Marie Ravenel
(1811-1893)

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La tempête

Oh! n'allez pas plus loin! la soirée est affreuse,
Le bois crie et gémit, la route est ténébreuse,
Nos prés sont des étangs, nos toits sont déchirés;
La grêle et l'ouragan, le tonnerre et la pluie,
Se liguent pour nous faire une guerre inouïe...
Bon voyageur, entrez !

Voyez comme, là-bas, la Manche tourmentée,
Charge de tout son poids la grève épouvantée,
lit puis, en reculant, met les bas-fonds à sec.
Qu'allez-vous devenir, pauvres nefs pèlerines,
Quand la tempête enlève aux roches sous-marines
Leurs manteaux de varech ?

Un long cri de douleur vient de percer l'orage :
C'est ce que l'on craignait, mon Dieu! c'est le naufrage
Plus fort, avec le flux, le gros temps a sévi.
Chacun nomme les siens, tout se lamente et pleure;
Quatre pêcheurs, hélas ! se sont, depuis une heure,
Noyés au cap Lévi.

Sous la rage du vent, la vague haute et noire
Tourne, en se dérobant, le nez du promontoire,
Et dans le havre a sec, bondit comme un torrent;
Avec elle entraîné, plus d'un frêle navire,
Tout disloqué déjà, touche, craque et chavire
Sur le nocher mourant.

Et les eaux se gonflant, roulent, exaspérées,
Les cadavres meurtris, les barques démembrées,
Des amas de galets, d'habits et de limon...
Oh! qu'à d'autres malheurs votre bonté s'oppose,
Vous qui régnez au Ciel et dont le pied repose
Sur le front du démon!

Reine des mariniers, nombre d'autres victimes
Se débattent encor dans l'horreur des abîmes,
Et luttent pour leurs jours, qu'un rien peut achever;
Arrêtez le ressac, portez-les sur la lame,
Vers ce peuple éperdu qui crie et les réclame,
Mais ne peut les sauver.

Plus d'une veuve est là, morne, désespérée.
Naguère, chaque soir, la famille adorée,
D'un bon père, avec joie, accueillait le retour.
Il ne reviendra plus... l'espérance est tarie,
Le foyer sans chaleur, et, peut-être, ô Marie!
Sans le repas du jour...

Dieu l'a voulu! C'est lui dont la main toujours pleine,
Au nid du passereau donne la tiède laine,
Lui qui soulève l'onde et permet le trépas.
Ses décrets sont cachés; mais il aura son heure:
L'œil qui garde Israël et la pauvre demeure
Ne s'endormira pas.

8 novembre 1859

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Les échos de la Toussaint

Oui, j'aime à prier seule autour de ces poussières;
J'aime ces croix, ces vieux cyprès :
Que d'âges disparus, de familles entières
Attendent le réveil entre ces murs sacrés.
J'aime, lorsque mes jours sont noyés de souffrance,
De maux intérieurs cruellement sentis,
A chercher, sans témoins, le calme et l'espérance
Auprès des miens qui sont partis.

J'ai le culte des morts ; pour eux mon cœur supplie
Avec grande compassion :
Echelle de Jacob, la charité relie
Aux pleurs du pénitent les pardons de Sion.
Ce dogme précieux berça mon premier âge;
J'en écoutais si bien les larmoyants récits,
Et j'offrais ma prière avec tant de courage
Pour tous ceux-là qui sont partis !

Ces beaux jours sont bien loin ; les leçons maternelles
      Sur la route ont fructifié ;
Et l'office des morts, aux formules si belles,
Dans l'ombre, bien souvent, de mes pleurs fut mouillé;
C'est que depuis longtemps, sans laisser nulle trace,
Ceux qui, sur leurs genoux, me l'apprirent jadis,
Sous mes yeux, tour à tour, sont allés prendre place
Parmi ceux-là qui sont partis.

Murmures inconnus, fraîche et timide haleine,
Qui circulez dans ces rameaux,
Seriez-vous excités par les ailes d'ébène
De l'ange qui préside à la paix des tombeaux ?
Souffles mystérieux, qui remuez ces plantes,
Qui frissonnez sous l'herbe, êtes-vous des esprits ?
Dites-vous, en secret, des choses consolantes
A tous ceux-là qui sont partis ?

Pauvres fleurs qui naissez si riantes, si pures,
Dans la demeure des défunts,
Attirez le passant parmi ces sépultures;
Qu'il mêle une prière à vos chastes parfums.
Vous, larmes du matin, qui tombez des feuillages,
L'une après l'autre, au sein de ces gazons bénis,
Puissent vos bruits légers être autant de suffrages
Pour tous ceux-là qui sont partis.

Vieux saules qui pleurez sur ces dalles funèbres,
Ainsi penchés, qu'écoutez-vous ?
Ces morts gémissent-ils dans l'horreur des ténèbres?
Inclinez-vous encore, implorez avec nous.
Et vous, petits oiseaux qui chantez dans ces lierres,
Joyeux, insouciants, en bâtissant vos nids,
Que vos gazouillements soient d'ardentes prières
Pour tous ceux-là qui sont partis.

