Denis Bogros
(1927-2005)

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Les chevaux des Arabes
(1978)

Chapitre 6
Le vocabulaire du cheval arabe au regard de la philologie


Le sang arabe, c'est de l'acier en fusion. Il ne se mélange pas. Il fond tout.
Il sépare d'avec tout...
JULES ROY,
« Le tonnerre et les anges », 1975.


Comme la grande majorité des hommes de cheval qui se sont intéressés à l'equus caballus arabicus, je ne suis pas lettré dans la langue du Coran. C'est pourquoi, suivant l'exemple de Niebuhr, j'écris les mots arabes en caractères latins, comme ils sonnent à mon oreille. De cette façon, je pense me placer à la portée de mon lecteur. Mais dans ce chapitre capital j'aborde un sujet qui nécessite la connaissance de la langue arabe classique. C'est pourquoi je me suis fait aider et guider par mon ami le Hadj Driss Borki, auquel revient l'essentiel de ce travail. M. Driss Borki est marocain et certains bons esprits pourraient polémiquer sur sa compétence à traiter de textes arabes le plus souvent écrits au Machrek !... Certains « spécialistes » du cheval arabe l'ont bien fait, naguère, au sujet des écrits de l'émir Abd el-Kader !... Que l'on sache bien que cette polémique n'est plus de mise de nos jours - si tant est qu'elle le fut jamais. De nos jours, où le renouveau de la pensée musulmane s'est traduit d'abord - ce qui est fondamental - par une recherche de l'unité par la langue littérale, dans tous les pays composant la Nation arabe. De sorte qu'à notre époque, il est certain qu'un lettré du Maghreb a la même capacité que son coreligionnaire du Machrek pour lire et interpréter les textes anciens.

Le vocabulaire ésotérique du cheval arabe

Depuis que le célèbre explorateur bas-saxon, Niebuhr, qui a visité l'Arabie du Sud et du Nord de 1761 à 1767, a rendu compte de ses découvertes dans son livre Description de l'Arabie, le vocabulaire concernant l'Arabe a prodigieusement augmenté... en Europe. Il est, de nos jours, difficile de s'y reconnaître et de s'en servir pour se comprendre. Il faut véritablement être initié. Au total, ce vocabulaire est très obscur (voir chap. I). Cela vient de la façon dont les Européens ont découvert le cheval arabe à l'époque moderne, et de celle dont ils ont transcrit ce qui le concerne dans leurs langues. Car tous les mots employés viennent de la langue arabe. Or un Arabe lettré et savant doit faire un effort considérable pour retrouver les racines de sa propre langue dans les mots écrits en caractères latins que nous lui proposons. Il y parvient cependant pour une part d'entre eux qui sont de l'arabe classique déformé par la phonétique européenne. Quant au reste, qui provient des langues parlées des différentes régions du Machrek et du Maghreb, il admet son incompétence, avec un sourire qui en dit long sur ce qu'il pense de la naïveté des Occidentaux. Tout le monde peut en faire l'expérience.

Ironie de la situation, les choses étant ce qu'elles sont, à notre époque où ce sont les Européens qui s'intéressent le plus au cheval arabe, les éleveurs de langue arabe doivent à leur tour apprendre ce vocabulaire, prétendument arabe, et lui donner le sens que les Occidentaux lui accordent. Niebuhr avait compris la difficulté et il l'expose avec une grande honnêteté dans sa préface que nous devons connaître et méditer :

