Denis Bogros
(1927-2005)

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Les chevaux des Arabes
(1978)

Chapitre 2
La filiation des chevaux selon la tradition classique et les légendes populaires chez les Arabes

D'où il ressort que les chevaux arabes descendent de Zad el-Rakeb*,
cheval de David, issu en droite ligne des nobles coursiers
dont le Seigneur avait gratifié son serviteur Ismaël
.
WACYF BOUTROS GHALI
« La Tradition chevaleresque des Arabes », 1919.

*En transcription en caractères latins les traducteurs

ont employé les deux orthographes :
 Zad el-Rakeb et Zal er-Rakib qui désignent donc le même cheval.

Les Arabes n'ont pas attendu les Européens pour rechercher les origines de leur cheval. Avant la fin du deuxième siècle de l'Islam, du temps de sa grandeur (IXe siècle de notre ère), des ouvrages fondamentaux ont été publiés sur cette question. Ce sont les oeuvres de : Hicham ibn Saib ibn Kelbi (mort en 206 de l'hégire [8]), dont le père faisait autorité pour tout ce qui concerne les chevaux ; il était contemporain d'Abu Obeïda et d'Al-Asmaï. Il a écrit: Al Kitab Nasab al Khil, c'est-à-dire: « Le Livre de la lignée des chevaux, aux temps pré- et post-islamiques », et de Mohamed ibn Al Arabi, de la génération suivante, qui a écrit Al-Kitab Asma Khil al-Arab, c'est-à-dire: « Le Livre de la dénomination des chevaux des Arabes ».

Les deux manuscrits de ces oeuvres qui existent à la bibliothèque de l'Escorial (Espagne) ont été publiés en 1928 à Leyde par M. G. Levi della Vida. Il existe aussi une autre publication du premier de ces manuscrits datant de 1946 avec les commentaires d'Ahmed Zaki Pacha. Ces deux auteurs sont la source de tous les écrivains arabes et étrangers qui, par la suite, ont étudié les origines du cheval arabe. Leur méthode de recherche est fondée sur l'étude des pièces poétiques qui leur sont parvenues et sur la confrontation des notices historiques qu'ils ont pu recueillir, soit de la bouche même de témoins ayant vécu les premières conquêtes de l'Islam, soit dans la tradition orale populaire ayant retenu celles qui faisaient l'unanimité du consensus de la Nation arabe.

Il faut rapprocher ces ouvrages de ceux d'Abu Obeïda et d'Al Asmaï de la génération précédente. Ces auteurs-là ne se sont pas attardés sur les généalogies. C'étaient avant tout des zootechniciens, avant la lettre, qui ont recherché les caractères différentiels et spécifiques du cheval de course : le Jawad, c'est-àdire : celui qui est rapide et généreux. Il est intéressant de remarquer que les ouvrages de ces zootechniciens et ceux de ces généalogistes se complètent. Ils se succèdent immédiatement dans le temps et font partie de la même époque historique : celle qui fut l'apogée de la civilisation arabo-musulmane avec les califes abbassides de Baghdad, et singulièrement Harun al Rachid, contemporain de Charlemagne. Nous citerons longuement Abu Obeïda au chapitre VIII, « Le cheval noble décrit par les Maîtres arabes ». Notons ici, pour mémoire, que son contemporain Al-Asmaï, dont nous n'avons pu hélas nous procurer le livre du cheval, s'appelait Abu Said Abd'Al Malek Asmaï (740 [?]-828 [?]). Il fut chargé de l'éducation du fils du calife Harun al-Rachid, surnommé l'Amir. C'était un linguiste éminent d'une grande culture. Il rédigea :

Kitab Khalqi l'Insan (Livre de la création de l'homme) ;
Kitab al-Khil (Livre du cheval) ;
Kitab al-Ibil (Livre du dromadaire) ;
Kitab al-Ad'dad (Livre des contraires) ;
Al-Asmat (Recueil de poésie).

Ce qui nous fait bien comprendre que les maîtres arabes qui ont traité du cheval étaient d'abord des linguistes humanistes. Ce fait est très important à noter pour pénétrer dans leur système de pensées !

