Moïse Renault
(.... - ....)

leaf.gif

Le Bayser perfumé
Histoire pantagruélique
Par Maitstre Moïse Renault
Abstracteur de quinte essence
Miniatures de Messire L. Doës
Portraicturier genevois
Avec privilège du roy Grandgousier

MDCCCLXXXVIII

On le vend
A Paris
Au Cercle d’Indre-et-Loire

leaf.gif

 
Extrait du privilège du Roy Grandgousier

Par grâce et privilège du Roy Grandgousier, donné à Paris, le 12 Mai 1888, signé par le Roy Grandgousier, en son Conseil, il est permis à Maistre Moïse Renault de faire imprimer, vendre ou débiter, par tel Imprimeur ou Libraire qu’il voudra choisir, Le Bayser Perfeumé, par luy composé, en telle marge, et en tel caractère que bon luy semblera. Et défenses sont faictes à tous aultres de l’imprimer, vendre ou débiter sans le consentement de l’Exposant, ou de ceulx qui hauront son droit, à paine de tous dépens, dommaiges et intérêts, ainsi qu’il est au long porté par ledict privilège.

Le Bayser Perfeumé

A mon bon maistre Françoys Rabelays
pour lequel cestuy conte a été espéciallement escript.


Comment le sire de Continvoir voulust bayser le visaige d’ugne pucelle et le touva non tel que cuydoyt

Adoncques en cestuy temps là (c'est deverz le mitant du règne du bon roy Loys douziesme) prosche la ville anticque et mignonne de Bourgueil,, en Tourayne, vivoyt en ung sien chastel, aorné de machicoulis et barbacanes insignes et mirificques,le seigneur Hardüin de Continvoir : lequel,en sa prime et verde ieunesse ayant moult guerroyé de cy, de là, et finablement de par les païs d'Itayle, en bon souldard d'antan, otieulsement et ioyeulsement se reposoyt dez labeurs endurez, dez poines espreuvées et dez escorcheures recepveues en lez batailles et prinses d'armes ; au demourant, bon compaignon et chevaulcheur de plaizir comme pas ung, mais non grand despescheur de patenostres et lytanies, bien que dûment pourveu d'ung chapelain, comme est d'usaige. Mays se doibt dyre due ledict frocquard, dont le nez estoyt cramoisy comme le cul d'ung cinge, induysoyt plustost le sire son maistre es beuveryes pantagruelicques et esbaudissantes qu'es salut chrestien et canonicque ; dont se trouvoyt bien. Car au dyre de certains vieilz gens qui l’hont cogneu, le     seigneur de Continvoir, en bon Tourangeauld. aymoyt moult à iocqueter et se monstroyt fryand de septembrale    purée, grant disneur, plus grant desieuneur encore, sy peult estre, et sur toutes chouses trez inclyte descotteur de pucelles et aultres : car le bon sire estoyt paillard comme ung chanoine de Sainct-Louant.

Voyre mesme qu'estoyt cité en Chynonnoys (où tous sont preudes, vertueulx et cocquebins pour la forte part, comme ung chascun sçait, et comme il est dit en lez mirifiques et trez drolaticques escriptz de nostre bon maistre Françoys Rabelays) comme le plus estomyrant et mentulifère veneur de linottes coëffées, cailles à poil et aultres gibierz d'amour que uncques feust veu de par le munde sublunaire ; et bien que le bon homme pour lors entrant en son aage senile (il frizoyt et testonnoyt la soixantaines) on le disoyt encore bon pourvoyeur de sa docte et virile braguette. Sy qu'il luy advint ung iour telle adventure que me narra l'aultre hyer ung bon moyne de Marmoustiers et que ie vous veulx conter en beuvant frays, pour l'esbaudissement dez bachelierz en gaye science, sy tel est vostre bon plaizir :

En la ville et chastellenye de Bourgueil, prosches lez terres et domaines dudict sire, comme est relaté ès commencements de ceste trez digne, trez yeridicque    et trez esiouissantet histoyre, professoyt ung maistre apothicaire, lequel havoyt nom Trouvepeyrtuys, et dont tonte créature ayant eu sphincter en desconvenüe louoyrt lez talents méritoyres en son art et mestier ; sont d'ordinaire tous apothicaires et porteurs de syringues, grantement prinsez et achallandez, pource que sont resputez estre ceux-là qui penestrent le plus soubvent en l'intime intimité du paouvre munde, voyre doublement, (et ie m'entends) ès celle de mez damoizelles leurs espouzes. Mais cestuy descocteur de bren et mascheur de diarrhée estoyt moult aymé et gousté en sus dez aultres par tous villains, manants, artizans et merchants de la ville, et dessus tout par son seigneur, le baron de l'Oye-qui-Cosse (dont despendoyt la chastelleyne de Bourgueil), pource que il havoyt délicatesse, et lesgierté de tact non pareille pour gicgler et progecter l'eaue dez remèdes et médicamens détersifz en lez plus absconses et extresmes proufondeurs du boyau culier et aultres sortes de trippes.