« ... Tant que mes compagnons de voyages vécurent (37), il me parut assez inutile de m'embarrasser de questions de philologie, d'histoire naturelle et de médecine ; mais il fallut après leur mort, tâcher d'y répondre... J'ai déjà dit que dans notre voyage j'avais la géographie pour ma part. On croira peut-être que je me suis servi de divers livres géographiques arabes, inconnus en Europe ; mais je dois avouer ingénument que je ne suis pas encore assez maître de la langue Arabe pour lire couramment les livres... Je n'ai donc composé ma description de l'Arabie que sur mes propres observations et sur les lumières que j'ai pu tirer des habitants du pays (sic)... Il paraît que souvent dans un même endroit les gens de lettres arabes et le peuple prononcent diversement les noms de leurs propres villages. C'est pourquoi je n'ai pas écrit ces noms avec des lettres arabes, mais selon qu'ils sonnaient aux oreilles d'un homme né dans la Basse-Saxe... Je n'ai cependant négligé aucune occasion de faire écrire les noms arabes par des gens du pays. Quoique je ne sois pas assuré qu'ils soient tous écrits selon la vraie orthographe, on peut pourtant s'y fier mieux que si j'eusse voulu entreprendre de les écrire avec des caractères arabes. A présent le Danois, l'Anglais, le Français, le Russe, peuvent les écrire d'après leur prononciation s'ils croient que mon orthographe est fautive... Comme la philologie n'est pas mon fort... je n'ai fait que l'écrire telle que je l'ai reçue des juifs, chrétiens ou mahométans orientaux. »

Cette profession de foi de l'homme qui a introduit en Europe les premiers mots du vocabulaire moderne concernant le cheval arabe est très importante, et lourde de conséquences. Elle nous montre clairement les processus par lesquels l'orthographe des mots, importés d'Orient aux XIXe et XXe siècles, a pris différentes formes suivant les pays, et parfois différents sens aussi !!

Pour bien comprendre la complexité du problème il faut savoir ceci : langue sémitique, l'arabe écrit (comme l'hébreu) repose sur des racines trilitères formées de trois consonnes. Elles expriment seules la signification des mots. Elles servent de support aux éléments vocaliques de la langue parlée, qui permettent d'indiquer des nuances secondaires. Ces éléments vocaliques (les voyelles si l'on veut, du latin vocalis) sont, éventuellement, surajoutés à l'écriture au-dessus ou au-dessous du mot, sous forme de signes graphiques. Mais nombre de textes anciens ne sont pas « voyellés » - comme on dit en français. L'art de l'arabisant est précisément de découvrir, par le contexte, les « nuances secondaires » à apporter, par des éléments vocaliques, à la racine trilitère qui forme le mot, pour en permettre la lecture exacte. Inversement - et c'est particulièrement difficile pour l'étranger - la transcription graphique d'un mot entendu, suppose la parfaite connaissance de sa racine. Car la prononciation d'un même mot peut amener des confusions dans la transcription des consonnes qui en forment la racine, suivant l'accent de celui qui le dit. Niebuhr en avait parfaitement conscience quand il écrivait : « Il paraît que souvent dans un même endroit les gens de lettres arabes et le peuple prononcent diversement les noms de leurs propres villages. » Le lecteur comprend mieux maintenant combien les Européens ont manqué de prudence dans l'exégèse qu'ils ont faite des mots concernant le cheval arabe... surtout quand ils nous ont été transmis en caractères latins, ce qui a été le cas général.

Nous allons essayer, dans les pages qui vont suivre, de retourner à la source de la philologie et de l'histoire pour mettre de l'ordre dans tous les mots que nous avons recueillis, au cours de notre étude, dans les différents ouvrages traitant du cheval oriental. Nous nous devons de remercier très spécialement le lieutenant Driss Borki, de la Garde royale du Maroc, pour l'aide précieuse qu'il nous a apportée. Arabisant distingué, chercheur infatigable, sa qualité de jeune écuyer talentueux nous assure de la valeur de sa contribution. Qu'il nous soit permis pour conclure cette introduction à ce chapitre capital, de lui redire combien tous les éleveurs, hommes de cheval, et écuyers de langue française lui seront reconnaissants le jour où il mettra à leur disposition une étude exhaustive des textes des maîtres arabes.

La terminologie du cheval dans le Coran le livre sacré de l'Islam

1. D'après le professeur Hafid Abdelfetah Tabbarah, dans son ouvrage Avec les Prophètes d'après le Coran, édité à Beyrouth (1960).

Al-Khir [Le KH doit se prononcer comme la jota espagnole] : « C'est comme cela que les Arabes appelaient les chevaux par le même mot que « le bien » (matériel). C'est ainsi qu'ils sont désignés dans la sourate Sad du Livre sacré. » (Voir au chap. II).