Mais revenons aux ouvrages d'Ibn Kelbi et d'Al-Arabi. Leur éditeur écrit à leur propos : « Il n'est pas improbable qu'une puissante impulsion à la composition des recueils dont il a été fait mention ci-dessus ait été donnée par l'intérêt aux courses et à l'élevage des chevaux qui fut très vif chez les Arabes, surtout à partir de la fin du premiers siècle de l'hégire. C'est sans doute à cet intérêt que sont dus les récits placés à la fin de l'ouvrage d'Ibn Kelbi, qui se rapportent presque tous au célèbre étalon Al-Harun et à sa descendance dans laquelle, à l'époque omeyyade, les Arabes ont reconnu le pedigree de leurs chevaux de sang. » Nous sommes là en présence d'un fait historique de la plus haute importance pour le sujet que nous traitons. Il prouve en effet que le cheval arabe est le produit de sélections successives.

Celle à laquelle procédèrent les Arabes de la « Grande Syrie » sous les dynasties omeyyade et abbasside qui s'inscrit dans la ligne même de l'enseignement du Prophète de l'Islam, est sans aucun doute la plus importante. Elle succédait à une première sélection faite aux temps antéislamiques par les Bédouins « poètes batailleurs ». Par la suite, lorsque le centre de gravité de la civilisation musulmane se déplaça à l'extérieur de l'Arabie-Syrie (en Espagne, Egypte, Maghreb), les Bédouins des grandes tribus Anézé et autres, s'isolant du monde dans leurs déserts entre Yémen et Mésopotamie, conserveront ce cheval sélectionné, en le purifiant même et en exaltant ses qualités par un élevage fondé sur la consanguinité, vers laquelle ils étaient inclinés par leur goût de la pureté généalogique et leur genre de vie. C'est là, dans ces tribus, que les Européens le découvriront tardivement, et une deuxième fois, au XIXe siècle.

La généalogie du cheval des Arabes selon la tradition

Hicham Ibn Kelbi écrit, en se référant à Mohamed Ibn Saïb, qui se réfère à Abu Salah, celui-ci se référant à Ibn Abbas, contemporain du Prophète (ce processus de références successives est caractéristique de la méthode de recherche des maîtres arabes) : « Le premier homme qui ait monté le cheval et l'ait domestiqué fut Ismaël fils d'Abraham, il fut aussi le premier à parler l'arabe classique (la langue du Coran). Lorsqu'il atteignit l'âge de la puberté, Dieu lui fit don de l'arc avec lequel il atteignait tout ce qu'il visait. Lorsqu'il devint adolescent, Dieu fit sortir pour lui cent chevaux de la mer (9), qui séjournèrent dans les environs de La Mecque, y restant un certain temps, devant la porte d'Ismaël. Il les mit « dans un enclos » (10). Il en fit la reproduction et les monta. » Mohamed Ibn Arabi écrit d'après Ibn Abbas : « Les chevaux étaient sauvages et on ne les montait pas ; le premier qui les monta fut Ismaël... C'est pour cela qu'on les appela Arab » (11). Bakhchi Mohamed al-Jeluati, écrivain du XVIIe siècle, rapportera la même version.

Tous ces auteurs font transiter la filiation du cheval Arab par les chevaux des écuries des prophètes David et Salomon. Ibn Hodeil al-Andalusi rapporte dans le premier chapitre de son ouvrage : « Ibn Abbas - Dieu l'agrée - rapporte que David, prophète et lieutenant de Dieu sur la terre, aimait passionnément les chevaux, si bien que jamais il n'entendit vanter un cheval pour sa race, sa beauté ou sa rapidité sans le faire amener. Il rassembla de la sorte mille chevaux et il n'y en avait pas d'autres, alors, sur la terre. Puis, Dieu ayant repris David, Salomon hérita de lui et siégea à sa place. Il dit alors : « David ne m'a rien transmis qui me soit plus cher que ces chevaux. » Il les fit entraîner, traiter et soigner, et les demanda un jour : « Qu'on me les présente, dit-il, afin que je connaisse leurs marques, leurs noms, leurs origines. » On commença à les lui présenter après qu'il eut fait sa prière du dohr, et la prière de l'açr (12) se passa ainsi, les chevaux défilant devant lui. Et ce n'était que coursiers rapides et généreux qui lui firent oublier les prières jusqu'à ce que le soleil eût disparu, caché derrière le voile ! Alors Salomon s'aperçut de son oubli, se souvint des prières et, implorant le pardon de Dieu, il dit: « Il n'y a rien de bon dans un bien qui vous fait oublier Dieu et la prière. Qu'on les ramène. » Neuf cents avaient été présentés, il n'en restait que cent. Les neuf cents furent donc ramenés et Salomon se mit à leur trancher le jarret et le cou, tant il était affligé que le temps de l'açr eût passé. Et comme il restait encore cent chevaux à présenter : « Ceux-là, dit-il, me sont plus chers que les neuf cents qui m'ont détourné de la prière », et il les conserva... « Si bien qu'aujourd'hui tous les chevaux sont de la descendance de ces cent survivants », écrit Ibn Hodeil. Le livre sacré de l'Islam, le Coran, fait état des faits relatés ci-dessus dans la sourate Sad, aux versets XXXI, XXXII, XXXIII, etc. Tous les auteurs qui ont eu à traiter de la question ont été très embarrassés par cette sourate, et les exégèses ne manquent pas sur ce problème.

