Denis Bogros
(1927-2005)
Les
chevaux des Arabes
(1978)
Prologue
Partant à la recherche des origines du cheval arabe, c'est à une véritable expédition intellectuelle que j'invite le lecteur. Il est donc nécessaire et loyal de le prévenir des conditions dans lesquelles je poursuivrai cette entreprise. Tout d'abord qu'il sache bien qu'il doit abandonner tout espoir d'une démonstration cartésienne, et qu'il accepte le mode de raisonnement propre aux Ulama arabes (les savants, les érudits). Il consiste à citer tout ce que l'on sait sur le sujet, en donnant les références des auteurs qui en ont traité, à donner ensuite son opinion personnelle, et à laisser enfin au lecteur la responsabilité de sa propre conclusion... « car en vérité, Dieu seul sait ! ». Cette démarche de l'esprit dans la recherche historique m'a paru sinon très scientifique, du moins plus objective, et en tout cas plus honnête que celle que l'on pratique habituellement en Occident sur le sujet, à savoir, une généralisation définitive à partir d'une analyse sommaire des sources arabes. Il s'ensuit, qu'avec une telle méthode, le lecteur occidental devra faire un effort important pour s'identifier à la pensée des Arabes. C'est à ce prix qu'il aura quelque chance, à la fin de ce livre, d'avoir une idée précise du plus parfait des chevaux. On m'a fait remarquer que certains lecteurs n'auront pas le temps, ou n'auront pas le goût, de pratiquer cet exercice intellectuel. Pour ceux-là, j'ai accepté d'intercaler dans mon développement des plans et des cartes qui schématiseront les étapes de notre recherche. Ces prémisses étant clairement comprises, le sujet que je me propose de traiter peut s'énoncer ainsi. A partir d'une prise de conscience par nos aïeux de la spécificité du cheval oriental - qui se situe vers les XVIe et XVIIe siècles - et dont nous avons hérité des idées entachées d'erreurs, il s'agit de comprendre le point de vue des Arabes eux-mêmes sur leur cheval et, pour ce faire, de pénétrer leur mode de pensée. Sans plus attendre, j'invite le lecteur à plonger au coeur de la tradition arabo-musulmane qui s'exprime globalement dans ce célèbre hadith (1) du Prophète de l'Islam, rapporté - après beaucoup d'autres - par l'un des auteurs hippiques les plus sérieux : Ali Ben Aberrahman ben Hodeil el Andalusi (2), qui vivait à la cour de l'émir de Grenade au XIVe siècle : « Ali-que Dieu agrée ! - attribue au Prophète béni de Dieu, les paroles suivantes : « Lorsque Dieu a voulu créer les chevaux, il a dit au vent du Sud : je vais créer de toi une créature en qui je placerai la puissance de mes amis, l'avilissement de mes ennemis, le rempart des gens qui m'obéissent. - Crée ! » dit le vent. Dieu prit alors de ce vent une poignée et créa un cheval auquel il dit : « Je te nomme et te crée Arab, Je lie le bien aux crins de ton toupet ; Le butin sera pris grâce à ton dos. La puissance est avec toi où que tu sois. Je te préfère à toutes bêtes de somme, dont je te fais le Seigneur. Je te rends sympathique à ton maître. Je te fais capable de voler sans ailes ; Tu es destiné à la poursuite et à la fuite. J'imposerai à ton dos des hommes qui me glorifieront, Et proclameront ma grandeur et mon unité. Et lorsqu'ils me glorifieront tu me glorifieras aussi ; Et lorsqu'ils proclameront ma grandeur, tu la proclameras aussi; Et lorsqu'ils attesteront mon unité, tu l'attesteras aussi ». Ce texte, d'une extraordinaire densité, contient toute la pensée arabe sur le cheval, pensée que nous allons essayer de comprendre. Mais, avant d'aller plus loin, il convient de savoir comment nos aïeux ont rencontré ce cheval venu d'Orient et comment leurs successeurs l'ont adopté et intégré à notre civilisation. |