Safinat : « Ce sont les chevaux qui lèvent un antérieur et restent en équilibre sur trois membres. » Par exemple pour saluer la venue de leur maître. Ce terme de Safinat a pris ensuite le sens de chevaux parfaits. Il faut remarquer qu'Abu Obeïda était d'un avis différent, pour lui ce sont les chevaux qui lèvent et étendent un postérieur. Nous avons personnellement recueilli cette tradition au Maghreb dans la région de Tébessa en 1957.

Ej-Jiyad : « Chevaux qui sont très rapides, qui font de longues foulées. » Tels sont les trois mots employés dans le Coran pour désigner les chevaux. On peut y ajouter la formule employée dans la centième sourate (voir chap. VII) : El Eadyat Dabhan : Celles qui galopent en hennissant.

2. D'après Bakhchi Mohamed el-Jeluati (+ 1658), qui a écrit Rachahat el madad fi-mayataealquo bi safinat ej-jiyad, édité à Alep en 1930. Jiyad (pluriel de jawad), a la même racine que jehd, la force, la vigueur. Il signifie donc: « Chevaux rapides dans leur course comme s'ils étaient du jehud, c'est-à-dire d'une générosité totale sans contrepartie », parce qu'ils donnent toutes leurs forces dans la course. Cet auteur emploie Safinat ej jiyad dans le sens : les plus parfaits des chevaux, c'est-à-dire qui ont la double perfection de la générosité et de la beauté.

Al-Khil : Les chevaux. Ce mot à l'origine suivante selon les Ulamas, c'est-à-dire les gens du savoir (les lettrés, les savants) : « Dieu tira de la mer cent chevaux, ils avaient des ailes, et on les appelait Al-Khir (le bien par excellence en ce bas monde). Ismaël faisait courir ces chevaux (dans un but de sélection) car il n'y avait rien de plus merveilleux pour lui que ces chevaux. » Al-Khir donna Al-Khil par déformation linguistique. Initialement féminin singulier, il a été utilisé très tôt comme masculin et féminin indifféremment. Puis il a pris un sens générique: le cheval ou les chevaux.

La terminologie du cheval dans les écrits anciens de la langue arabe

Voici dans l'ordre chronologique quelques témoignages des lettrés et savants au cours des âges.

1. Au IXe siècle

Mohamed Ibn Al-Arabi a écrit Al Kitab asma Khil al-Arab (Le Livre du Nom des chevaux des Arabes), livre où il se réfère à Ibn Abbas, contemporain du Prophète. Il a rédigé son livre dans la première moitié du IXe siècle.

« Les chevaux étaient sauvages et on ne les montait pas. Le premier qui les monta fut Ismaël... C'est pour cela qu'on les appela Arab. » Ce qu'il faut bien comprendre dans ce texte est ceci : le premier homme qui a monté et domestiqué le cheval est Ismaël, le premier Arabe, qui en outre plaçait le cheval au premier rang des biens. C'est pour cela que les chevaux qui descendent de ceux d'Ismaël sont appelés Arabes.

Arab : désigne donc le cheval de la descendance des chevaux qu'Ismaël avait mis « dans un enclos » (voir Ibn Kelbi au chap. II), c'est-à-dire le cheval pur, avec un degré de certitude maximum. Il aura plus tard un synonyme : Atiq.

Atiq : veut dire aussi pur mais avec une nuance qui montre l'honnêteté des Arabes en matière de filiation. L'Atiq est considéré comme pur sur le plan de la zootechnie, mais sur le plan de la généalogie, la présence dans sa filiation d'auteurs nés à l'étranger, ou suspectés de métissage, voire d'origine inconnue, ne permet pas de le classer Arab. Mais ayant été sauvé de l'imperfection sur le plan du Modèle et de la Course on dit de lui qu'il est Atiq, c'est-à-dire, le pur sauvé (sous-entendu de l'imperfection).

2. Au XIIIe siècle

El-Damiride son nom Kemal ed-din - originaire de Damirah en Egypte, qui mourut en 1405, a écrit Kitab hayat el hayawan (Livre de la Vie des Animaux).