Le professeur Hafid Abdelfetah Tabbarah en a donné une version plus satisfaisante pour les amoureux du cheval de race, dans son ouvrage intitulé Avec les Prophètes d'après le Coran, édité à Beyrouth vers 1960. La voici traduite librement: « Un jour, Salomon demanda qu'on lui présente les chevaux (Al-Khir, c'est-à-dire Le Bien, et par extension Les Chevaux). Fier d'eux il dit en s'adressant à son entourage : « J'ai aimé et j'aime ces chevaux parce qu'ils témoignent à mes yeux de l'immanence de Dieu et parce que je peux [avec eux] faire rayonner la religion de Dieu ; ça n'est pas parce qu'ils constituent en eux-mêmes un bien matériel [Al-Khir] ni une richesse. » Après cela, il fit commencer la présentation. La file était tellement longue qu'on ne voyait pas la fin ; mais Salomon ne fut pas rassasié [par ce spectacle] et il demanda à ce qu'on les lui présente une deuxième fois. Il se mit à les flatter en les caressant au-dessus du jarret [au mollet] et à l'encolure. » En vérité, c'est bien à la base de l'encolure, et derrière le grasset, au-dessus du jarret, que l'homme de cheval flatte son compagnon !... Nous retiendrons le commentaire suivant du professeur Tabbarah car il traduit bien, après quelque quatorze siècles, l'enseignement du Prophète de l'Islam : « L'amour que Salomon éprouve pour les chevaux provient de la présence de Dieu en eux. Car les chevaux constituent un moyen matériel de lutte pour la gloire de Dieu. [Salomon] donne une leçon au croyant, afin que son amour soit pour Dieu seul. [En effet] chaque fois que l'on s'attache à un bien matériel [pour lui-même] on dévie de la voie de Dieu. »

Selon Ibn Abbas - cité par Ibn Hodeil et la plupart des hippiatres arabes - le premier des chevaux de Salomon qui fit souche chez les Arabes leur échut dans les circonstances suivantes : « Des gens d'Al-Azd, habitants d'Oman, étaient venus voir Salomon, fils de David... Ils songèrent ensuite à prendre congé et dirent : « O Prophète de Dieu, notre pays est éloigné et nous manquons de provisions. Fais-nous en donc donner assez pour arriver chez nous. » Salomon leur remit un cheval pris parmi les coursiers de David et leur dit: « Voilà vos provisions ; lorsque vous camperez mettez sur ce cheval un homme que vous armerez d'une lance, cependant que vous rassemblerez du bois et allumerez du feu. Vous n'aurez pas rassemblé votre bois et allumé votre feu que le cavalier ne vous ait déjà apporté quelque gibier. » En effet, ce cheval était si rapide qu'il attrapait tous les gibiers : onagres, gazelles, mouflons. Si bien qu'il rapportait toujours de quoi leur suffire et au-delà. Les gens d'Al-Azd dirent alors : « Aucun nom ne convient mieux à notre cheval que Zad er-Rakib » (Le viatique du cavalier). Et Ibn Hodeil al-Andalusi ajoute: « Ce fut donc le premier cheval, provenant des écuries de Salomon, qui fit souche chez les Arabes ; c'est à lui que remonte l'origine des étalons arabes. »

Ibn Kelbi, dans son ouvrage cité plus haut, rapporte que lorsque la tribu des Banu Taghlib entendit parler de Zad er-Rakib, ses gens vinrent trouver ceux des Azd et leur en demandèrent la saillie pour leurs juments. Parmi les produits se trouva un cheval supérieur à lui et on l'appela : Al-Hujaïs. A leur tour les Banu Bakr ben Wahil procédèrent de la même façon pour avoir des produits d'Al-Hujaïs. Il en naquit un cheval supérieur au père et ils le nommèrent Al-Dinari. Jusque-là, les auteurs s'accordent dans leurs exposés sur la filiation des « Safinat ej-jiyad » [Voir chap. VI, Le vocabulaire du cheval arabe.]. Car nous nous situons jusqu'ici dans une période plus du domaine de la mythologie que de celui de la généalogie.