Lequel Trouvepertuys estoyt père d'ugne fille qui, de l'adviz de tout ung chascun, bien estoyt la plus gente, mignonne et aguassante pucelle qui uncques florist de Tourz à Saulmur. On la nommoyt Agnèscomme la mye du deffunct roy Charles Septiesme qui chassa lez Ang1oys du royaulme ; et de ladicte Agnès estoyent lez cheveulx dorez comme sayncts cyboyres et aultres ornamens d'ecclize qui estincellent soubs le nez dez paouvres gens, badaulds et porteurs de rogatons ès bouticques dez orphebvres du Pont-au-Change ; lez yeulx, bleus comme ceulx de madame la Vierge, et clairz comme eaue limpide dez fontaynes et ruisseaulx ; lez lesvres, fresches comme fruictz meurs et rouges comme pourpre anticque ou coraulx de Naples ; lez dents nacrées comme perles syriacques ; le tainct, doulx et blanc comme laicty et voyre ; la taille, fine et ondulante comme roseaulx couchiez par le vent au bord dez estangs fleuriz ; auecques cela, maligne comme ieune guars à l'eschole ou advocat au parlement.
    
Aussy, amoureulx et guallans, pourchasseurs de pucelaiges ne failloyent-ilz en aulcugne fasson à la belle Agnès, tant estoyt grant et mirificque le numbre de ceulx-là qui, s'estant esprins de sa iollye figure comme allouettes d'ung mirouère ou égyptiacques d'une amulette ensorcelée, auecques la guarse du bon apothicaire se vouloyent chausser de mariaige : oh ! les folz ! Et desclairations bruslantes comme le caz d’ugne nonnain de Poissy, et proupos langoureulx comme œillades de paige, plouvoyent-ilz auecques abundance de gresle en avril ou pissat en la braguette d'un beuveur de cervoyse.
    
Mays de ce la belle prenoyt soulcy comme de la pantophle d'ung chicquanous, pource qu'ayant piéçà donne son cueur, et enguaigié sa foy à ung ieune varlet du baron son seigneur, proctecteur de son père, lequel varlet havoyt nom René, s'estoyt veue, à sez grants ioye et soulas, par le bon Trouvepertuys fianssée au ieune guars ; ores René, ayant esté de suyte appelé en Poictou pour faict touschant la chastellenye, se debvoyt célébrer ledict mariaige dans quelques moys, alors qu'il rattourneroyt dudict païs, en l'ecclize paroëssialle de Bourgueil, dont le closchier ha l'aspect et tourneure d'ung pasté de Chartres, pour que ce fust, ugne nuict de cholère divine, demantibulizerafundré par la fouldre du ciel.

Quand par forte fortune le sire Harduin veist ceste perle de beaulté, il se trouva soubdain enfiebvré pour elle d'un amour de vieil homme, sy grant, esnorme et tenax, qu’il en perdist le mangier et, qui mieulx est, le boyre, chouse vrayment estomnrante, veu que ledict seigneur estoyt en tout temps, comme est dessus dict, pluz assouëffé que ugne espunge. Adoncques incontinent se mist en debvoyr de    gehenner et torsionner de mille et ugne fassons sa seigneurialle et éroticque cervelle pour descoupvrir comment il luy pourroyt estre loysible de follastrer auecques ceste feminine, gratieuse et aguassante clhemyse et ce qu'elle vestyssoyt et celoyt aux yeulx profanes s’entend. Et comme il ne vouloyt d'Agnès faire chaussepied de mariaige et preindre pour legitime espouze, pour ce que la guarse entant de sang bourgeoys et rotturier et non noble, luy, gentil homme, ne la pouvoyt espouzer sans desrogier grantement, uza-t-il de tout moyens, masnières et subterfuges pour se fayre aymer d'elle et luy tollir ce que vous sçavez : ce qui n'estoyt moult aysé ; car, d'ugne part, il estoyt de nottoriété publicque et prifvée que la pucelle, estant promyse à son René et de lux affollée, avoyt piéçà rabroué moult beaulx, plaizans et riches iouvenceaulx, lezquelz s'en estoyent    renduz touz    desconfictz ; et d'aultre part,presque iamays ne la voyoyt on yssir seul, mays, bien au rebourz, tousiourz accompaignée d’un sien uncle, frère de sa mère, gendarme de messire le baron, lequel uncle estoy ung vieil souldard, hardy comme ung ribauld, belaffré comme ugne escumoyre, pelu comme ung ours helveticque et reubarbatif comme ugne bogue de chastaignier.