Faras signifie le cheval de haute race. Ce mot est intéressant à étudier- nous l'avons rencontré déjà au IIIe siècle dans la langue safaïtique - on sait que le Prophète Mahomet l'a utilisé aussi bien pour le cheval que pour la jument. En fait il a la même racine que :

Furs : qui désigne les Perses.
Blad u Faras : le pays des Perses, la Perse.
Bahr u Faris : le golfe Persique... par ailleurs Fares (pluriel Fursan) signifie le guerrier d'après Wacyf Boutros Ghali. Qu'un auteur spécialisé, de nationalité égyptienne, ait écrit ce mot au XIIIe siècle, quelque six siècles après la conquête de la Perse par les Arabes et alors que le califat de Bagdad n'existait plus (invasion des Mongols), que le Prophète lui-même l'ait employé, cela est lourd de sens sur le plan de la zoologie et de la création de la race arabe, question que nous avons déjà traitée, mais il est bon en cette affaire de noter tous les arguments.

Par ailleurs El-Damiri nous enseigne les termes suivants :

Atiq : cheval pur, de père et mère arabes ;
Hedjin : cheval mélangé ;
Berdaun : cheval privé de sang arabe, cheval commun ;
Mukhrif : cheval dont la mère est arabe et le père étranger à l'inverse du Hedjin. Tous les deux sont métis. Mais le premier garde une part de considération comme fils d'un père noble.

3. Au XIVe siècle

Abu Bekr Ibn Bedr a écrit le Naseri, ou traité complet d'Hippologie et d'Hippiatrie, ou la perfection des deux arts. Traduit par le docteur Perron en 1852. Au tome II, deuxième exposition, chapitre IV, nous lisons : « Nous avons maintenant à faire connaître et à décrire le cheval Atiq ou pur-sang, le cheval Sabur ou de fond ou dur à la fatigue, le cheval Kerim ou de considération ». Plus loin il raconte cette anecdote qui concerne le calife Omar (le deuxième calife qui régna dans la première moitié du VIIe siècle) : « Abu Mussa écrivit au calife Omar, fils de Khattab : « Nous avons trouvé dans l'Irak des chevaux larges et vigoureux ; que juges-tu, prince de la foi, qu'il faille leur accorder comme part du butin ? » Le calife répondit : « Ces chevaux sont des berdauns, ceux d'entre eux qui se rapprochent le plus du pur-sang, donne leur un lot seulement ; les autres laisse-les. » Ainsi nous constatons que le calife Omar donnait à Berdaun le sens de non pur, c'est-à-dire de non arabe ; mais qu'il a une certaine inclination pour ceux qui laissent présumer la race par leur extérieur. Nous avons ici la preuve de l'intérêt que les Arabes de la conquête ont porté aux chevaux étrangers présentant de la qualité...

Par ailleurs nous avons confirmation que dès cette époque le cheval de race (arabe) est qualifié de Atiq ; les termes Sabur et Kerim semblaient qualifier les chevaux autres que de pur sang présentant des qualités de race.

4. Au XIVe siècle

Ali Ben Abderrahman ben Hodeil el-Andalusi a écrit La parure des Cavaliers et l'insigne des preux, manuscrit de la fin du XIVe siècle, traduit par L. Mercier. Au chapitre VII, il écrit : « Les Arabes ont désigné leurs chevaux de race par des noms décelant leur origine et leur noblesse, sous certains aspects particuliers. »

El Tirf : cheval beau et élancé dont les deux parents sont également distingués.
El Kharidji : c'est un jawad qui mériterait d'être Atiq s'il n'était de père et mère Hedjin. Autrement dit celui qui est sorti (Kharedj) sous-entendu de la généalogie, de la lignée, mais qui a les qualités de l'Atiq. On reconnaîtra là le phénomène génétique bien connu du « retour en arrière » qui permet de retrouver un produit pur, issu de parents métis. Et l'on voit que les Arabes lui donnent une place spéciale, et lui accordaient de la considération...
El Bahr (la mer) : coureur infatigable. Le premier qui recourut à cette image fut le Prophète...
El Aqwab : celui qui a l'encolure longue.
El Monaqil : celui qui ramène ses membres très vite, lorsqu'il court.
El Aqder : celui qui se méjuge.
El Motahlam : cheval bien suivi, beau et harmonieux.
El Moquarrab : qui vit au sein de la famille, que l'on attache tout près de la tente parce qu'on le chérit.
El Lahmum : noble, beau, harmonieux.

