Denis Bogros
(1927-2005)
Les
chevaux des Arabes
(1978)
Chapitre
3
Regard sur
l'histoire de la Nation arabe.
A la recherche de l'origine du cheval dans la péninsule arabique Noé était
un homme juste, intègre
au milieu des hommes de sa génération. Il marchait avec Dieu. Noé eut trois fils : Sem, Cham et Japhet. PENTATEUQUE, Genèse VI, IX Le peuplement du Proche-Orient. Les Sémites « Et au septième mois, le dix-septième jour du mois, l'Arche s'arrêta sur la montagne d'Ararat (en Arménie). Les eaux diminuèrent peu à peu... Alors Dieu parla à Noé : « Sors de l'arche, lui dit-il, avec ta femme, tes fils et les femmes de tes fils et les animaux de toutes espèces, qui sont avec toi... afin qu'ils se répandent sur la terre, qu'ils soient féconds et qu'ils se multiplient. » (Genèse, VIII, IV et XV). Les trois fils de Noé étaient Sem, Cham et Japhet. Ce dernier est considéré comme l'ancêtre des peuples indo-européens. Les fils de Cham furent Mesraim, ancétre des Philistins ; Kanaan, ancêtre des Kanaanites et des Phéniciens. Et enfin Kouch d'où sortirent : les Sabéens de l'antique royaume de Saba qui émigrèrent plus tard en Abyssinie (Sabéens kouchites) ; les Dadanites qui nomadiseront longtemps dans les steppes du Proche-Orient (Isaïe XXI, XIII « Oracle des Steppes »), considérés parfois comme descendants d'Abraham et de Cétura ; et les fils de Nemrod « qui fut le premier homme puissant de la terre » (Genèse X, VIII) et « qui établit d'abord son empire à Babylone » (Genèse X, X) où ils rencontrèrent et se mélangèrent aux Touraniens (descendants de Japhet). C'était, dit-on, au troisième millénaire avant notre ère. Maspéro, dans son Histoire ancienne, nous apprend que, « placées l'une à côté de l'autre et comme enchevêtrées l'une dans l'autre, les tribus touraniennes et kouchites ne tardèrent pas à s'allier et à se confondre ». De cette union sortirent des populations mixtes qui peuplèrent le plateau d'Iran et le grand désert de Syrie. Ce furent les premiers Babyloniens. Quant aux fils de Sem, ils s'étaient établis dans la péninsule arabique. « Le pays qu'ils habitaient s'étendait depuis Messa jusqu'à Séphar, la montagne de l'Orient ». (Genèse X, XXX). Le problème de l'identification de Messa n'est pas encore résolu de façon certaine. D'après Glazer, ce serait Maciya près du mont Shammar en Arabie centrale. Pour d'autres ce serait Mesène (ou Maïsàn en syriaque) à l'embouchure commune du Tigre et de l'Euphrate dans l'Irak des Arabes. Quant au lieu-dit Séphar, montagne de l'Orient, il a été identifié avec les chaînes de montagnes qui bordent la péninsule au sud et à l'est. Il existe en effet deux Zafar en Arabie du Sud. L'une fut la capitale des Himyarites près de Sanaa, au Yémen, l'autre est une ville de la côte sud-est qu'Ibn Batutah, le grand voyageur marocain, appelle la plus lointaine du Yémen. Les fils de Sem s'appelaient Elam, Assur, Aram, Lud et Arphaxad. Les tribus issues des trois premiers émigrèrent, tour à tour, vers le Croissant fertile (13), selon un processus que nous retrouverons constamment au cours de l'histoire de cette région du monde. Elles s'y mélangèrent aux ethnies tourano-kouchites, et l'on reconnaît leurs ancêtres agnats dans les noms que l'histoire nous a transmis : Elamites, Assyriens, Araméens. C'était dit-on au deuxième millénaire avant notre ère. Au sens strict du terme, ce fut la première migration (14) des Sémites hors de la péninsule. C'étaient les Sémites non arabes. A leur tour, dans les siècles à venir, les Arabes devaient prendre plusieurs fois le même itinéraire de migration. Quoi qu'il en soit, nous devons retenir que dès cette époque lointaine, la péninsule entre mer Rouge et golfe Persique était déjà une zone d'émigration vers les pays de l'Oronte, de l'Euphrate et du Tigre. D'Arphaxad, fils de Sem, par Salé, par Heber (Hébreux), par Phaleg, par Réu, par Sarug, par Nachor naquit Tharé qui engendra Abraham. Celui-ci eut trois femmes : Cétura, qui lui donna entre autres fils : Madian... Agar qui lui donna Ismaël... et Saraï, l'épouse légitime, qui lui donna Isaac. Celui-ci engendra Esau et Jacob (Israël). De ce dernier est issu le peuple des Hébreux. Selon l'historien américain P. K. Hitti, ce peuple hébreu émigra en Palestine, à travers la Syrie entre 1500 et 1200 av. J.-C. Ce fut la seconde émigration, bien définie dans le temps et l'histoire, d'un peuple sémite vers le Croissant fertile. Le dernier peuple sémite dont nous n'avons pas encore parlé est le peuple arabe. A la suite de l'historien maghrebin Ibn Khaldun, on les a longtemps divisés en différentes catégories qui de nos jours n'ont plus de raisons d'être. Les Ariba : ou Arabes des souches les plus anciennes aujourd'hui disparues : les Mutéariba, fixés dans l'Arabie heureuse et qui étaient issus de Yectan [Le Yectan de la Bible n'est autre que la Kahtan des généalogistes arabes], autrement dit les Yectanides ou Kahtanides. Ils comprenaient au début de notre ère les Himyarites et les Kahalanides. Enfin les Must'ariba, fixés dans le Hedjaz, le Nedjd, la Palestine, la Transjordanie, la Damascaine et le désert de Syrie. C'étaient les descendants d'Ismaël par Cédar et Adnan. Au cours de l'histoire de la Nation arabe, les Ismaélites absorberont les Yectanides. De sorte que, à notre époque, bien que des oppositions ancestrales trouvent encore leurs explications dans des différences d'origines, le peuple arabe se reconnaît dans la seule descendance