Jean-Joseph Vadé
(1719-1757)
Chanson
Quand on est au fait du métier De femme habile et fine coquette, On choisit un grand écolier, Sot, mais bien fait, joli, riche héritier. On lui jure une ardeur parfaite; Il s'applaudit et s'enflamme aisément : Et voilà comme, et voilà justement Comme on fait d'un novice un amant. On se fait un amusement D'un feu plus doux, plus flatteur que sincère, Jusqu'à ce qu'Amour s'éloignant, On ait à craindre un prochain changement : Bientôt Hymen devant notaire Vient assurer le coeur et l'argent : Et voilà comme, et voilà justement Comme on fait un mari d'un amant. Par là l'honneur est à l'abri; Pour couvrir tout, l'emplâtre est sans pareille. Ensuite on prend un favori Galant, bien fait, vigoureux, bien nourri : On quitte l'époux qui sommeille, Pour voir l'amant qui n'est pas endormi : Et voilà comme, et voilà tout ainsi Comme on fait un cocu d'un mari. Puis on le fait tant enrager, Tant et si bien qu'on lui fait rendre l'âme. Tandis qu'on feint de s'affliger, Dans l'autre monde il va se soulager. Trop heureux, en quittant sa femme, Que son repos lui soit enfin rendu : Et voilà tout compté, tout rabattu, Comme on fait un défunt d'un cocu. Je ne vois rien de si charmant Que d'obtenir un brevet de veuvage, Quand il n'en coûte seulement Que les frais de l'enterrement. Puis des deniers de l'héritage, Quand on est vieille, on achète un amant, Et volià comment, et voilà justement Comme on fait d'un défunt un vivant. |
Histoire de mademoiselle Manon
Qui veut savoir l'histoire entière, De mamselle Manon la couturière, Et de monsieur son cher amant, Qui l'aimait zamicalement. Ce jeune homme-ci, t'un beau dimanche, Qu'il buvait son d'mistier à la croix blanche, Fut accueilli par des farauts, Qui racollent zen magnèr' de crocs. L'un d'eux ly dit : voulez-vous boire, A la santé d'un roi couvert de gloire ? A sa santé ? dit-y, zoui dà : Il mérite bien ç't'honneur-là. Y n'eut pas plutôt dit la chose, Qu'un racolleur dix écus ly propose, En lui disant en abrégé, Qu'avec eux t'il est zengagé. Oh ! ç'n'est pas comm'ça qu'on zengage, Répond le jeun' garçon fisant tapage. Y au guet ! Y au guet ! Y au guet ! Y au guet ! Le guet vient pour savoir le fait. Pour afin d'éclaircir l'affaire, L'guet les mène tretous cheux l'commissaire, Qui condamne l'jeune garçon D'aller faire un tour t'en prison. Ah ! voyez t'un peu l'injustice De ces messieux les gens de la justice ! Ils vous jugeont sans jugement, Sans savoir l'quel qu'est l'innocent. Sachant cela, Manon zhabile, S'en va tout droit de chez M. d'Marville, Pour lui raconter zen pleurant Le malheur de son accident. Monsieur l'lieutenant de police, Soit par raison d'état, ou par malice : Dit : man'sell', quoique vous parlez bien, Vot' serviteur; vous n'aurez rien. La d'ssus, ste pauvre chère amante Pleure encore un petit brin pour qu'ça le tente, Mais voyant qu'ça n'opérait pas, Pour la cour all' part de ce pas. A Fontainebleau zelle arrive, Quasi presque tout aussi morte que vive, S'jette au cou de M. d'Villeroi, Qu'alle prit tout d'abord pour le roi. Monsieux, vot'sarvante... J'suis l'vôtre : Ce n'est pas moi qu'est l'roi, dit-y, c'est un autre. Mon enfant, t'nez l'v'là tout là-bas... Ah! monsieux, je l'vois, n'bougez pas. Sire, excusez si j'vous dérange; Mais c'est que je ne dors, ne bois, ni mange, Du depuis que l'amant que j'ai, Sus vot' respect, est zengagé. On zy a forcé sa signature, De signer un papier plein d'écriture; Il ne serait point zenrôlé, Si y on ne l'avait point violé. Le roi, qu'est la justice même, Dit : vous méritéez qu'vote amant vous aime, Puis lui fit donner mil zécus, Et le congé par là dessus. Ah ! dit-elle, roi trop propice, S'il y avoit queuq' chose pour vot' sarvice, Je pourrions nous employer, dà... L'roi dit qu'il n'voulait rien pour çà. De Paris regagnant la ville, Elle reva de cheux M. d'Marville M'faut mon amant, rendez-le moi : T'nez, lisez, v'là l'ordre du roi. Il est trop tard, mademoiselle. Quand il s'roit encor plus tard, ly dit-elle, M'faut mon amant, je l'veut avoir, Non pas demain, mais drès ce soir. L'magistrat, voyant ben que c'tordre Allait lui donner du fil à retordre, Fit venir le jeune garçon, Et puis le remit à Manon. Vous jugez comme ils s'embrassirent, Et puis ensuite comme ils s'épousirent, Et l'on entend dire en tout lieu, Que c'est un p'tit ménage de Dieu. Filles qui faites les fringantes, Parmi vous trouve-t-on de tell's amantes ! Profitez de cette leçon; Vous aurez le sort de Manon. |