Charles de Sivry

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Le Prêtre
Monocoquelogue
dit par
Coquelin cadet
(1883)


MONOCOQUELOGUE EN TROIS TABLEAUX

1er Décor. - Par un matin brumeux, une rue. - Le Prêtre marche lentement, absorbé dans ses méditations. Accessoires. - 1° un bréviaire ; 2° dans le bréviaire une carte missive armoriée au coin ; 3° un ronchonnement sourd et perpétuel entrecoupé de phrases latines incohérentes et hiératiques.


SCÈNE PREMIÈRE.

(Il tient son bréviaire ouvert et lit en marchant.)

Unmmmmmmmm (ronchonnement) dixit autem mmmmmmm ad dominum nostrum Jésum Christum filium tuum qui tecum vivit et regnat in unitate mmmm (Il trouve dans son livre la carte, la tourne et la lit.) Ummmmmm (ronchonnement). « Cher abbé mmmmm dîner ce soir sans cérémonie mmmmmm ministre pour votre affaire mmmmmm causerons Ummmmmmm » (Il remet la carte dans le livre.)

Chère pénitente, rachètera bien des péchés par son zèle ardent, zèle ardent, zèle ardenmmmmm. - Neuf heures, - (Il hâte le pas.) confessionnal, mon jour...... chère pénitente. (Il entre dans l'église.)


2e TABLEAU.

L'église - confessionnal dans un coin (qui est une chaise sur le dossier de laquelle s'appuie le prêtre). - Le prêtre fait une génuflexion devant l'autel et prend place au confessionnal.


SCÈNE DEUXIÈME.

LE PRÊTRE - LA PÉNITENTE (personnage hypothétique)

LE PRÊTRE (murmurant).

Dites votre confiteor

LA PÉNITENTE.

.............................

LE PRÊTRE.

Avec moi. - Confiteor ommmmmm omniummmm amen. - (un temps.)

LA PÉNITENTE.

.............................

LE PRÊTRE.

Ummm... Peu grave... vous auriez pu, moyennant quelques bonnes oeuvres, obtenir l'autorisation... Raisons de santé... Le maigre n'est d'ailleurs obligatoire que le vendredi...


LA PÉNITENTE.

.............................

LE PRÊTRE.

Ummm... Ummm... oui, oui, le jeudi soir au souper... mais saviez-vous qu'il fût minuit passé ?

LA PÉNITENTE.

.............................

LE PRÊTRE
(répétant machinalement les paroles de sa pénitente).

« Oublié l'heure... plus conscience... oublié tout (forté), oublié tout !!! (Il se drape dans une sévérité terrible.)


LA PÉNITENTE (sanglotant).

.............................

LE PRÊTRE (radouci).

Ummm... Ummm... Remettez-vous, ma fille, et songez à l'infinie clémence du Tout-puissant... Allons, dites tout... dites.......

LA PÉNITENTE.

.............................

LE PRÊTRE (s'intéressant).

Ah ! ah !..... (long) ah ! ah !.... (long) Et... depuis quand ?

LA PÉNITENTE.

.............................

LE PRÊTRE.

Mais, si je ne me trompe, c'est vers cette époque que... cette personne... vous a été présentée pour la première fois...

LA PÉNITENTE.

.............................

LE PRÊTRE (un peu choqué).

Huit jours ! - seulement ! mais vous n'avez donc pas lutté contre la chair !

LA PÉNITENTE.

.............................

LE PRÊTRE (bonnasse et prud'hommesque).

Oh ! les filles d'Eve !

LA PÉNITENTE (resanglote).

............................

LE PRÊTRE.

Remettez-vous. Dieu est bon...... Alors, comme ça, tout de suite ?

LA PÉNITENTE.

.............................

LE PRÊTRE.

Et vous n'avez pas songé aux conséquences !

LA PÉNITENTE.

.............................

LE PRÊTRE.

Ummm... Ummm... Oui... le coup de foudre !... nature ardente !... (s'intéressant.) voyons, contez-moi comment cela s'est passé.

LA PÉNITENTE
(inondant le confessionnal de ses larmes).

.............................

LE PRÊTRE (têtes diverses).

(S'intéressant.) Ummm !... (de plus en plus.)... ammm ! (avec un beau sourire indulgent.) Ummm ! (allumé) oh !... (un temps.)... (scandalisé.) ooh !!!... (bas, à part avec une tête indiquant l'état troublé de tout son être.) Seigneur, préservez-moi de la tentation ! - (Haut) continuez, ma fille.

LA PÉNITENTE.

.............................

LE PRÊTRE (avec un respiration bruyante).

Ummm ! Ummm ! Ummm !... - Et... combien de fois, mon enfant ?

LA PÉNITENTE.

.............................

LE PRÊTRE
(Fait une tête pleine d'admirative stupéfaction ; puis,
comme la pénitente continue à pleurer toutes les larmes de son corps,
il exprime par ses gestes, en se frottant les mains en rond et en ronchonnant,
la pitié que lui inspire ce repentir sincère
).

Allons, mon enfant, ne pleurez pas ainsi... (prédicant.) du courage. - Il faut d'abord, pour ne plus retomber dans le péché... éloigner absolument la cause du péché...

LA PÉNITENTE (se révoltant).

.............................

LE PRÊTRE (étonné).

Mais, mon enfant !

LA PÉNITENTE (marchandant).

.............................

LE PRÊTRE.

..... Certainement, les bonnes oeuvres sont agréables au Seigneur et rachètent bien des fautes... mais... il ne s'agit pas seulement d'expier,... il faut encore... persévérer dans le repentir et ne plus jamais.....

LA PÉNITENTE (l'interrompant par des larmes).

.............................

LE PRÊTRE.

.... Voyons, mon enfant... soyez forte contre le démon... Certainement... l'oeuvre de la Sainte-Enfance.... Un petit Chinois.... si compatissante aux malheureux... mais cependant....

LA PÉNITENTE (surenchérissant).

.............................

LE PRÊTRE.

Deux petits Chinois !..... Allons...... Je m'en remets à la justice d'en haut...... Recueillez-vous ma fille... (à part.) Si ces deux petits Chinois savaient à quoi ils devront d'entrer dans le giron de l'Eglise ! (Il fait un geste hiératique - Bourdonnant.) In nominuuuuum... amen. Absolvo te unuuuum... et Spiritus sancti amen.... (Silence.- Changement.)


3e TABLEAU.

A la porte de la Sacristie.

LE PRÊTRE.

Vous êtes trop aimable, madame la marquise. Je n'ai pas oublié votre gracieuse invitation.

LA PÉNITENTE.

.............................

LE PRÊTRE.

Et merci pour notre pauvre paroisse, car c'est tout à fait de Son Excellence que cela dépend. Or, le ministre est bien pensant, il est jeune, ardent et.... (à part.) elle rougit... ce trouble.... - Et Son Excellence sait-elle que vous vous êtes approchée aujourd'hui du tribunal de pénitence ?... - Et que j'ai l'honneur d'être votre directeur spirituel ?... - (A part.) quelle figure vais-je faire à ce diner ?.....

Oui, madame. Oh ! vous êtes si influente et si bonne. - Merci encore pour notre pauvre église.

Et à ce soir ! (Il salue profondément et sort.)


FIN


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