5. Au XVIe siècle

D'après un manuscrit arabe anonyme, n°996, de la Bibliothèque Nationale datant de 909 de l'hégire (1503) traduit par le docteur Perron (1852), Kitab al akual el Kafiah wa-el fussul el chafiah.

« Les chevaux purs... sont les plus élevés de distinction et les plus nobles, les plus dignes de considération et de soins. Ce sont eux seuls que le Livre sublime, le Coran, a désignés et que tant de paroles du Prophète ont recommandés à la bienveillance des hommes. » (Coran, chap. XXXVIII, verset XXX). « Un soir, à la nuit, on lui [à Salomon] présenta des Safinat magnifiques. La qualification de Safinat n'a trait qu'aux chevaux de pur sang et tels sont les chevaux arabes. » Nous avons ici confirmation du véritable nom, du nom le plus ancien et le plus général donné au cheval pur. Ce même auteur du début du XVIe siècle, rapporte d'une manière légèrement différente quant à la terminologie l'anecdote du calife Omar, citée ci-dessous. Omar aurait répondu : « Ces chevaux-là sont des Kawadin ou sans race. » (Le reste identique.)

Kauden (singulier), Kawadin (pluriel) : c'est le cheval sans race.

6. Au XVIIe Siècle

Bakhchi Mohamed Ej-Jeluati, mort en 1658, a écrit dans son livre déjà cité et dont on peut traduire le titre ainsi : « Etude ayant aidé à la connaissance des Safinat ej-jiyad », en citant le célèbre Asmaï, contemporain d'Abu Obeïda (Bagdad, VIIIe siècle) et Ibn Abd Rebbi, maîtres andalous du IXe, siècle :

Hearq signifie : la veine, l'artère et par extension l'origine (avec la notion de sang).
Nasab signifie : lignée.
Hariq en Nasab signifie donc : lignée qui remonte à l'origine.
Atiq signifie tout à la fois : qui se consacre au bien sans contrepartie... Pur arabe par ses deux auteurs (quand on l'applique au cheval) et qui a été sauvé de l'imperfection.
Hedjin signifie: métis (c'est-à-dire dont l'un des auteurs seulement est arabe).
Nazie signifie : dont on ne connaît pas la mère.

7. Au XIXe siècle

L'émir Abd el-Kader écrit dans Les Chevaux du Sahara (milieu du XIXe siècle) :

El Arabi : le cheval de l'espèce arabe.
El Beradin : les chevaux de l'espèce commune (pluriel de Berdaun).
Horr (pluriel Harror d'où viendrait Haras) : libre au sens propre - rapporté à un être vivant signifie qu'il n'a jamais été avili. Le cheval noble de père et mère arabes.
Hedjin : mélangé, métis dont le père est arabe.
Mekhrif : mélangé, métis dont la mère est arabe. Nous constatons que l'émir nous confirme la terminologie traditionnelle en y ajoutant deux mots propres à l'arabe algérien.
Beradin, dans lequel nous retrouvons la racine de Berdaun et qui a le même sens. Horr qui est synonyme de Atiq. Nous savons de longue date, mais peut-être est-il bon de le rappeler ici, que la langue arabe connaît quelques différences de l'est à l'ouest, du Machrek au Maghreb.

Voilà donc la terminologie du cheval d'après les écrits les plus sacrés et les textes les plus anciens, conservés et transmis par les hommes les plus lettrés et les plus savants. Nous ne prétendons pas avoir épuisé le sujet, et il existe bien d'autres auteurs anciens que nous n'avons pas cités dans ce chapitre - tel Ibn Kelbi - ou que nous ne connaissons pas. Mais, jusqu'à preuve du contraire notre recherche nous a donné la certitude que les Arabes lettrés n'ont pas, pour l'essentiel, employé d'autres mots que ceux-ci !