d'Ismaël. Les peuplades arabes disparues étaient les suivantes : les Adites ou peuple d'Ad que l'on ne retrouve pas dans la Genèse !! Les Amalika, descendants d'un fils de Lud fils de Sem, et chez lesquels Ismaël prit femme une première fois. Les Tasm et Djadis, descendants de Gather fils d'Aram fils de Sem. Les Hadhoura issus de Yectan, fils d'Heber, arrière-petit-fils de Sem. Les Djorhom issus d'Elmodad fils de Yectan et chez lesquels Ismaël prit femme une seconde fois. Les Thamoudites ou Thamoudéens issus d'Aram fils de Sem, auxquels il faut ajouter les Madianites, souvent cités dans la Bible, issus d'Abraham et de Cétura, ainsi que les descendants de Nabayoth, dont parle l'ancien testament, fils d'Ismaël fils d'Abraham et Agar. C'est donc la descendance d'Arphaxad fils de Sem qui devait prendre la plus grande place au plan historique. C'est à elle, nous l'avons vu, qu'appartient le peuple des Hébreux qui avant tous les autres révéla au monde « l'idée claire d'un Dieu unique ». Mais c'est à elle aussi qu'appartient le peuple des Arabes. Heber fils de Salé fils d'Arphaxad eut deux fils, Phaleg et Yectan, auxquels tous les généalogistes arabes font remonter leur peuple. Avec eux nous entrons de plain-pied dans l'histoire des Arabes. De Yectan, appelé Kahtan par les Arabes, sont issus les Himyarites qui gouverneront le Yémen du VIIe siècle av. J.-C. au VIIe de notre ère, et les Kahalanides dont les descendants gouverneront le royaume de Hira en Irak du IIe au VIIe siècle de notre ère et le royaume de Ghassan en Syrie occidentale du IIIe au VIIe Tandis que d'autres Kahalanides, les Khazradj banu Haritha, fourniront les premiers contingents ralliés au Prophète Mahomet : les Ansar (les défenseurs). De Phaleg descendra Abraham (cf. supra) dont le fils aîné Ismaël, par son second fils Cédar (si souvent cité dans la Bible), engendrera la race d'Adnan et de Maadd. C'est de cette race que font partie : les Koraichites et le Prophète Mahomet, les Suleym et les Hawazin, premières grandes tribus cavalières ralliées à l'Islam, les Banu Bakr et les Banu Taghlib qui émigreront jusqu'au Tigre supérieur et moyen (Diar Bakr et Diar Rabia) où nous les retrouverons élevant des chevaux de race, et enfin les Anazé (15) qui nomadiseront durant des siècles du Yémen à la Mésopotamie en passant par le Nedjd, et qui seront aux temps contemporains, et aux dires des explorateurs, les meilleurs éleveurs du cheval arabe. Ce cheval dont nous recherchons précisément l'origine (après bien des auteurs) et dont on commence à comprendre combien il est attaché à l'homme arabe, à son histoire, et singulièrement à sa généalogie. Raison pour laquelle nous venons d'étudier les origines du peuple arabe, faute de quoi il serait illusoire d'espérer comprendre quelque chose à celles du cheval qu'il a créé ! En effet, et c'est la clef de notre essai, nous allons assister, au cours des siècles à venir, à un véritable transfert de généalogie de l'homme arabe à son nouveau compagnon. Les origines de ce dernier, nous les avons déjà étudiées, dans le chapitre précédent, à travers la tradition écrite des Arabes, et leurs légendes populaires. Maintenant que nous connaissons les peuples de ce que désormais nous appellerons l'Arabie, nous pouvons entreprendre notre enquête sur le plan historique. Les origines des chevaux au Proche-Orient Pour les paléontologues, l'origine de l'espèce Equus caballus, du genre des équidés, du groupe des périssodactyles, de l'ordre des ongulés, de la classe des mammifères, est une question sur laquelle l'accord s'est fait pour l'essentiel. Des restes fossiles de l'Equus ont été trouvés en grand nombre en Amérique, en Asie continentale, en Asie Mineure et en Europe. Par contre, à notre connaissance, il n'en a pas été trouvés au Proche-Orient. De même, si l'on a découvert des ossements appartenant apparemment à un équidé près de Constantine en Algérie, ils n'ont pu être ni datés ni rattachés à une espèce connue, de sorte que l'existence d'un Equus caballus Africanus est des plus contestables et les paléontologues n'ont pas retenu cette hypothèse. L'idée est donc universellement admise de nos jours que les ancêtres du cheval, originaires d'Amérique du Nord, ont émigré au cours de l'ère tertiaire et au début de l'ère quaternaire à travers l'Asie pour aller en Chine, en Anatolie, et en Europe occidentale en passant par la Sibérie centrale. La paléontologie ne nous laisse guère de doute ; au début de la préhistoire, le cheval n'existait pas dans cette partie de la planète qui devait devenir l'aire de peuplement des descendants d'Ismaël et de Kahtan (le Proche-Orient). La question devient donc de savoir quand et comment y fut-il introduit ? L'histoire nous apprend qu'arrivé au terme de l'évolution qui en fit l'Equus Caballus, le cheval domestiqué par les pasteurs nomades des races mongoliques et aryennes, fut importé par eux dès la plus haute antiquité : en Chine, en Inde, au Moyen-Orient (sud de la mer Caspienne), en Asie Mineure, en Europe et en Afrique, au cours des migrations et des conquêtes de ces peuples asiatiques. C'étaient les Protomongols, les Touraniens, les Kassites, les Aryens (Hittites et Mitaniens) et le peuple mystérieux des Hyksos qui conquit l'Égypte au XVIIIe siècle avant notre ère. Ces peuplades, venues d'Asie centrale rencontrèrent en une région privilégiée que l'on a appelée depuis : le Croissant fertile, les tribus issues de Cham et de Sem