Tant feist ce pendant le de Continvoir, tant chercha, tant rattourna le vuyde de sa paouvre teste quil inventa ung moyen bien excellent et nouvel pour dyre à la ieune guarse ce qui tant luy ardoyt au cueur. Feignant d’estre grandtement incommodé d’empeschemens d’entrailles qui le faisoyent fianter secq et dur comme cailloux de Loyre, il s’en vint trouver le bon homme Trouvepertuys pour de sez cholicques et maulx de ventre obtenir soulaigement, et incontinent, bien qu’il n’en eust nul besoing, se feist servir ung maistre bouillon poinctu qu’il huma sans en perdre goutte ; ce qui, en luy-mesme, l’estonna fort, veu qu'il n'estoyt accoustumé de boyre par cest orifice. Puys, soubs le prétexte que son chastel estoyt distant de quatre bonnes lieues et qu'ung tel bouillon se debvoyt preindre bien chauld, il convint auecques l’apothicaire qu'ainsy, chasque matin, il se viendroyt faire arrouser le gousier breneux d'ugne bonne médicine bien fresche et adoulcissante ; et tint parolle. Ce dont se trouvèrent mal bien tost sez cavitez sphinctérielles, mays bien son cueur : car ainsy il pust à son loysir veoir la belle Agnès, et, d'aulcugnes foys, la rencontrant seule, luy tenir doulx proupos et parolles dorées, luy advouer combien il estoyt féru d'elle et, de fil en agueille, l'adiurer de preindre en pitié son amour bruslant comme feu Sainct-Antoyne.

A ce, de prime abord, ne respondist la belle fille que par ryres et mocqueryes ; puys par discourz et remonstrances dessus la griefveté de la coulpe et lez dommaigeaibles suytes d'icel peschè mortel esquel la voulloyt faire tresbuscher, puys cheoir ; ce qui desconcertoyt moult le bon syre. Mais, finablement, ung iour, après hauoir lutté pluz foiblement que de coustume, la folle fille, qui dessoubs cape rioyt de cest estrif et ne resvoyt que trupher et berner le vieulx guallant qui mouvoyt les badigoinces comme escureuil maschant pomme de pin, feignist se rendre à la mercy du sire. Et comme cestuy-cy, la veyant mollir en sez voluntez et vertu, voulloyt proufiter de l'occasion tant belle et rare qui à luy s'offroyt, et la prioyt de luy lairrer preindre ung bayser, ung seul, la gente Agnès, d'un aër confeus respondist :

- Ha ! monseigneur ! voluntierz, cuydez-le bien, vous octroyeroys-ie la licence que vous soubhaitez obtenir ! Car mon cueur est à vous, meschant ! Mais ne voulant en plain iour mettre la rougeur en mon front d'ung tel oubli de mez debvoyrz, sy tel est vostre plaizyr, ie vous la bailleray non meshuy, ains demain, à la nuictée, en la grange de mon père. Mays donnez-moy vostre parolle de gentil homme que, pour ceste foys, vous serez saige et ne me touscherez en aulcung endroict, fors mon visaige !

Saoul de bonheur à cez mots, nostre bon vieil beciausne iura tout ce qu'on voullust, remercia la belle fille et yssist de la bouticque ayant la ioye boutée au cueur.
 
Le lendemain, à la vesprée, s'estant testonné, paigné, perfeumé, chaussé de sez pluz belles nippes et vestu de neuf, auecques beau pourpoinct de veloux cramoizy et chausses de satin verd, et tocquet empenné sus la teste, comme souloyent s'en couvrir le chief lez muguetz de la cour, mon bon braguard, heureulx comme larron en foyre, se rendist à la porte de la grange ; où, bien tost, maugré la nuict qui estoyt noyre comme la robbe d'ung chat-feurré, il vist ugne umbre qui luy dict : - Est-ce vous ? - Oui ! - respondist-il, se dysant que l'ombre estoyt sans doubte celle de sa iollye pucelle.
   
