Loüys
Rat
(16..-17..)
Recit fidelle de la tortue vivante,
tirée du genou d'un Musicien habitant, & Bourgeois d'Annessy en
Savoye.
Par les merveilleux secrets d'un Seigneur Sicilien nommé Dom Antonio
Fardella de Calvello Gentil-homme de la Ville de Trapano en Sicile,
habitant aujourd'huy dans le même lieu
(1686)
LES empressemens, dit-il, de plusieurs curieux, & persones de qualité m'obligent à leur donner une relation fidele de ma maladie qui commença il y a environ 18. ans par une enflure de genoux qui croissoit insensiblement qui est venuë enfin de la grosseur de ma teste, ce qui me persuadoit que c'estoit une Loupe, la grande douleur que je sentis sur la fin du mois de Decembre de l'an 1684. m'obligea à garder le lit, jusques à ce que m'estant aperçu des merveilleuses experiences qu'à fait en cette Ville par le moyen de ses secrets, un Seigneur de la Ville de Trapano en Sicile, nomme Dom Antonio Fardella de Calvello, je fis tous mes efforts pour aller chez lui consulter mon incommodité qu'il examina, & me dit enfin que c'estoit une Tortue venimeuse en vie, qui s'estoit engendrée dans mon genoux d'humeur froide, ce qui arrivoit souvent pour se mettre à genoux sur des pierres vives, alors il me fit ressouvenir qu'avant mon incommodité cela m'estoit arrivé d'y avoir mis mondit genoux tout nud au sortir de m'estre baigné, & que du dépuis il m'estoit survenu du même jour une enflure qui a crû de jour en jour comme est dit, il m'assura que c'estoit une maladie mortelle, vû que la dicte Tortue ayant toûjours eu les yeux fermés voudroit à la fin les ouvrir, & chercher la route pour sortir sa teste, & que si-tôt qu'elle verroit le jour je mourrois dans le même instant s'il ne me donnoit un prompt secours, comme il estoit arrivé, disoit-il, à plusieurs, & notamment à un homme qui en avoir porté une pendant 31. ans. Il me dit encore que si l'on avoit traité mon mal comme une louppe, & que l'on l'eusse persé d'aucun fert que j'en serois mort, de même il me rassfura fort voyant mon aprehension, me disant que si elle venoit à sortir la teste, qu'il lui feroit perdre la vuë auffitôt, & que même il la feroit mourir sans que j'en encourusse aucun danger. Il m'assura de plus que si je pouvois trouver une Tortue ordinaire en quelque lieu, que par son moyen il feroit sortir la mienne sans peril, par une action sympatique & magnetique, & la communication naturelle qu'il y avoit de l'une avec l'autre. Ce fut envain que j'en envoyai chercher par tout, puisque je n'en pus trouver aucune pendant une vingtaine de jours qu'il me donna de loisir pour cela avant que m'entreprendre. Je me sentis cependant extrêmement incommodé, & plus que d'ordinaire, ce que me faisant recourir audit Seigneur Dom Antonio afin qu'il me fit la grâce de m'appliquer ses remedes, ce qu'il fit avec beaucoup de cordialité, me disant qu'il falloit que j'euffe une grande confiance en Dieu, & à la sainte Vierge, parce que ce même soir à 7. heures mon genoux se devoir ouvrir, ce qui arriva sans manquer, & le lendemain matin m'aiant levé l'emplâtre qu'il m'avoit mis, la Tortue sortit la teste en même temps, & les deux pattes de devant, ce qu'ayant vû il lui mit soudain un autre qecret devant les yeux qu'il avoit à la main preparé pour cela, mais un miserere apres je vis sauter à deux pas de moy l'œil droit de ladite Tortue, apres quoy il me dit que le premier peril estoit passé parce que l'autre œil de même estoit aveuglé. Il me fit observer sa teste, sa bouche, & ses pattes mouvantes, comme celles des autres Tortues ordinaires, il la fit demeurer ainsi dehors pendans un quart d'heure pour me la faire mieux voir aussi bien qu'à ma femme, & plusieurs autres perfonnes qui estoient là prefentes. Il se fervit d'un autre secret pour la faire rentrer entierement dedans, & l'y laisa ainsi quelque temps, & me commanda de m'aller mettre au lit, me disant qu'à deux heures de-là il m'arriveroit un grand froid qui me dureroit quatre heures, & qu'ensuite je serois saisi d'une grande chaleur avec une fievre tres-ardente qui dureroit quelques jours, cependant je sentis une douleur extraordinaire à mon genoux, ce qui m'obligea à lever le secret de dessus, & je vis la teste de la Tortue qui estoit encore sortie, quoique aveuglée, je la remis dans son trou, & la recouvris du même remede. Une heure après ledit Seigneur Dom Antonio arriva