dont nous venons de parler. Le professeur P. K. Hitti écrit « ... l'amalgame de ces deux races a donné les Babyloniens, qui ont l'honneur, avec les Égyptiens, de nous avoir légué les fondements de notre héritage culturel. » C'est lors de cette rencontre dans les vallées du Tigre et de l'Euphrate que les premiers Sémites connurent le cheval et s'adaptèrent à son usage. Un fait d'une importance considérable apparaît dès ce moment. Deux types de chevaux furent importés en cette région par les pasteurs asiatiques. L'un au profil convexe, aux formes rondes, à la queue portée près du corps ; l'autre au profil rectiligne, au dos large, la croupe sans pente, la queue portée loin du corps. Le premier, appelé mongolique par les hippologues du XIXe siècle, fut importé en Égypte par les rois pasteurs : les Hyksos, et de là se répandit jusqu'au Maghreb. Le second, appelé aryen, aura son aire de prédilection dans les déserts situés au Sud du croissant fertile. Plus tard il devait être appelé arabe. A ses côtés on voit apparaître dès le VIIe siècle av. J.-C., dans les bas-reliefs assyriens des « ... chevaux à chanfrein légèrement excavé et à orbites un peu saillantes. Ancêtres probables du cheval de l'Irak de Dechambre ! » (16). Un autre fait, qui mérite examen, est que les Arabes [Les Arabes : A partir de maintenant, il est entendu que les Arabes sont pour nous les descendants d'Arphaxad, et certains descendants de Lud (cf. supra).] qui étaient alors dans la péninsule arabique où ils élevaient des chameaux, ne connaissaient pas le cheval. C'est ce que nous apprennent: la Bible, les inscriptions cunéiformes assyriennes, et les historiens de l'antiquité gréco-latine. A cet égard, les travaux de Pietrement, Les chevaux dans les temps préhistoriques et historiques (Paris 1883), restent un siècle après leur publication, la meilleure étude faite sur le sujet. Dans la Bible, au livre de la Genèse (chap. XXXVII, verset XXV) au sujet de l'enlèvement de Joseph par ses frères qui le vendirent aux Arabes, nous lisons « Comme ils étaient alors assis pour manger, en levant les yeux, ils aperçurent une caravane d'Ismaélites venant de Galaad. Leurs chameaux étaient chargés de gomme, de baume et de ladanum, qu'ils transportaient en Égypte... Ils le [Joseph] vendirent ; pour vingt pièces d'argent aux Ismaélites, qui l'emmenèrent en Égypte. » Si les patriarches juifs ignorèrent le cheval, et même, dit-on, ont détesté ce noble animal, en revanche les rois hébreux et particulièrement David et Salomon, en adoptèrent l'usage et même, selon la tradition arabe en firent « le bien » (17) par excellence. Au premier « Livre des Rois » (IV, XXVI) on peut lire: « Salomon avait quatre mille stalles pour les chevaux destinés à ses chars et douze mille chevaux de selle. » Et encore : « C'était d'Égypte que venaient les chevaux de Salomon. » (Rois, I, X, 28). C'est à ce grand roi que rendit visite la reine du royaume fabuleux du sud de la péninsule. On lit dans ce même chapitre des rois : « La Reine de Saba entendit parler de Salomon... Elle arriva à Jérusalem avec une suite nombreuse, des chameaux chargés d'aromates et une grande quantité d'or et de pierres précieuses... Elle fit présent au roi de cent vingt talents d'or, d'une grande quantité de parfums et de pierres précieuses. » Elle ne lui fit pas cadeau de chevaux. Et pourtant tout le monde savait que c'était pour Salomon le bien le plus précieux, et tous ceux qui le pouvaient lui en offraient. « Chacun lui apportait son présent : des objets d'argent et d'or... des chevaux et des mulets. Il en était ainsi chaque année. » (Rois, I, X, 25). Ainsi il apparaît clairement que la reine de Saba régnait sur une région où le cheval n'existait pas, en ce temps-là. Bien plus, on peut rattacher à ce voyage la tradition musulmane qui veut que ce soit Salomon qui ait donné aux Arabes, les Azdites, sujets de la reine de Saba, leur premier étalon, Zad er-Rakib. En effet, on lit au même chapitre des rois, verset XIII : « Le roi Salomon donna à la reine de Saba tout ce qu'elle désirait, tout ce qu'elle demanda... » De très nombreux textes de la Bible parlent des Arabes sous les dénominations de Dédanites, Madianites, Ismaélites ou fils de Nabayoth et de Cédar (Genèse, Isaïe, Ézéchiel), partout ils sont décrits comme pâtres et éleveurs de chameaux, jamais ils ne sont mis en scène avec des chevaux. Notons au passage que dans la Genèse (XXV, XII à XVIII), la descendance d'Ismaël est parfaitement identifiée et localisée. « Ses enfants (d'Ismaël) habitèrent depuis Hévila dans la direction de l'Assyrie, jusqu'à Sur, qui se trouve en face de l'Égypte... », c'est-à-dire de Hawileh à l'embouchure de l'Euphrate, jusqu'au désert du Sinaï. C'est très exactement la ligne que les géographes fixeront comme limite à la péninsule arabique. Donc la Bible nous apporte la preuve, a contrario, qu'il n'y avait pas de chevaux en Arabie au moins jusqu'au règne de Salomon (Xe siècle avant notre ère). Les textes cunéiformes assyriens nous rapportent les nombreuses campagnes faites par les souverains assyriens (les Sargonides) contre les tribus arabes. Teglath-Phalasar II (roi de 745 à 727 av. J.