Arrivé à ce point, les difficultés apparaissent avec le problème des deux Awaj. Ibn Kelbi, poursuivant la lignée de Zad er-Rakib, nous apprend que les Banu Amir demandèrent aux Banu Bakr la saillie d'Al-Dinari pour leur jument Sabal. C'était la meilleure fille de Sawada et de FayadSawada était fille de Kasama qui avait appartenu aux Banu Jaada, ainsi que Fayad. « On affirme, dit-il, que celui-ci était de la souche de la tribu Wabar, descendant de Uman fils de Ludfils de Semfils de Noé. Cette tribu disparut et ses chevaux vécurent à l'état sauvage, jusqu'à ce que les Banu Jaada s'emparent de Fayad. Le produit d'Al-Dinari et de Sabal fut Awaj, qui naquit chez les Banu Amir. A partir de là les auteurs ne s'accordent plus, de sorte que dans la lignée orthodoxe du cheval arabe apparaissent deux awaj : Awaj Akbar (le grand) et Awaj Asghar (le petit). Ibn Kelbi affirme, se référant à Mohariz ben Jaffar qui le tenait de son père et celui-ci de son père, qu'Awaj (Akbar) des Banu Hilal n'est pas le descendant de Zad er-Rakib. « Il est au-dessus de cela, il vient de la souche des Wabar, sa mère, Sabal, ainsi que son père étaient issus de cette souche. » (Plus ancienne que celle de Zad er-Rakib puisqu'elle remonterait à Noé!)... Il ajoute que d'ailleurs son propre père le lui avait confirmé. « Awaj (Akbar) était le seigneur des chevaux connus. Il appartenait au Roi des Kinda. Celui-ci combattit les Banu Suleym et il perdit cet étalon. Il avait appartenu avant aux Banu Hilal et sa mère, Sabal, fille de Fayad, appartenait aux Banu Jaada... Puis les Suleym rendirent Awaj (Akbar) aux Banu Hilal. Utilisé comme étalon, il donna des produits Jiyad (voir chap. VI). C'est à partir de lui et de ses produits que se sont répandus les bons chevaux des Arabes. » Ibn Kelbi, avec l'honnêteté caractéristique d'un généalogiste arabe, signale que d'autres auteurs donnent une autre version selon laquelle Awaj Akbar serait fils de Dinari, fils de Hujaïs, fils de Zad er-Rakib. Ça n'est pas son opinion personnelle. Pour lui le fils de Dinari était Awaj Asghar qui appartint à la tribu des Banu Suleym ben Mensour, puis après à celle des Bahra. Nous retiendrons donc que, dans le nobiliaire des anciens chevaux arabes, il existe deux Awaj et que les opinions sont partagées à leur sujet.

Quoi qu'il en soit les auteurs tombent d'accord pour dire qu'Awaj (chacun l'identifiant à l'Akbar ou à l'Asghar) donna avec une jument des Banu Taghlib des produits de qualité dont le célèbre Dhul'Oqal qui appartint ensuite aux Banu RiyahDhul'Oqal eut un produit tristement célèbre, Dahis, qui fut cause d'une guerre fratricide dans la tribu de Ghatafan, guerre qui dura quarante années ! Ibn Kelbi affirme donc que la plupart des chevaux de race remontent à Awaj, tradition qui se perpétuera en Islam jusqu'à l'émir algérien Abd el-Kader. Après Dahis, Ibn Kelbi poursuit la filiation des chevaux jusqu'à son époque (IXe siècle de notre ère). Il cite en tout cent cinquante-sept chevaux. Parmi eux, citons: Ghorab, Al-Wajih, Lahiq, Al-Mudad, Mekbub, Al-Harun.