prés de moy qui me visita le genoux, & me palpa par tout le corps, & me remit ensuite un autre secret, me declarant qu'à midy ma fievre deviendroit plus violente & que deux heures après je tomberois dans le delire, dans lequel je demeuray une heure & demi, apres quoy il me reapliqua un autre remede qu'il me declara estre propre pour tuer la Tortue ce qui arriverait à sept heures mais que dans le moment j'aurois un grand tremblement de corps avec un battement de coeur qui dureroit un moment auquel il me sembleroit d'estre dans un brasier de feu, toutes ces circonstances arriverent comme il me l'avoir dit. Le 11. du même mois à neuf heures du matin il observa mon genoux & me dit que deux heures apres je souffrierois plus de douleur qu'à l'ordinaire & qu'alors je levasse le remede & que la Tortue commenceroit à sortir morceaux par morceaux, & qu'ayant reapliqué le secret il en sortiroit ainsi tout le reste, mais que ce qui sortiroit sur la fin seroit d'une puanteur si insuportable, que ma femme, & tous ceux qui seroient aupres de moy seroient contraints de m'abandonner, & que je croirois de rendre mon ame à Dieu, mais que quelques momens après je serois soulagé, le tout arriva ponctuellement comme il me l'avoit annoncé, sur quoy il survient, & m'ayant apliqué des grenoüilles vives à la plante des pieds, & à la palme d'une main, il me donna à l'autre un sablier d'une heure, me disant que si l'on me laissoit lesdites grenoüilles plus de cette heure que mon corps reprendroit le venin qu'elles auroient attirées, & me feroit mourir, ce qui me fit prendre garde à moy, & me les fis lever si à propos qu'aussi-tôt ma fievre fut cessée, & les grenoüilles creverent toutes noires de mon venin, je fentis du dépuis une grande fraîcheur comme il me l'avoit predit, mon appetit fut reveillé & je me trouvay absolument hors de danger. Il m'apliqua ensuite de tems en tems ses remedes si à propos pour parachever la guerison de mon genoux qu'en peu de temps par la grace de Dieu il en vient à bout, & me rendit ce genoux au même estat que l'autre, & me retablit le marcher comme si je n'avois jamais eu aucune incommodité.
Pour le soutien de tout le narré que dessus.
Il y a une declaration de Reverend Messire Charle Tripier, Aumonier des Reverendes religieufes du premier Monastere de la Visitation d'Annessy du 8. May 1685. par lui signée, par laquelle il assure avoir trouvé ledit Sieur Rat dans la maison de Seigneur Dom Antonio Fardella, atteint d'un grand mal de genoux dont la grosseur étoit aprochante de la tête, ce que ledit Seigneur Dom Antonio fit remarquer à tres bonne compagnie, & leur fit voir que l'on y voioit l'apparence d'un animal, dans 4. ou 5. endroits, sur tout à la tête, & à l'endroit des 4. pattes, une efpece d'ouverture, il dit en outre que le jour suivant il avoit vû vne grande ouverture audit genoux droit laquelle il a vû traiter tous les jours par ledit Seigneur, sans fert, ni tâtes, & que le malade fut gueri dans 3. femaines. Cette declaration ayant esté mise entre les mains d'un nommé Decombe, Notaire, a esté par lui autorisée, & fignée le 28. May 1685. Il y a une autre declaration d'un nommé Claude l'Epine, Maître Chirurgien & Bourgeois de la Ville d'Annissi, par lui signée du 28. May 1685, qui justifie avoir vû ledit genoux gros comme sa tête, ne pouvant traîner cette jambe que par l'appui d'un bâton, mais que quelque tems après ledit Sieur Rat Maître Musicien predit, lui montra sondit genoux, & qu'il l'avoit trouvé dans sa figure naturelle, sans apparence même d'aucune cicatrice, ayant declaré avoir esté gueri par les secrets dudit Seigneur Dom Antonio Fardella, qui en auroit fait sortir une Tortuë piece par piece. Ladite declaration a esté autorisée par acte de Mre Descombe Notaire, du même jour & an que dessus. Il y a une autre declaration du même jour, & an que dessfus, d'honorable Perrine fille de Maître Claude Franc, de Poulier, qui assure avoir vû la tête d'une Tortuë qui sortit du genoux du même honorable Rat, ce qu'elle vit lorsque le cas arriva entre les mains du Seigneur Dom Antonio Fardella. Cette declaration a été reduite par main de Notaire, signé Descombe. Il y a une autre declaration du même jour, & an que dessus, du Sieur Joseph Saget, Advocat au Souverain Senat de Savoye, par lui fignée, & autorisée par Mre Grinjon Notaire, qui assure s'être