-C.) les combattit dans le nord du Hedjaz et alla jusqu'au djebel Shammar. Sennecharib (roi de 705 à 681) fit campagne dans la région méridionale du Bahrein. Asarhaddon (680 à 669) dans le Hedjaz, le Dahna et l'Hadramaout. Assurbanipal V (668 à 626) traversa les déserts de sable (Nefud), passa le djebel Shammar, envahit le Hedjaz en direction de Djeddah et revint en Syrie par l'Arabie Pétrée (18). Tous ces textes font état de butins considérables en chameaux, en boeufs, en moutons, en esclaves hommes, femmes et enfants, que les Sargonides firent en Arabie et rapportèrent à Assur leur capitale. Nulle part, il n'est fait mention des chevaux. Et pourtant on sait que les Assyriens étaient de fins connaisseurs. Ce sont même leurs artistes qui les premiers ont fait connaître le cheval de race. Quant aux auteurs de l'antiquité gréco-latine, ils ne sont pas moins clairs sur le sujet. Hérodote (484-420 av. J.-C.) décrivant la cavalerie de Xerxès Ier se préparant à entrer en campagne contre les Grecs en 480 avant notre ère, nous apprend ceci : « ... Les Caspires, les Paricanes, les Arabes, cavalerie équipée comme l'infanterie sauf que tous ces derniers montaient des chameaux ne le cédant en rien aux chevaux pour la vitesse. » Par ailleurs, décrivant l'Arabie « le dernier pays habité du côté du midi », il cite dans ses produits : les boeufs, les ânes, les chèvres, les boucs et deux espèces de moutons. Pas de chevaux ! Polybe (200-120 av. J.-C.), rapportant l'expédition d'Antiochus Le Grand en Arabie Heureuse (19), vers l'an 200, mentionne des contingents arabes dans son armée, mais ne parle pas des chevaux de ce pays. Tite-Live (69 av. J.-C.-17 ap. J.-C.) nous apprend que l'armée de ce même Antiochus qui fut battue par Scipion à Magnésie en 189 av. J.-C., comptait dans ses rangs des archers arabes montés sur des dromadaires. Strabon enfin (58 av. J.-C.-25 ap. J.-C.), ami intime du préfet d'Égypte Aélius Gallus, qui fit une expédition jusqu'en Arabie Heureuse en l'an 25 av. J.-C., décrit ainsi l'Arabie d'après le témoignage de celui-ci: « L'Arabie Heureuse est habitée par une population exclusivement agricole, la première de cette sorte que nous ayons rencontrée depuis les populations agricoles de la Syrie et de la Judée. Vient ensuite une contrée sablonneuse et stérile... Cette contrée est habitée uniquement par des Arabes et par des pâtres ou éleveurs de chameaux... l'extrémité méridionale du pays en revanche... est largement arrosée... elle fait en outre beaucoup de miel et nourrit une très grande quantité de têtes de bétail, parmi lesquelles il est vrai ne figurent ni chevaux, ni mulets, ni porcs, de même qu'on ne compte ni poules, ni oies... ». Comme l'a écrit le commandant Duhousset (Notice sur les chevaux orientaux, Paris, 1862) à propos de la géographie de Strabon : « ... plusieurs passages prouvent même, que les Arabes n'avaient pas encore de chevaux au Ier siècle de notre ère. » (20) L'importation du cheval dans la péninsule arabique C'est en parcourant l'histoire des Arabes d'Arabie avec les historiens arabes que nous allons tenter de découvrir comment le cheval fut introduit dans cette partie du monde que ses ancêtres n'avaient pu atteindre lors de leurs migrations du tertiaire et du début du quaternaire. Car un fait s'impose immédiatement. Le cheval, animal des steppes herbeuses, n'avait pu, par ses propres moyens, s'implanter dans la péninsule qui n'est et ne fut toujours que plateaux et montagnes désertiques (21), coupés, en quelques régions privilégiées, de vallées profondes où coulent quelques rivières pérennes. Cette implantation n'a pu se faire qu'avec l'homme, car sans lui le cheval ne pourrait vivre en cette région du monde. En ce pays, le cheval ne se reproduira que par la volonté délibérée de l'homme et avec son aide constante. Ce qui implique de la part de son maître un choix esthétique et un amour extraordinaire porté au noble animal considéré comme le prolongement de l'homme, comme l'être par lequel il peut exprimer tout ce que la vie austère du désert refoule en lui, en prix de sa liberté. Ne nous y trompons pas ! Ce choix, cet amour, seront payés chèrement par le Bédouin dans l'économie de subsistance qui est la sienne. Il se privera de tout pour son cheval, et en échange exigera tout de lui. Féru de pureté généalogique pour lui-même, le Bédouin sera le plus exigeant des éleveurs du monde pour les origines de son compagnon. Dans une société où l'infirme ne peut vivre, il exigera de lui toutes les qualités morphologiques et le concevra, comme lui-même, avec des muscles secs et durs. S'exaltant dans les poursuites de la chasse ou les fuites après des raids (razzias) nécessaires à sa subsistance, après les longues heures de repos forcé au campement, il le créera- car il s'agit bien là d'une création - le plus rapide, le plus soumis (dans la « participation ») et le plus généreux des animaux ! Nous touchons à la réponse au mystère historique que représente l'apparition en cette région du monde du coursier le plus parfait. Il fut le produit d'une civilisation originale : la civilisation du désert. Dominée durant des siècles par les Sabéens Kouchites (22) et les Adites, la descendance de Kahtan (le Yectan de la Bible) les chassèrent du Yémen sous la direction de Yarob, au VIIe siècle avant notre ère. Yarob conquit tout l'Oman, l'Hadramaout et une partie du Hedjaz, et installa sa descendance en cette région, appelée Arabie Heureuse par Ptolémée. Elle devait y dominer plus d'un millénaire. Ce furent les Arabes sabéens par opposition aux Arabes ismaélites. Abdchams Saba al Akbar, petit-fils de Yarob, engendra Himyar et Kahlan. Du premier sortit le peuple des Himyarites connus des écrivains grecs et latins sous le nom d'Homérites. La dynastie des Tobbas himyarites régna dans le Yémen jusqu'à la conquête des Abyssins en 525 de notre ère. Ce peuple eut sa langue propre, différente de l'arabe. Il était en majorité sédentaire. Du second au contraire sont issues de nombreuses tribus bédouines nomades qui devaient au cours des siècles se répandre jusqu'au Croissant fertile, et se mélanger puis se confondre avec les tribus issues d'Ismaël, sécrétant une langue particulière : l'arabe. Histoire de la descendance de Kahtan. Les Himyarites Le vingt-quatrième descendant de Yarob (au IIe siècle av. J.