Anonyme
Le sermon en proverbes
(XVIIIe siècle)
Mes chers frères, Cette vérité devrait faire trembler les pécheurs; car enfin Dieu est bon, mais aussi qui aime bien châtie bien. Il ne suffit pas de dire : je me convertirai ; ce sont des propos en l'air ; autant en emporte le vent. Un bon tien vaut mieux que deux tu l'auras ; il faut ajuster ses flûtes, et ne pas s'endormir sur le rôti ; on sait bien où l'on est, mais on ne sait pas où l'on va, et quelquefois on tombe de fièvre en chaud mal ; l'on troque son cheval borgne contre un aveugle. Au surplus, mes chers frères, honni soit qui mal y pense. Il n'est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre ; à décrasser un More, on perd son temps et son savon ; et l'on ne peut faire boire un âne s'il n'a soif. Suffit, je parle comme saint Paul, la bouche ouverte, et pour tout le monde ; qui se sent morveux se mouche, ce que je vous en dis, n'est pas que je vous en parle ; mais comme un fou avise bien un sage, je vous dis votre fait, et ne vais pas chercher midi à quatorze heures. Oui, mes frères, vous vous amusez à la moutarde, vous faites des châteaux on Espagne ; mais prenez garde, le démon vous guette comme le chat fait la souris ; il fait d'abord patte de velours ; mais quand une fois il vous tiendra dans ses griffes, il vous traitera de Turc à More, et alors vous aurez beau vous chatouiller pour vous faire rire, et faire le bon apôtre, vous en aurez tout du long et tout du large. Si quelqu'un revenait de l'autre monde et qu'il en apportât des nouvelles, alors on y regarderait à deux fois ; chat échaudé craint l'eau froide ; quand on sait ce qu'en vaut l'aune, on y met le prix ; mais là-dessus les plus clairvoyants n'y voient goutte. La nuit tous les chats sont gris et quand on est mort c'est pour longtemps. Prenez garde, dit un grand homme, n'éveillez pas le chat qui dort ; l'occasion fait le larron, mais les battus payeront l'amende ; fin contre fin ne vaut rien pour doublure ; ce qui est doux à la bouche est amer au coeur, et à la Chandeleur sont les grandes douleurs. Vous êtes à l'aise comme rats on paille ; vous avez le dos au feu et le ventre à table ; on vous prêche, et vous n'écoutez pas ; je le crois bien, ventre affamé n'a point d'oreilles; mais aussi rira bien qui rira le dernier. Tout passe. tout casse, tout lasse ; ce qui vient de la flûte retourne au tambour ; et l'on se trouve le cul entre deux selles ; mais alors il n'est plus temps, c'est de la moutarde après dîner ; il est trop tard de fermer l'écurie quand les chevaux sont dehors. Souvenez-vous donc bien, mes chers frères, de cette leçon ; faites vie qui dure ; il ne s'agit pas de brûler la chandelle par les deux bouts. Qui trop embrasse mal étreint ; et qui court deux lièvres à la fois n'en prend point. Il ne faut pas non plus jeter le manche après la coignée. Dieu a dit : Aide-toi et je t'aiderai. N'est pas marchand qui toujours gagne ; quand on a peur du loup, il ne faut pas aller au bois ; mais contre mauvaise fortune il faut faire bon coeur, battre le fer tandis qu'il est chaud. Un homme sur la terre est toujours sur le qui-vive. On ne sait ni qui vit ni qui meurt, l'homme propose et Dieu dispose ; tel rit aujourd'hui qui dimanche pleurera ; il n'est si bon cheval qui ne bronche, quand on parle du loup, on en voit la queue. Oui, messieurs, aux yeux de Dieu tout est égal, riche ou pauvre n'importe. Bonne renommée vaut mieux que ceinture dorée. Les riches payent pour les pauvres, et ils se servent souvent de la patte du chat pour en tirer les marrons hors du feu ; mais chacun pour soi, et Dieu pour tous. Un auteur célèbre a dit : Chacun son métier, les vaches seront bien gardées ; il ne faut pas que Gros-Jean remontre à son curé. Chacun doit se mesurer à son aune ; et comme on fait son lit, on se couche. Tous les chemins vont à Rome, dit-on, mais il faut les connaître, et ne pas prendre ceux qui sont pleins de pierres ; il faut aller droit en besogne, et ne pas mettre la charrue devant les boeufs. Quand on veut son salut voyez-vous, il faut y aller de cul et de tête, comme une corneille qui abat des noix. Si le démon veut vous dérouter, laissez-le hurler ; chien qui aboie ne mord pas ; soyez bons chevaux de trompette, ne vous effarouchez pas du bruit. Les méchants vous riront au nez mais c'est un rire qui ne passe pas le noeud de la gorge. Au demeurant chacun à son tour; et puis à chaque oiseau, son nid semble beau ; après la pluie le beau temps; et après la peine le plaisir ; mais laissez dire, allez ; trop gratter cuit ; trop parler nuit. Moquez-vous du qu'en dira-t-on, et ne croyez pas que qui se fait brebis, le loup le mange. Dieu a dit : Plus vous serez humiliés sur la terre, plus vous serez élevés au ciel. Ecoutez bien ceci, mes enfants, je vous parle d'abondance de coeur ; il n'est qu'un mot qui sauve ; il ne faut pas tant de beurre pour faire un quarteron. Quiconque fera bien trouvera bien. Les écrits sont des mâles, et les paroles sont des femelles, dit-on mais on prend le boeuf par les cornes, et l'homme par les paroles, et quand les paroles sont dites, l'eau bénite est faite. Faites donc de sérieuses réflexions, mes frères, choisissez d'être à Dieu ou au diable ; il n'y a pas de milieu ; il faut passer par la porte ou par la fenêtre ; vous n'êtes pas ici pour enfiler des perles, mais pour faire votre salut ; le démon a beau vous dorer la pilule, quand le vin sera versé, il faudra le boire ; et c'est au fond du pot qu'on trouve le marc. Au reste, à l'impossible nul n'est tenu ; je ne peux pas vous sauver malgré vous ; On dit que ce n'est rien de parler, le tout est d'agir ; et comme charité bien ordonnée commence par soi-même, je vais tâcher de faire mes orges, et de tirer mon épingle du jeu ; alors, quand je serai sauvé, arrive qui plante, allez au diable, je m'en lave les mains. |