Emmanuel Cosquin
(1841 - 1919)

leaf.gif

Pou & Puce
Peuil & Punce

Conte populaire de Lorraine

leaf.gif

 
PEUIL & PUNCE

Ain joû, Peuil et Punce v'lèrent aller glaner. Qua i feurent pa lo chas, lo v'la que veirent ine grousse niâïe que v'nôt. Peuil deit à Punce « I va pleuvé, faout n'a r'naller. Mé, j'areuil bée me hâter : je ne marche mé (1) veite, j' s'reuil toûjou mouillie ; j'm'a virâ tout bellotema (2). Té, r'va-t'a à tout per té (3) ; t'ais do grandes jambes, t'erriverais chie nô ava lé pleuje, et t'ferais lo gaillées (4) a m'attada. »

Punce se môt a route, saouta, saouta. Elle feut bitoû à la mâson. Elle rellumé l'feuil, elle apprôté lo gaillées et elle lo moté cueïre da l'chaoudron. Ma v'là qu'a lo remia, elle cheusé (5) d'dâ et s'y nia.

Ain peuou aprée, Peuil ratre : « Ah! qu'j'â frô ! qu'j'â frô ! j'seuil tout mouillie. Punce, vérousque t'ie ? Vinâ m'baillée do gaillées ; j'lo mingerâ a m'rachaouffa. » Ma l'avô bée crier : Punce ne rapondôme. I s'moté à la chercher, et voïa qu'elle n'atôtome tout là, i peurné ine cûyie e i tiré ine assiettaïe de gaillées. Ma v'là qu'à lé proumère cûriaïe, î croque Punce. « Ah ! quée malheur ! Punce o croquaïe ! Qu'o ce quo j'vâ feïre ? Je n'reste mé tout cei , j' m'a vâ. »

Qua i feut da lé rue, i parté pa l' Val-Deyé (6). I passé d'va ain voulot ; l' voulot lî    deit : « Qu'o ce que t'ais don, Peuil ? »

- « Punce o croquaïe. »

- « Eh bé ! mé, j'm'a vâ charrie (7). »

Qua i feut d'va chie l'père Vaudin (8), l'couchot lî deit « Qu'o ce que t'ais don, Peuil ? »

- « Punce o croquaïe. »

« Voulot charrie, »

- « Eh bè ! mé, j'm'a vâ chanter. »

I r'tourné pa d'vée chie Loriche (9) ; l'fourmouaïe lî deit « Qu'o ce que t'ais don, Peuil ? »

- « Punce o croquaïe.

Voulot charrie,

« Couchot chante. »

- « Eh bé ! mé, j'm'a vâ danser. »

Ain peuou pû lon, l'atôt à coûté d'la mâson d'meussieu Sourdat (10), que faïôt d'l'oueïlle. Y avôt ine femme que sortôt avo deuou bouïrottes (11). La femme lî deit : « Qu'o ce que t'ais don, Peuil ? »

- « Punce o croquaïe,

« Voulot charrie,

« Couchot chante,

« Fourmouaïe danse. »

- « Eh bé ! mé, j'm'a vâ casser mo deuou bouïrottes. »

Ainco pû lon, i s'trouvé pré deuou Grand-Four (12). Tout jeustema, l'père Quentin (13) l'chaouffôt pou affourner l'pain et i r'miôt l'boû que brûlôt avo s'feurgon. L'père Quentin lî deit : « Qu'o ce que t'ais don, Peuil? »

- « Punce o croquaïe,

« Voulot charrie,

« Couchot chante,

« Fourmouaïe danse,

« La femme é cassé so deuou bouïrottes. »

- « Eh bé ! mé, j'm'a vâ t'fourrer m'feurgon aou cû. »

POU & PUCE

Un jour, Pou et Puce voulurent aller glaner. Quand ils furent par les champs, les voilà qui virent une grosse nuée qui venait. Pou dit à Puce : « Il va pleuvoir, il faut nous en retourner. Moi, j'aurais beau me hâter : je ne marche pas vite, je serai toujours mouillé ; je m'en irai tout doucement. Toi , retourne-t-en toute seule, tu as de grandes jambes, tu arriveras chez nous avant la pluie, et tu feras les gaillées (4) en m'attendant. »

Puce se mit en route, sautant, sautant. Elle fut bientôt à la maison. Elle ralluma le feu, elle appréta les gaillées, et elle les mit cuire dans le chaudron. Mais voilà qu'en les remuant, elle tomba dedans et s'y noya.

Un peu après, Pou rentre : « Ah ! que j'ai froid ! que j'ai froid ! je suis tout mouillé. Puce, où est-ce que tu es ? Viens me donner des gaillées ; je les mangerai en me réchauffant. » Mais il avait beau crier, Puce ne répondait pas. Il se mit à la chercher, et voyant qu'elle n'était pas là, il prit une cuiller et il tira une assiettée de gaillées. Mais voilà, qu'à la première cuillerée, il croque Puce. « Ah! quel malheur ! Puce est croquée ?    Qu'est-ce que je vais faire ! Je ne reste pas ici, je m'en vais. »

Quand il fut dans la rue, il partit par le Val-Derrière (6). Il passa devant un volet : le volet lui dit : « Qu'est-ce que tu as donc, Pou ? »

- « Puce est croquée. »

- « Eh bien! moi, je m'en vais battre. »

Quand il fut devant chez le père Vaudin (8), le coq lui dit « Qu'est-ce que tu as donc, Pou ? »

- « Puce est croquée. »

« Volet bat. »

- « Eh bien! moi, je m'en vais chanter. »

Il retourna par devant chez Loriche (9) ; le fumier lui dit « Qu'est-ce que tu as donc, Pou ? »

- « Puce est croquée.

« Volet bat.

« Coq chante. »

-- « Eh bien! moi, je m'en vais danser. »

Un peu plus loin, il était àcôté de la maison de M. Sourdat (10), qui faisait de l'huile. Il y avait une femme qui sortait avec deux cruches. La femme lui dit : « Qu'est-ce que tu as donc, Pou? »

- « Puce est croquée,

« Volet bat,

« Coq chante,

« Fumier danse. »

- « Eh bien! moi, je m'en vais casser mes deux cruches. »

Encore plus loin, il se trouva près du Grand-Four (12). Tout justement, le père Quentin (13) le chauffait pour enfourner le pain, et il remuait le bois qui brûlait avec son fourgon. Le père Quentin lui dit : « Qu'estce que tu as donc, Pou ? »

- « Puce est croquée,

Volet bat.

« Coq chante,

« Fumier danse,

« La femme a cassé ses deux cruches. »

- « Eh bien! moi, je m'en vais te fourrer mon fourgon au c... »

Notes :
(1) Mie, en vieux français.
(2) Bellotement, bellement, doucement.
(3) On dit : à part soi.
(4) Mets du pays, fait de pâte cuite dans du lait.
(5) Chut, du verbe choir.
(6) Le Val-Derrière. C'est dans cette rue de Montiers qu'était née, à la fin du siècle dernier, celle dont nous tenons ce conte.
(7) Charrier, c'est-à-dire traîner en grinçant, battre.
(8) Le père de notre conteuse.
(9) Un homme du village.
(10) Encore une personne du village.
(11) Comparez buire, burette.
(12) Le four banal.
(13) Le fournier du four banal, avant 1789.



ACCUEIL   -   SOMMAIRE   -   JOURNAL DES NOUVEAUTÉS   -   BIBLIOGRAPHIE