-C.) Harith-er-Raich fut le premier Tobba (roi) du Yémen. Son petit-fils, Africous fils d'Abraha, aurait fait une expédition fabuleuse en Afrique jusqu'au Maghreb, le peuplant de deux tribus arabes himyarites : les Sanhadja et les Ketama (selon Ibn Khaldun), au premier siècle de notre ère. L'émir Abd el-Kader rapporte cette expédition comme origine de l'arabisation du Maghreb. Dhou-Ladhar lui succéda et régnait lors de l'expédition d'Aélius Gallus (28 av. J.-C.). Au début de notre ère régnait la fameuse reine Belkis, ou Yalcama ou Belcama que certains chroniqueurs arabes ont confondue avec la reine de Saba qui visita Salomon un millénaire auparavant. Son successeur fut l'un des plus célèbres Tobbas : Chammir-Yerah. Il aurait porté victorieusement ses armes en Irak, en Perse et jusqu'en Sogdiane où il aurait détruit la capitale appelée depuis Samarcand, c'est-à-dire Chammir-Cand (détruite par Chammir). Il mourut lors de cette expédition. On peut envisager l'importation des chevaux dans la péninsule au retour de cette expédition, conduite alors par son fils. De même on peut l'envisager au retour des restes de l'expédition d'Africous au Maghreb!... Le petit-fils de Chammir, Zaid el Acran, fut détrôné par un usurpateur bédouin de la descendance de Kahlan : Omran ibn Amir ma Essema, dit Mozay-Kiya, de la tribu des Banu Azd. C'est au cours de ce règne que la digue de Ma'rib (23) se rompit, apportant la désolation au Yémen. Mozay-Kiya et plusieurs tribus azdites émigrèrent vers le nord. Les unes vers La Mecque et Médine (24), d'autres vers Damas, et les derniers vers l'Irak (25). Ce fut la troisième grande émigration sémite vers le nord et la première arabe au sens propre. Elle sera suivie de beaucoup d'autres. A ce sujet une tradition arabe rapporte que Mozay-Kiya aurait conseillé à ceux des Azdites qui aimaient les chevaux de se rendre en Irak. Cela tendrait à prouver que les Azdites avaient déjà, pour quelques-uns, le goût des chevaux qui auraient donc existé alors dans le sud de l'Arabie. Mais depuis peu, puisque la rupture de la digue « Seyl al Arim » a pu être datée entre 120 et 220 de notre ère et que cent cinquante ans auparavant Aélius Gallus n'avait pas trouvé trace de cheval en ce pays. Cela prouverait aussi que les peuples nomades de l'Arabie connaissaient l'Irak et le considéraient comme partie intégrante de leurs territoires de nomadisation. En vérité, notons-le une fois pour toutes, les Arabes d'Arabie n'ont jamais limité celle-ci à la péninsule (Djeziret al Arab : l'île des Arabes) comme les géographes, mais ils l'ont toujours comprise comme s'étendant jusques et y compris le Croissant fertile. Il n'existe entre les deux aucune frontière, sauf dans l'esprit des Européens. Quoi qu'il en soit, s'il y avait des chevaux au Yémen au début du IIe siècle, d'où pouvaient-ils tirer leur origine ? Du nord ? de l'Irak, peut-être ? Mais sans doute pour un petit nombre car les armées himyarites ou les caravanes de Kahalanides ne rapportaient certainement pas des produits posant des problèmes difficiles pour la traversée des déserts. C'est évident. En revanche, on l'aura compris, les relations avec les côtes africaines de la mer Rouge et du détroit de Bab el-Mandeb étaient faciles et furent, sans doute, constantes. Par cette voie, des chevaux du Dongola, de Nubie et d'Égypte durent être introduits dès cette époque au Yémen. En nombre limité certainement, car la société himyarite, voire kahalanide, n'en avait ni l'emploi ni le goût, sauf pour une minorité d'Azdites. Or, nous l'avons vu au chapitre précédent, la tradition arabe donne aux Azdites le premier étalon de race « Zad er-Rakib ». N'oublions pas en outre que les auteurs gréco-latins nous ont décrit l'Arabie Heureuse comme une région de commerce intense, maritime et caravanier, entre l'Asie et le bassin méditerranéen. Les Yéménites eurent des comptoirs jusque sur le limes romain, et des relations avec les pays asiatiques par l'océan Indien. Dès lors on peut aussi admettre l'importation par la voie maritime de quelques sujets de la race chevaline en ce pays, en provenance de Perse ou des Indes. Le trente-neuvième descendant de Yarob, Abou Carib, qui régna de 200 à 236 de notre ère « envahit la Chaldée. Ses troupes, arrivées près de l'emplacement de Hira, s'y arrêtèrent. Des Arabes d'Azd, de Codhaa et autres tribus, étaient depuis quelque temps fixés en cet endroit... après avoir pénétré dans l'Azerbaïdjan et ravagé le pays des Turcs, il revint dans le Yémen. » On se plaît à penser qu'à cette occasion quelques chevaux niséens et mésopotamiens furent ramenés au Yémen. Notons aussi qu'Abou Carib était contemporain d'Ardchir, fondateur de la puissance des Sassanides, qui furent de bons cavaliers dont la réputation a traversé les siècles. C'est sous le règne d'Abou Carib que se produisit