Deux vers du poète antéislamique Nabigha Dobiani nous montrent comment les généalogistes arabes ont construit leurs filiations des chevaux. « ...Montés sur des produits d'Al-Wajih et de Lahiq qu'ils excitent à l'aide de fouets... ». Preuve suffisante, d'abord pour accréditer la qualité de ces chevaux comme chefs de lignées, et ensuite pour les situer dans le temps, soit vers la fin du VIe ou au début du VIIe siècle de notre ère.

Voilà donc la généalogie du cheval établie par les spécialistes de la Nation arabe. On remarquera qu'une partie s'enracine dans la mythologie nationale fort respectable, et que la datation que nous avons faite (voir ci-dessous) en nous aidant de la Bible et des travaux de Caussin de Perceval sur les généalogies des Kathanides et des Ismaélites, montre qu'au fur et à mesure que l'on entre dans l'ère historique préislamique la réalité des étalons cités devient certaine. Ainsi Dhul'Oqal a été chanté par Antara ; la guerre de Ghatafan est parfaitement connue ; Al Wajih et Lahiq ont été cités par Nabigha (Ier siècle avant Mahomet).

La généalogie du cheval arabe (Essai de tableau chronologique)
Époque Les chevaux Les hommes Période
Après le déluge Souche des Wabar Uman,
fils de Lud,
fils de Sem,
fils de Noé
Période mythique
Début deuxième millénaire avant J.-C. Souche de l'enclos Ismaël, fils d'Abraham
Début premier millénaire avant J.-C. Chevaux des rois hébreux  Zad er-Rakib David, Salomon
Fin du IIe sièclede notre ère Al-Hujaïs Al-Dinari  Banu
Taghlib
Banu Bakr
Temps du paganisme antéislamique
622 (l'hégire) Fin VIIe siècle
Les deux Awaj
l'Asghar
l'Akbar
Dhul'Oqal
Dahis
Lahiq, etc.,
Al-Wajih,
Al-Harun
Banu Amir
Banu Hilal
Banu Riyah
Ghatafan
Mahomet
les califes omeyyades
Période historique
 
On peut donc tenir pour un fait acquis que les généalogies traditionnelles du cheval arabe ne prennent de réalité historique qu'après le début de notre ère. C'est d'une importance capitale.

Le témoignage de Léon l'Africain

Al-Hasan ben Mohamed al-Wazzan-ez-Zayati, est né à Grenade entre 1489-1495. Il est connu en Europe sous le nom de Jean Léon l'Africain. Après la prise de Grenade par les rois catholiques - en 1492 - qui en expulsèrent les musulmans, la famille d'AI-Hasan se réfugia à Fez avec de nombreux Andalous qui s'y fixèrent. De nos jours encore le quartier des Andalous constitue une partie importante de la capitale religieuse du Maroc.

Al-Hasan devint donc marocain. Grand voyageur, il rassembla de nombreuses notes sur l'Afrique. Capturé par les corsaires chrétiens à Djerba, il fut donné au pape qui le fit baptiser sous ses propres prénoms Jean et Léon. « Ayant appris l'italien, Léon a composé en cette langue un ouvrage de géographie en partant de ses notes rédigées en arabe », nous dit A. Epaulard, traducteur d'une nouvelle édition parue en 1956 de l'ouvrage de J. L. l'Africain, Description de l'Afrique. La première édition date de 1550.