Loin, bien loin du pays, des milliers de nos frères
Sont morts au milieu des dangers;
Frappés en divers temps, de diverses manières,
Ils dorment, çà et là, sous des cieux étrangers.
Chers absents, quels que soient le siècle et la distance,
Foudroyés à la guerre ou dans l'onde engloutis,
Nous vous comprenons tous, au temps de l'assistance,
Parmi ceux-là qui sont partis.

Et, d'écueils en écueils, chassés par les marées,
Que de malheureux inconnus
Sont venus tour à tour, de toutes les contrées,
S'échouer sur nos bords, cadavres froids et nus.
Nul ami n'a prié sur leur tombe de sable,
Où le flot cherche encore leurs pauvres os blanchis !...
Dieu veuille leur donner la vie impérissable
A tous ceux-là qui sont partis !

Beffroi qui d'heure en heure, égrènes dans l'espace
Ton lugubre avertissement,
Frappe l'attention du voyageur qui passe,
Pénètre tout son cœur d'un puissant sentiment;
Afin qu'en entendant la syllabe argentine,
Parmi les soins du jour, parmi la paix des nuits,
II offre une supplique à la bonté divine
Pour tous ceux-là qui sont partis.

Eglise qui fêtas le jour de leur baptême,
Par des carillons si joyeux,
Tu les as déposés dans le dortoir suprême,
Nourris du Viatique et parés pour les Cieux :
Soutiens mon humble foi, qu'elle soit pénétrante,
Tandis qu'à deux genoux, aux pieds du Crucifix,
J'offrirai le Stabat à la Vierge souffrante
Pour tous ceux-là qui sont partis.


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Ma seconde vallée

C'est un pli verdoyant pris entre deux hauteurs,
Tout parsemé d'attraits, de coups d'œil enchanteurs.
Son gai sentier, bordé de bruyère et de mousse,
A côté des prés verts, s'allonge en pente douce.
A plus d'une légende, aux récits d'anciens jours,
Ses gorges, ses sommets ont prêté leurs contours.
L'on y chemine, ému, de surprise en surprise;
A chaque bout médite une modeste église.
Là, les pauvres défunts, pressés sous le gazon,
Implorent du passant l'appui d'une oraison.
Ses décors si soudains, délices du touriste,
Offrent mille beautés au crayon de l'artiste.
Ses moulins, babillant sans trêve ni repos,
Font éternellement babiller les échos.
Ses arbres, ses rochers, ses sauvages retraites,
Font, à l'homme attentif, rêver d'anachorètes.
Son ruisseau de cristal, aux plis capricieux,
Jette à tous les écueils un mot mystérieux.

Le moulin qui m'offrit son ombre vénérée,
Fut jadis un Moutier, l'honneur de la contrée,
Où des hommes fervents, oubliant l'univers,
De l'encens des vertus, parfumaient ces déserts.
La statuette en pied du prélat tutélaire,
Orne encor le pignon plusieurs fois séculaire.
Les moines, glorieux de leur saint protecteur,
Avaient, pour l'exalter, choisi cette hauteur.
Combien de fois, chez moi, travaillant en silence,
Des saints religieux j'ai senti la présence,
Reconstruit leurs autels, contemplé leurs labeurs,
Ressucité leurs traits, leur costume, leurs moeurs!
Combien, durant les nuits, au chant des engrenages,
Des temps évanouis j'ai refait les images!

Un soir, en méditant, j'explorais le grenier,
Mon bon ange, sensible à mon voeu familier
M'offrit, dans la poussière, un éclat de statue,
Une épaule parfaite et chastement vêtue.
Un miracle, un trésor! Cette épave des temps,
Pour moi seule, en ce lieu, dormait depuis cent ans.
Je la pris, avec foi, la poitrine oppressée;
Un flot de gratitude envahit ma pensée.
Et je remerciai, des larmes plein les yeux,
Le Ciel qui m'envoyait ce témoin précieux.
Puis, me recommandant à sa sainte influence,
Dans un lieu bien caché je le mis en silence.
Depuis lors, à chercher plus animée encor,
D'autres petits débris grossirent mon trésor.
Dieu sait combien j'ai fait de plans, de conjectures,
Cherché surtout, surtout le lieu des sépultures,
Porté de tous côtés mes pas respectueux,
Sans que nul ait flairé mes pensers soucieux!

La prière, autrefois, choisit ces lieux tranquilles,
Aux sauvages beautés, aux abords difficiles;
Des hommes, pleins de foi, conduits par le Seigneur,
Y vinrent travailler pour un monde meilleur.
Un siècle après leur mort, j'en ai la certitude,
J'ai moi-même habité leur chère solitude.
Entre leurs murs bénis, j'ai vécu douze hivers.
Après eux, mille fois, j'ai foulé ces prés verts,
Je les invoque au Ciel, je chéris leur mémoire,
J'honore leurs vertus, mais qui sait leur histoire?...
Les précieux détails que j'ai tant implorés
De mes pieux désirs resteront ignorés.



Une suggestion de Bruno Canteneur : Au bord du Trey, pages d'histoire locale et varia.

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