une nouvelle émigration des Arabes Kahalanides vers le Croissant fertile. Il s'agit de la tribu des Rabia ibn Nacer des Banu-Lakhm. Ils émigrèrent en Irak et se mélangèrent aux Azdites, fondateurs du royaume de Hira (205). Sous le règne de son fils Hasan Tobba (236-250) nous relevons une troisième émigration des Arabes Kahalanides. C'étaient les Banu Tay, issus de Kahlan par Odab. Ils s'installèrent près des montagnes d'Adja et de Selma, dans la région septentrionale du Nedjd. Ils en chassèrent les Banu Asad, tribu ismaélite, d'où sont issus les Anazé qui n'étaient pas encore parvenus à la puissance. Quand on sait que la tribu des Shammar, localisée au XIXe siècle dans cette région, n'est qu'un clan issu des Banu Tay, on comprend mieux la haine qui les opposa si longtemps aux Anazé. Antagonisme qui plonge ses racines dans l'histoire millénaire des tribus. A Hassan Tobba succéda le roi infirme Amr Dhou l'Awad (Amr au brancard), puis après quatre rois peu connus, Abd et-Kelal (275-297) qui se serait converti au christianisme. Par contre, son successeur Hasan Tobba ibn Hasan (297-320) se convertit au judaïsme. Il établit son protectorat sur le sud du Hedjaz dont les habitants, les Banu Rabia, ismaélites (par Maadd et Adnan) émigrèrent vers le nord. Nous les retrouverons plus de deux siècles plus tard à Mossul (appelé précisément Diar Rabia) et presque en Arménie, à Diar Bakr, le pays des Banu Bakr descendants de Rabia, par Wail (cette ville existe encore en Turquie orientale). Nouvelle émigration... et surtout nouvelles limites de la Nation arabe. Celles qui seront imposées par le grand calife Omar, le rassembleur des Arabes. Sous le règne du Tobba Marthad, fils d'Abd el-Kelal (330-350), monarque sage et puissant, on rapporte que l'empereur Constance lui envoya, vers 343, une ambassade à la tête de laquelle était le moine évêque indien Théophile. Constance recherchait l'alliance des Himyarites contre les Perses, et leur conversion au christianisme. « Les Députés offrirent au souverain arabe de riches présents, parmi lesquels deux cents chevaux choisis en Cappadoce... » Fait important à noter. Une période troublée succéda au règne de Marthad. Il n'est pas exclu qu'une partie au moins du Yémen (qui comprenait alors toute la moitié sud de la péninsule) ait été conquise par les Abyssins. En effet, dans son Histoire du Bas-Empire, l'historien Lebeau nous apprend que, d'après une inscription grecque du milieu du IVe siècle découverte dans les ruines d'Axoum, le souverain axoumite Aeizamas joignait à ses titres, celui de roi des Himyarites. Preuve nouvelle des relations qui existaient entre les deux rives de la mer Rouge. A la fin de ce siècle régnait le dernier Tobba, Dhou Nowas, (490-525). Converti au Judaïsme, il fit massacrer la communauté chrétienne de Nedjran. Selon les écrivains grecs et syriens, lorsque l'empereur byzantin Justin Ier apprit ce massacre, il écrivit au patriarche d'Alexandrie, l'invitant à presser le roi des Axoumites ou Abyssins à courir au secours des chrétiens d'Arabie. Les historiens arabes nous donnent une version identique. Nous savons ainsi que l'empereur mit à la disposition des Axoumites une flotte de 600 navires, auxquels il faut ajouter 700 bâtiments légers que le roi d'Axoum fit construire. C'est une armée de 70 000 Abyssins pour les uns, 120 000 pour les autres, commandée par Aryat et par Abraha dit l'Achram (le balafré), avec des éléphants et des chevaux, qui débarqua au Yémen. La bataille avec les Himyarites et les tribus du Yémen eut lieu sur le rivage. Les Abyssins l'emportèrent. « Dhou Nowas, désespéré, poussa son cheval dans la mer et s'y noya. » (D'après Sirat-er-Rasul et Ibn Khaldun.) C'était en 525. Les vice-rois abyssins régnèrent cinquante ans sur le Yémen. En 575, un corps expéditionnaire persan défait le vice-roi Masrouk et installe un prince himyarite – Madicarib - qui reconnaît la suzeraineté du Kesra perse Anouchir Wan. Des députations de l'Arabie entière vinrent féliciter le roi Madicarib, dont l'une conduite par Abd el-Mottalib, aïeul de Mahomet, représentant des Koraichites de la descendance d'Ismaël. La conscience d'appartenir à une même nation avait pris naissance chez les Arabes de la descendance de Kahtan et de celle d'Ismaël ! L'Islam allait parfaire l'unité spirituelle naissante. En 597, après un retour offensif des Abyssins, le roi de Perse Kesra Parwiz envoya une nouvelle expédition qui reprit le pays et fit un massacre des Abyssins. Le Yémen - l'Hadramaout - le Mahra et l'Oman devinrent des provinces de l'Empire perse. En 640, le dernier vice-roi perse se convertissait à l'Islam. Telle fut, brossée à grands traits, l'histoire de l'Arabie Heureuse depuis sa conquête par Yarob jusqu'à l'Islam. Nous avons pu à cette occasion relever des faits intéressant directement le sujet que nous traitons : au début de notre ère le cheval n'existait pas dans la moitié sud de la péninsule. Il a pu y être introduit à de nombreuses occasions, soit en provenance du Nord : Irak et Perse, soit de l'Afrique. Il y fut importé de façon certaine au IVe siècle à partir de l'Asie Mineure, et au VIe à partir de l'Abyssinie. Mais il est à peu près certain que son usage ne s'en répandit que fort peu, et que son élevage eut peu d'extension en cette région. Les Kahalanides Nous avons déjà parlé, incidemment, de la deuxième branche des Arabes kahtanides, celle des Bédouins nomades issus comme les Himyarites