qui répondra le plus naïvement à la question que je lui ferai. Elles y consentirent. — Or, dit-il, lequel est le plus vieux : vos choses ou vos bouches ? L'aînée répondit : — C'est mon chose qui est le plus vieux, vu qu'il a de la barbe et que ma bouche n'en a point. La seconde dit : — C'est ma bouche qui est la plus vieille, parce qu'elle a des dents, et mon affaire n'en a point. La plus jeune déclara : — Moi, je dis comme mes sœurs. — Voyons, petite mignonne, donnez-moi, vous aussi, une belle raison. Elle pétillait et frétillait comme une marmotte déchaînée : — C'est ma bouche, dit-elle, qui est la plus vieille, attendu qu'elle est sevrée, et que mon petit chose tète tous les jours. — Ah ! ah ! hé, très bien, devinez, vous autres, et jugez laquelle a le mieux répondu. Pour moi, je suis de l'avis de la petite dernière. Je l'épouse.
LA POULE ET L'ŒUF Une bonne femme, au coin d'une rue, étant extrêmement pressée de faire ses nécessités, n'alla pas plus loin et se mit en devoir de satisfaire son besoin naturel. Il vint à passer un Supérieur de la ville, qu'elle n'aperçut malheureusement que lorsqu'il fut sur elle. Alors, voulant vite se lever par respect pour le prêtre, et pour cacher sa nudité, elle se redressa : — Restez, restez, lui dit le Supérieur, j'aime mieux voir la poule que l'œuf. (texte non relu après saisie - 22.IX.08) |