La terminologie du cheval arabe après Niebuhr

Comme nous l'avons vu en parcourant le livre de Jean Tacquet, écuyer belge du début du XVIIe siècle (chap. I), qui confondait tous les orientaux sous le nom générique de « Turcs »... comme nous le confirment d'ailleurs les livres anglais du début du XVIIIe (Racing Calendar et G.S.B.), les Européens n'ont pas connu le cheval arabe en tant que tel avant que l'explorateur Niebuhr n'ait publié son ouvrage à la fin du XVIIIe ! Il rapporta une terminologie spéciale, originaire de l'Arabie du Nord (Euphrate-Tigre) à partir de laquelle s'est développé le vocabulaire moderne sur « l'arabe ». Car, à partir du début du XIXe siècle de nombreux Occidentaux partiront à la recherche de ce merveilleux animal, qui dans l'Arabie péninsulaire, qui dans les déserts de Syrie, qui dans le Croissant fertile. Chacun prétendra avoir vu, ou rapporté, les meilleurs chevaux nobles, avec sa propre terminologie. Tous n'étaient pas des philologues distingués, et tous n'ont pas vérifié leurs sources de renseignements. Mais tous se sont adressés à des éleveurs ou maquignons qui employaient un vocabulaire de « beldawis », c'est-à-dire de « bédouins », c'est-à-dire, au sens propre, de paysans ! Ce vocabulaire n'était pas celui des lettrés, mais était le produit du folklore. De sorte que, sur un fond de croyances populaires se rattachant plus ou moins aux traditions religieuses, et les mélangeant souvent, apparaîtra un vocabulaire purement dialectal et régional. L'erreur des Européens en cette affaire a été de vouloir lui donner un sens général et définitif. Ce qui était bien mal connaître la mentalité orientale. Une autre erreur a été de le transcrire de différentes manières en caractères latins. Ce qui fait qu'au terme de l'opération le folklore de la vieille Europe s'est ajouté au folklore du Machrek... amusant, n'est-ce pas ? Une autre erreur a été de vouloir à tout prix chercher un sens et une origine historique à tous ces termes nouveaux. Niebuhr avait senti la difficulté, nous l'avons vu, et pour essayer d'y voir clair il convient de commencer nos recherches par cet auteur. Il écrit ceci au chapitre XXV : « Des productions et de l'histoire naturelle de l'Arabie », à l'article V, « Des animaux de l'Arabie ».

« ... On sait que les Arabes font grand cas de leurs chevaux ; on pourrait dire qu'ils les divisent en deux espèces. Ils nomment l'une Kadischi, c'est-à-dire, chevaux de race inconnue, lesquels ne sont pas plus estimés en Arabie que les chevaux ordinaires ne le sont en Europe ; ils servent à porter les fardeaux et à tous les autres ouvrages. La seconde espèce s'appelle Kochlani, ou Kéheile c'est-à-dire chevaux dont on a écrit la généalogie depuis deux mille ans. On veut qu'originairement ils soient venus du haras de Salomon ; aussi sont-ils très chers. On les vante comme fort propres à soutenir les plus grandes fatigues... »

« Les Kochlani sont principalement élevés par les Bédouins entre Basra, Merdin et la Syrie (38), où les grands seigneurs ne veulent point monter d'autres chevaux.»

« Cette race se divise encore en plusieurs familles. On trouve près de Mosul les familles : Dsjulfa, Manaki, Dehalemie, Seklawi, Saade, Hamdani et Fredsje. Celles d'autour de Haleb sont : Dsjulfa, Manaki, Toreisi, Seklawi. A Hama : Challoui. A Orfa : Daadsjani. A Damask : Nedsjedi. »