d'Abdchams Saba al Akbar. Essayons de les connaître davantage. De Kahlan (ou Kahalan), deuxième fils d'Abdchams, par Zaid, partent deux branches distinctes, celle d'Azd et celle d'Odab. Les Banu Azd, nous l'avons vu ci-dessus, quittèrent l'Arabie du Sud au début du IIe siècle (catastrophe de Ma'rib). Les descendants de Khazradj (voir tableau généalogique) se fixèrent au Hedjaz. Ils se rallieront les premiers au Prophète de l'Islam après sa fuite à Médine (622). Ils fourniront les premiers contingents des « défenseurs » de l'Islam : les Ansar, nous en reparlerons. Les descendants de Djafna, après avoir transité quelque temps à Ghassan dans le Hedjaz, fonderont dans la région damascaine le royaume ghassanide, vassal de l'Empire byzantin. Il durera jusqu'en 637, date à laquelle les Ghassanides rejoindront la Nation arabe islamisée. Les descendants d'Azd par Nasr, Malik et Djodhayma, qui formaient la fraction ayant, dès le II, siècle, du goût pour les chevaux (ils possédaient peut-être des produits de l'étalon Zad er-Rakib) avaient émigré, on s'en souvient, en Irak. Ils y fondèrent le royaume de Hira. Hira fut leur capitale au sud de Kufa et des ruines de Babylone. Ils y furent rejoints par d'autres descendants de Kahlan, mais de l'autre branche, celle qui sort d'Odab. C'étaient les Banu Lakhm qui absorberont les Djodhayma et régneront sur Hira. Ce royaume, vassal du Kesra de Perse, combattit souvent celui des Ghassanides et s'étendit à certaines époques sur presque tout le désert de Syrie. La dynastie lakhmide régnera jusqu'à la fin du vie siècle. Une autre fraction de la descendance de Kahtan par Odab et Adi est importante pour notre sujet. Ce sont les Banu Kinda, qui nomadiseront longtemps dans le Nedjd et le désert de Syrie. Ils eurent des rois célèbres, tels Hodjr Akil al-Mahar et Amr al-Macsur au Ve siècle. Or c'est à un roi de Kinda qu'appartenait le fameux étalon « Awaj Akbar » père de tous les chevaux arabes selon Ibn Kelbi (voir chap. II). Enfin rappelons que d'autres descendants d'Odab, les Banu Tay émigrèrent dans le Nedjd septentrional au IIe siècle où ils rencontrèrent les Banu Asad, fils de Rabia, fils de Nizar, fils de Maadd, fils d'Adnan, d'où sont issues les grandes tribus nomades des Ismaélites : les Banu Anazé et les Banu Wail (Bakr et Taghlib). De ces émigrations, de ces confrontations, et de cette cohabitation avec les Ismaélites naîtra la Nation arabe. Ces derniers assimileront finalement tous les Arabes venus du sud. Nous étudierons leur histoire plus loin, histoire qui se confond avec celle des Arabes au début de l'Islam. Pour l'instant nous allons établir l'arbre généalogique des Kahalanides. Puis nous nous arrêterons quelque peu à l'étude de deux peuplades arabes particulières, les Thamoudéens et les Safaïtes, dont l'histoire intervient directement dans notre recherche du cheval en Arabie. [Tableau généalogique simplifié des Himyarites et des Kahalanides] Les Thamoudéens et les Safaïtes En 1937, Mr. St. John Philby (cité par Lady Wentworth dans The Authentic Arabian Horse) découvrit à l'est-sud-est du djebel Shammar des dessins rupestres de chevaux et de cavaliers chassant la gazelle ; dessins d'une facture très élémentaire. Il les attribua aux Thamoudéens. Thamoudeni rock inscriptions Horses. Il se trouve que nous connaissons bien ces Thamoudéens, par les auteurs grecs et byzantins. C'est une peuplade reconnue formellement comme arabe par les historiens de cette nation, souche ancienne aujourd'hui disparue. En 50 avant notre ère, Diodore de Sicile nous en avait parlé, mais pas encore comme de cavaliers. C'est Caussin de Perceval qui, dans son Essai d'Histoire des Arabes avant l'Islamisme, a élucidé le mystère qui les entoure. Il écrit: « Ces Thamoudéens sont bien les Thamoudites des Arabes. Ils ne sont pas alors décrits comme cavaliers... or on les retrouvera vers le milieu du Ve siècle... Thamoudeni equites... dans la Notice de l'Empire romain » (26). Il y eut à cette époque deux corps d'Arabes cavaliers au service de l'empereur : les Equites saraceni Thamoudeni à la frontière de l'Égypte et les Equites Thamoudeni Illyriciani en Judée (Illyriciani parce que cette unité d'auxiliaires thamoudéens avait fait campagne auparavant dans la province d'Illyrie proche du Danube où elle s'était illustrée!). Ces Thamoudites, ou peuple de Thamoud, étaient originaires du Yémen. Ils habitèrent ensuite la contrée nommée Hidjr située entre le Hedjaz et la Syrie. C'était, à l'origine, une nation troglodyte. Dans le canton de Hidjr, appelé aussi Diar Thamoud (pays des Thamoud), et qui fait partie de la longue vallée appelée Wadi-I-Cora (la vallée des bourgades), on montre encore aujourd'hui les demeures des Thamoudites, taillées dans les montagnes. C'est là que St. John Philby découvrit les dessins rupestres qu'il leur attribua ! Or, après le Ve siècle, on ne rencontrera nulle part trace de ce peuple. « Il est probable, écrit C. de Perceval, qu'au moment où la notice de l'Empire a été rédigée la nation de Thamoud était entière dans le corps des cavaliers thamoudéens, et qu'elle s'éteignit avec lui. » Nous sommes là devant un exemple typique, très bien localisé dans le temps et dans l'espace, du processus de transformation des Arabes en cavaliers, comme auxiliaires de l'Empire romain (c'est-à-dire byzantin ! ). Ces Arabes-là étaient des sédentaires troglodytes. Or, on s'en souvient, nous avions déjà rencontré des Arabes dans