Lors l'umbre luy prinst la main et l'entraisna en la grange, l'incitant à fayre silence et luy rememourant son serment de ne rien caresser de sa belle hormis la figure ; puys, comme il resclamoyt à voix basse ce qui luy havoyt esté promis, il ouyt ung bruict d'estoffes froissées et sentist qu'on s'approchoty de luy ; et, plain de flamme et s'agenoillant, par culte de la beauté, il se mist en debvoyr de bayser amoureusement le visaige de la pucelle, lequel luy parust ung peu bien large, ung peu bien resche et grantement et estrangement fendu quant à la bouche : mays de ce ne prinst aultre soucy, tant il estoyt proufondément féru d'amour ! Et lez bayserz du guallant tomboyent druz comme fleurs d'aubépines en may !

Mais vécy que durant cez dorelotteryes et gentillesses, un souspir estranglés sortist traistreusement de ladicte bouche et respandist ugne odeur tant orde et punaise, que le bon sire en feust esmeu, de prime sault. Puys de ce ne s'estonna, pensant: - « A disner, elle haura mangié dez aulx, dont ung morcel sera demouré en ugne dent creuze. »

Lores dorelotteryes, gentillesses et doulx proupos d'amour de reprendre leur essor et renaistre de pluz belle ; et ce peult este auroyent-ils ainsy duré iusques au matin, quand soubdain ung aultre souspir, non estranglé, cestey-là, non miesvre et gresle de chant, mays bien au rebourz, bruyant, barytonnant et tonitruant comme la descharge de touz lez faulconneaulx et pierrierz du chasteau d'Emboyse, aux festes quarillonnantes, s'esvada sans cryer gare auecques une odeur tant infasme et empuantée que le paouvre sire, à demy estouffé, cuydant sa darrenière heure venüe et se sentant cheoir en pasmoison, se voulust accroschier à la dame de sez pensées, à seule fin de ne poinct tumber, malgré sa foy iurée de gentilhomme. Mal luy en prinst, car ès lieu et place de cottes de pucelle, ayant trouvé soubs sez doigtz chausses de masle, il en feust tant espanté qu'il chust en poulsant dez criz tellement horrificques, que touz lez hostes de la maison accoururent incontinent auecques torches et flambeaulx ; et là veirent chouses bien esbaudissantes : debout, se rigollant aux esclatz, le vieil gendarme, oncle de la pucelle, lequel, non vestu du bas, lairroyt veoir ung visaige que d'ordinaire veyent seulz messieurz lez eschansons du sphincter : ce que le sire de Continvor avoyt cuydé estre la figure de la niepce ; en ung coing, ladicte niepce, qui rioyt comme la fente d’ung pourpoinct de la farse par elle ourdye ; et par terre, le vieil seigneur, qui, transif et la raige au cueur d'havoyr esté ainsy truphé par ugne guarse de dix-huict ans, rouloyt dez yeulx terrybles ; comme s'il eust voullu desvorer la compaignie. Et faictes estat que le paouvre seigneur, de male paour, et par relaschement anal causé par lez clystères, havoyt conchié toutes ses chausses dez genoilz iusques à la braguette, ce qui n'estoyt qu'ordeure et villenye.
   
Durant que tous se rigolloyent comme chiesvres folles, sans esguard pour le guallant piteulx, cestuy-cy se leva d'ung bond et yssist comme ung vent de la mauldicte maison, oyant encore lez esclatz de ryre, et se despartist verz son chastel, iurant de par touz lez diables et diableteaulx d'enfer qu'il sçauroyt tirer vengeance d'ung tel mesfaict commis à l'endroict de sa seigneurialle personne. Mais la froydeur de l'aër calma ses esperitz ; et il songia que le père de la ieune guarse estoyt protesgié du baron, lequel commandoyt cent lances, alors que luy, sire de Continvoir, en pouvoyt au pluz lever trente ; qu'ainsy la partie ne pouvoyt estre esgualle. Et ne voullant s'enguaigier en male adventure pour ugne fille qui s'estoyt gaussée de luy, il se mussa en son chastel, d'où uncques, depuys, ne voulust yssir ; et tascha se raboutter la ioye en lame en beuvant du meilleur auec son chapelain ; et vescut ainsy en bon hyvrogne que rien ne sçauroyt esmouvoyr, rescluz entre lez murailles de son chastel, iusques à septante et deux années, aage esquel il trespassa en odeur de saincteté et muni dez saccremens de l'ecclize, mais tousiourz honteux et pantois du grant meschief à luy advenu, à sçavoyr que, cuydant becqueter gent visaige de pucelle, il havoyt baysé le cul pelu et tout embrenné d'ung vieil gendarme.

FIN


Couverture (382 ko)

ACCUEIL   -   SOMMAIRE   -   JOURNAL DES NOUVEAUTÉS   -   BIBLIOGRAPHIE