transporté avec sa mere & sa femme, dans la maison du Sieur Rat Musicien, allitté, & dans un grand accès de fievre, comme ledit Seigneur lui avoit predit, qu'il assura se sentir un fretillement dans le genoux comme de quelque animal renfermé dedans, ce qui se trouva vrai, puisque dans le tems que ce Seigneur Sicilien leva l'appareil qu'il avoit mis dessus, il vit & observa lui-même la tête d'une Tortue vivante, aussi bien que les pattes du devant, qui estant repoussées dans leur place par le même Seigneur qui lui appliqua un autre remede, mais que l'ayant levé, il en fortit un œil qui sautat à terre, ce qu'il observa tres bien, & la curiosité l'ayant porté à voir, & à toucher si comme ledit Seigneur Sicilien lui avoit dit, l'autre œil de la Tortuë estoit crevé, il vit, & resta convaincu de la verité de son pronostique. Il y a encor une autre declaration du 20. juin 1685. de Messire Claude Longy, Prêtre & Chanoine Machabé, & habilité de la Cathedrale de Genève, qui assure avoir vu depuis plusieurs années le genoux dud. Rat Musicien croître de jour en jour, & à la fin presque aussi gros que la teste d'un homme au dessus la coupe dudit genoux, & que ledit Rat protestoit qu'il y avoit quelque chose qui y remuoit, & fretilloit de tems en tems, & qu'ensuite il en avoit esté traité par le Seigneur Dom Antonio Fardella, & que par l'ouverture qu'il lui fit sans ferrement, il en sortit une veritable Tortuë qui remuoit la teste, & les pattes, ce qu'il observa fort bien, & laquelle Tortuë, quelques jours apres, ledit Seigneur Fardella fit sortir en pieces, & le guerit si parfaitement, qu'il ne se connoit pas en quel des genoux il a eu le mal. Cette declaration est autorisée du 21. juin 1685. par main de Notaire signé Grinjon Commissaire general des Extantes de S. A. R. en la Chambre des Comptes de Savoye. Il y a encor une autre declaration du 26. mai 1685. de Damoiselle Magdelaine, fille du Sieur Jaque Bovery, Confeiller d'Etat, & des Finances de S. A. R. femme de spectable Nicolas Garbillon, faite entre les mains de Mre Descombe Notaire, & par lui fignée, qui assure avoir vu sortir du genoux dudit Rat Musicien, une tête à forme de celle d'une tortuë, dont il chut un œil à terre, ce qu'elle afferme par serment veritable. Ledit Notaire est declaré Notaire de veritablement bonne renommée, fidelle, & loyal, tellement que les écrits ont toûjours eu foi en jugement sans contredit, come est attesté par un certificat donné pour ce sujet par Monseigneur Daranthon Dalex, Evéque, & Prince de Genève, par lui signé à Annissi, du 2. mars 1685. & soussigné Morens, avec le grand seau de l'Evéché. Voilà , Monsieur, le fidele recit de cette étonnante guerison, dont les circonflances peuvent faire connoitre combien ledit Seigneur Dom Antonio Fardella est experimenté dans le traitement des principales maladies qui peuvent attaquer le corps humain. Je tais à V. E. quantité de fistules gueries, plusieurs cancers, loups corrodens, escroüelles, gangraines, hemoroïdes, maux caducs, ethisies formées, fievres malignes, hidropisies, paralesies, veroles inveterées, fievres quartes, schinances, & toutes autres maladies qu'on nomme ouvertement opprobres de la medecine, & notamment ceux qui de naissance auroient la langue tellement engagée, qu'à peine peuvent ils prononcer une parole qui puiffe estree intelligiblement entenduë, dont nous avons en cette Ville un exemple étonnant en la perfonne d'un Religieux de l'Ordre de S. François, qui n'auroit jamais pû recevoir ses ordres sans son admirable fecours. L'on donneroit de tout cela d'aussi solides attestations, que de la Cure predicte, si l'on n'avoit crainte d'inquieter Vôtre Excellence sur tant de choses diverses, qui paroîtroient peut-être trop recherchées pour reausser le merite de ce Seigneur étranger que je prens la liberté de lui offrir, il me suffit, je crois, de representer à Vôtre Excellence ce petit rayon de ses sens, qui semblent imiter celui des pierreries du Levant qui plus elles sont dans l'ombrage, plus elles font éclatter leurs lumieres, & se font rechercher enfin dans les plus sombres obscurités.
Achevé d'imprimer à Chambery ce 4. Septembre 1686.
Réimprimé à Paris chez Adolphe Lainé, en la rue des Saints-Pères, au numéro 19, par les soins de Marguerite et René Muffat - de Menthon, bibliographes. (texte non relu après saisie - 30.08.10) |