Dans la neuvième partie, intitulée « Des Animaux », on peut lire sous le titre « Le Cheval barbe » : « Ces chevaux sont appelés en Italie barberi et il en est ainsi dans toute l'Europe parce qu'ils viennent de Berberie. Ils sont d'une espèce qui naît dans le pays. Ceux qui croient qu'ils sont d'une race spéciale se trompent parce que les chevaux communs en Berberie sont comme ceux d'ailleurs. Mais tant en Syrie qu'en Egypte, en Arabie déserte et heureuse qu'en Asie ceux qui sont particulièrement agiles et rapides sont appelés en arabe : des chevaux arabes. Les historiens considèrent que cette espèce provient des chevaux sauvages qui erraient dans les déserts d'Arabie et que les Arabes se sont mis à domestiquer depuis le temps d'Ismaël, si bien que le nombre de ces animaux s'est accru et qu'ils se sont répandus dans toute l'Afrique. Je tiens une telle opinion pour fondée parce que, à l'époque actuelle, on voit encore quelques-uns de ces chevaux sauvages dans les déserts d'Arabie et dans certains déserts de l'Afrique. J'ai vu moi-même dans le désert de Numidie, lors du second voyage que j'y ai fait, un poulain d'un an et demi qui était blanc et avait la crinière dressée, avec la figure d'une bête sauvage. Il n'était pas à deux jets de pierre de moi. La principale épreuve de vitesse pour ces chevaux est une course après un animal nommé Al-Lamth (l'antilope oryx) ou après une autruche. Quand un cheval arrive à rejoindre l'un de ces deux animaux il est estimé à une valeur de mille ducats ou de cent chameaux. On trouve peu de chevaux arabes en Berberie. Mais les Arabes du désert et les populations de Libye en élèvent beaucoup dont ils ne se servent ni pour voyager, ni pour combattre, mais seulement pour chasser. Ils ne leur donnent rien d'autre que du lait de chamelle deux fois par jour et la nuit. Ils les maintiennent ainsi ardents et légers, quoique plutôt maigres. A la saison des pâturages, ils leur laissent manger de l'herbe, mais alors ils ne les montent pas. »

Ce témoignage, l'un des premiers, sinon le premier, écrit en une langue européenne sur ce sujet, est intéressant à plus d'un titre. D'abord, et c'est pour cela que nous le citons dans ce chapitre, il confirme d'une façon globale la généalogie du cheval de course (agile et rapide) apparu au Proche et au Moyen-Orient, et connu dans le monde occidental seulement depuis l'Islam. Ensuite, il nous fait connaître le véritable nom de ce cheval : Arabe. On le verra plus loin, c'est cela son nom unique, recouvrant toutes les variétés qui seront inventoriées à partir de la fin du XVIIIe siècle. Par ailleurs, il définit, dès le XVIe siècle, l'aire d'élevage de ce cheval selon la conception des Arabes, rejetant ainsi et d'avance les querelles des auteurs européens contemporains. Cette aire comprend la Syrie, l'Egypte, l'Arabie péninsulaire et même l'Asie (entendons l'Asie occidentale bien sûr). Enfin, s'il note qu'il y a peu de chevaux arabes en Berberie, c'est-à-dire en Afrique du Nord du Sahara, par contre il signale, et c'est très important, que « les Arabes du désert et les populations de Libye en élèvent beaucoup ». Or, si l'on regarde une carte d'Afrique du XVIe siècle, on remarque que la Libye désigne tout le désert de l'Atlantique au Nil. Elle comprend en particulier le Sahara algérien. La région précisément où le général Daumas et l'émir Abd et-Kader les étudieront au milieu du XIXe siècle. Ils y trouveront en particulier la descendance d'Awaj. Nous y reviendrons.

La Légende des cinq juments

On ne saurait traiter de la filiation du cheval arabe sans rapporter la légende des « Khamsa », bien qu'elle n'ait aucun fondement historique, qu'elle n'apparaît nulle part dans les écrits des maîtres arabes de la grande époque, étant d'origine populaire et largement postérieure à l'Islam. Mais elle a pris une telle importance dans la littérature moderne européenne sur le sujet que nous étudions, que nous ne pouvons pas l'ignorer. Car elle est devenue la base de la catégorisation du cheval arabe à notre époque. Catégorisation de la race arabe en différentes familles ou lignées pour les uns, variétés pour les autres.

On trouvera au chapitre VI (le vocabulaire du cheval arabe au regard de la philologie) une version de cette légende que nous avons empruntée à Mohamed Pácha dans son livre imprimé en 1907, Nokbat iqd al ajiyad fi safinat ajjiyad. Il en existe d'autres, dont nous retiendrons celle, fort répandue en Occident, des Cinq juments du Prophète. Mahomet, le Prophète de Dieu, avait dressé son camp sur les bords d'une rivière. Il avait avec lui des juments et pendant plusieurs jours, il ne leur donna rien à boire. Elles souffrirent beaucoup de la soif. Lorsque enfin, il les lâcha, elles se précipitèrent vers la rivière. C'est alors que le Prophète fit sonner le ralliement par ses trompettes. Du troupeau qui galopait vers le fleuve, cinq juments se détachèrent. Cinq juments qui revinrent vers leur maître, renonçant à boire, mais gardant l'oeil brillant et hennissant gaiement. Le Prophète leur donna sa bénédiction, et depuis on les appelle : Al Khamsa ar Rasul Allah, « Les cinq du Prophète de Dieu ». On dit que c'est à elles que remontent les plus nobles lignées d'Arabie. Leurs noms étaient: Obeya, Saklawiya, Koheila, Hamdaniya et Habdah.