la cavalerie des armées de Xerxès et d'Antiochus... mais montés sur des chameaux !... Le processus est donc clair. On notera qu'il s'est développé au début de notre ère ! En 1907, M. René Dussaud a publié une intéressante étude sur Les Arabes en Syrie avant l'Islam. Il y écrit « Au sud de Damas, à l'entrée du désert de Syrie, tout autour de la région volcanique appelée Safâ, on trouve en abondance des textes gravés sur les rochers de basalte: la population qui a tracé ces textes dans les premiers siècles de notre ère était d'origine arabe... » C'étaient des nomades en voie de sédentarisation sur le versant oriental du djebel Hauran. Ces graffiti safaïtiques sont souvent accompagnés de dessins qui les illustrent. « Ils nous offrent un commentaire familier de la vie du désert... Les Safaïtes se sont représentés sous une forme schématique, mais pleine de mouvements. Là, ce sont des cavaliers armés de la longue lance, tels les bédouins de nos jours... tantôt au repos... tantôt à la poursuite d'une gazelle ou d'une antilope. Ici, c'est la chasse au lion qu'attaquent simultanément des hommes à cheval portant la lance et des hommes à pied munis d'arcs et de boucliers [...]. Aujourd'hui encore les tribus qui vivent autour du Safâ portent le nom de « Arab-es-Safâ ». Peut-on dater ces documents ? Oui! Car il se trouve qu'à l'est du djebel Hauran, à Nemara dans le Harra (désert de pierre) se trouve le tombeau d'Imrulkais ben Amir, roi de Hira au début du IV, siècle (voir le tableau de la descendance de Kathan). Et ce tombeau porte une inscription écrite en caractères nabatéens dans laquelle il est appelé « Roi de tous les Arabes ». 1. Ceci est le tombeau d'Imrulkais fils d'Amr, roi de tous les Arabes, celui qui ceignit le diadème ; 2. qui soumit Asad, Nizar et leurs rois, qui dispersa Madhidj jusqu'à ce jour, qui apporta 3. le succès au siège de Nadjran la ville de Shammar, qui soumit Maadd, qui préposa ses fils 4. aux tribus et les délégua auprès des Perses et des Romains. Aucun roi n'a atteint sa gloire jusqu'à ce jour. 5. Il est mort l'an 223, le septième jour de Kesloul, que le bonheur soit sur sa postérité. Cette date décomptée selon le calendrier romain de la province (romaine) d'Arabie donne : le 7 décembre 328 de notre ère. Ce texte est d'une grande importance. Il nous prouve que les Lakhmides (descendants de Kahlan) qui régnaient sur Hira avaient, à cette époque, subjugué les Ghassanides de la province romaine d'Arabie et gouvernaient un Etat tampon entre les Empires perse et byzantin ; Etat qui s'étendait jusqu'au djebel Shammar. Il nous montre que les Lakhmides avaient soumis les tribus des Bédouins ismaélites dont nous parlerons au prochain chapitre, les fils de Maadd, de Nizar et d'Asad, et que ces derniers avaient déjà émigré hors de la péninsule arabique, et nomadisaient dans le désert de Syrie jusqu'en Mésopotamie, dès cette époque, fait à noter ! Il nous permet aussi de dater les dessins safaïtiques qui représentent des chevaux, déjà très typés, montés comme au début du XXe siècle, à la manière des Bédouins. Ainsi il nous apporte la preuve que les Arabes kahalanides et ismaélites avaient adopté le cheval dès les IIIe et IVe siècles, dans cette région de Syrie proche de la Mésopotamie et de l'Irak. R. Dussaud écrit : « ... ces croquis sont suffisants pour montrer que le cheval de race existait dès cette époque... » Enfin l'inscription du tombeau d'Imrulkais ben Amir nous prouve que « la langue safaïtique est un dialecte arabe, voisin de l'arabe du coran ou arabe littéral ». Elle nous apporte donc un des plus anciens témoignages de la langue des Arabes. Il n'est pas étonnant, remarquons-le au passage, que cette inscription ne soit pas faite en écriture arabe, puisque l'on sait que celle-ci ne sera arrivée à maturité qu'au siècle suivant, à La Mecque, en provenance précisément de Hira. D'autres textes safaïtiques ont été trouvés ; ils nous apprennent que la principale occupation des Safaïtes était l'élevage du bétail. Ces textes mentionnent: le chameau... gamal ; le cheval... Khil et faras ; la chèvre... Ma'az. Il est particulièrement intéressant de noter, la preuve est là, que le cheval a été adopté par les Arabes avec un nom : Faras, d'origine persane. Par ailleurs, nous remarquons que le mot Khil était déjà en usage, mot auquel les philologues arabes postislamiques ont donné une origine religieuse. Nous l'avons vu et nous en reparlerons. Avec tous les éléments que nous possédons déjà, nous pouvons donc conclure avec Pietrement et P. K. Hitti que « de Syrie le cheval fut introduit en Arabie après le commencement de notre ère... » ; avec L. Mercier, le professeur anglais Ridgeway et d'autres, qu'il le fut aussi à partir de l'Afrique, par le Yémen, l'Égypte et la Palestine (Salomon) ; et nous ajouterons comme nous le permet de le croire l'histoire de la dynastie himyarite : à partir de l'Asie Mineure voire de la Perse... En tout cas, tout concorde pour prouver avec la plus grande certitude qu'il n'y fut importé qu'après le début de notre ère. Connaissant maintenant les origines des chevaux importés chez les Arabes, qui de peuple de chameliers devinrent un peuple de cavaliers, il nous faut essayer de comprendre comment, à partir de produits de races diverses, s'est créé le cheval pur. Ce sera l'objet du prochain chapitre. [Tableau synoptique du peuplement de l'Asie occidentale selon l'Ancien Testament et la tradition arabe] |