Dans son livre Voyages en Arabie, paru en 1835, l'explorateur suisse Burckhardt écrivait : « Les Bédouins comptent cinq races nobles de chevaux, descendues suivant eux, des cinq juments de prédilection de leur prophète. C'était: Taneïssé, Manekié, Koheilé, Saklawiyié et Djulfé. Ces cinq races principales se subdivisent en une infinité de ramifications. » Nous sommes donc en présence d'une tradition populaire postislamique, soit profane comme celle rapportée par Mohamed Pacha (chapitre VI), soit à substrat religieux comme celle que nous venons de citer. On peut d'ailleurs penser que cette version vient de la première, ayant reçu cette coloration religieuse à l'époque de ferveur islamique des premiers siècles après la conversion. Si les Bédouins ne se sont pas convertis facilement et s'il fallut toute l'autorité du calife Omar pour placer toute la Nation arabe sous le signe du croissant, par la suite, au contraire, la vie tribale fut imprégnée totalement par les concepts islamiques, et toute la mythologie des Arabes errants fut repensée. Mais elle ne manqua pas de se perpétuer en s'intégrant à l'Islam. Comme l'écrit L. Mercier, le traducteur d'Ibn Hodeil : « Ce qui frappe le plus dans cette traduction [Traduction de la version profane de Mohamed Pacha], c'est le rôle considérable qu'y joue le chiffre cinq. » Cinq juments et, on le verra au chapitre VI, cinq hommes, cinq courses... Les Européens hériteront de cette tradition orientale qui, notons-le, n'apparaît pas dans les écrits de l'émir Abd el-Kader. De nos jours la division de la race arabe en cinq familles est universellement admise. Cela complique singulièrement la question car l'accord ne s'est pas fait sur leurs noms.

Le spécialiste bien connu du cheval arabe, Carl R. Raswan, qui a consacré sa vie à la recherche de sa généalogie, a tenté d'en faire le tableau dans son ouvrage Der Araber und sein Pferd, paru à Stuttgart en 1930. Partant de la souche mythique et folklorique du Kohelan Ajuz (dont nous parlerons plus loin), il fit l'inventaire des familles réputées en descendre et en trouva cent vingt-quatre. A partir de ces familles, il aboutit dans un premier étage chronologique aux cinq juments du Prophète: « Al Khamsa » : Obayan, Saklawi, Kohelan, Hamdani et Habdan. Les associant ensuite avec d'autres lignées qu'il a inventoriées chez les Bédouins du Proche-Orient, il aboutit à un deuxième étage de l'arbre généalogique où il les réunit en cinq nouvelles famillesChuweiman, Dahman, Muniki, Abu Arqub et Jilfa

[Carte : Tableau des migration de l'Equus caballus avant l'ère historique]

Il les appelle Al Khamsa al Dinari, les cinq de Dinari !... dont on sait qu'il a réellement existé et fut père de l'un des Awaj auquel tous les généalogistes arabes font remonter leurs chevaux nobles. Tout cela est admirable et a demandé un travail d'enquête considérable parmi les tribus bédouines, ainsi qu'une gymnastique intellectuelle remarquable pour arriver à faire « coller » les dires des paysans éleveurs aux écrits des maîtres arabes que Raswan connaît bien. Or, dans son dernier ouvrage paru en 1967, Les chevaux arabes, cet auteur, très sérieux au demeurant, semble avoir abandonné l'idée d'une généalogie continue « du cheval sauvage d'Arabie » (?) aux familles actuellement recensées ! Il se contente de nous faire part de sa « conviction intime ». Cette attitude nous semble plus honnête et chacun doit en faire de même.

Il ne faut cependant pas perdre de vue que ces traditions populaires ne résistent pas à la critique historique. Aucun auteur arabe de la période classique n'en a fait mention. Elles ont toutes la même origine : à savoir la tradition orale des Bédouins analphabètes nomades du Proche-Orient, où Niebuhr et Burckhardt les ont recueillies à la fin du XVIIIe siècle.




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