« Je n'ai pas entendu parler de ces Kochlani sur la côte occidentale de l'Arabie [où Niebuhr a passé plus d'une année au début de sa mission]... quelques-unes de ces familles sont préférées aux autres... Il est vrai que les Arabes manquent de tables généalogiques pour prouver, de quelques centaines d'années, la descendance de leurs Kochlani : cependant ils peuvent être assez sûrs de leur race... on ne fait jamais couvrir une jument Kochlani par un étalon Kadisch, et quand cela arrive par hasard le poulain est réputé Kadisch. Cependant, les Arabes ne se font aucun scrupule d'accoupler un de ces étalons nobles avec une jument de race commune ; mais le poulain de cette jument est toujours Kadisch... Je présume (!) qu'il y a aussi des Kochlani en Djof, province du Yémen ; mais je doute qu'on les prise beaucoup dans les domaines de l'Imam (prince régnant au Yémen) parce que les chevaux appartenant aux personnes de qualité de ce pays me parurent trop beaux et trop grands pour des Kochlani... »

Ce texte de Niebuhr est très dense, et contient tous les sujets sur lesquels les amateurs du cheval arabe vont se diviser. D'abord on remarquera qu'il a cru comprendre que les Arabes divisaient l'espèce chevaline en deux sous-espèces : l'arabe et l'étrangère. En cela il rejoint la meilleure tradition, comme nous le savons. Ensuite on notera qu'au lieu d'appeler la première Arab, ou Faras, ou Safinat ou Atiq selon l'héritage des lettrés, il l'appelle Köheilemot nouveau et régional dont il donne une transcription en graphie arabe. Cette transcription lui a été faite par son informateur (voir plus haut l'extrait de sa préface), dont il n'est pas sûr de l'orthographe.

De la même façon, au lieu d'appeler la seconde race Berdaun, ou Beradin, il la dénomme Kadisch. Ce terme a donc la même signification que Berdaun. Il doit être d'origine syrienne car, si on ne le trouve dans aucun livre en arabe classique traitant du cheval, on le rencontre dès le XIVe siècle sous la plume du géographe arabe universellement connu sous le nom d'Aboulfeda. C'était un prince syrien, de son vrai nom Ismaël Ibn Ali Abu Alfida, de la famille régnante de la principauté de Hamat sur l'Oronte en Syrie. Il mourut en 1331. Vassal du sultan d'Égypte El Malek Naser Ibn Kalaun, nous pouvons lire dans le tome I de sa géographie traduite par Reinaud (1848), qu'en 1324 à la cour de ce roi, au Caire, le Khan Tartare de Perse (dynastie des Houlagides) envoya des émissaires. « ... les ambassadeurs offrirent leur présent ; je fus témoin de la cérémonie. Le présent consistait en trois chevaux Akdysch, portant des selles d'or d'Égypte... » Comment interpréter ce témoignage ? Ce ne pouvait être que de beaux chevaux. Naser Ibn Kalaun était un personnage trop considérable et sa réputation d'amateur de beaux chevaux qui est passée à la postérité, était trop connue! Le Khan Tartare ne pouvait pas lui offrir des chevaux de bât!!! Naser était d'autre part fort connaisseur en chevaux arabes purs qu'il faisait venir à grands frais (voir plus haut), et Aboulfeda, prince syrien le savait. Donc, au total, il semble bien que sous sa plume le mot Akdych signifie: des chevaux non arabes. Mot assez ancien de l'arabe parlé du Croissant fertile.

Les différents sens du mot: Kadischi

1. Chevaux non arabes selon Aboulfeda : XIVe siècle.
2. Chevaux de race Kadich ou Akdich ou race mélangée, demi-sang selon Perron, traducteur du Naseri (XIVe siècle).
3. Chevaux de race inconnue selon Niebuhr (XVIIIe).

On le retrouve dans les écrits de Gayot, orthographié Kuedechs et signifiant commun. On le retrouve aussi en 1937 sous la plume du directeur des remontes des troupes spéciales du Levant, le capitaine Rigon. Kedischi signifiant déchets. Quelle évolution du sens de ce mot depuis les beaux chevaux Akdysch offerts au roi Naser Ibn Kalaun !... On s'aperçoit donc, à travers l'étude de ce terme, qu'à partir de l'époque moderne le vocabulaire proche-oriental concernant les chevaux deviendra de plus en plus imprécis. Car il se situe au niveau du langage parlé, dans des pays où la politesse, voire la diplomatie, veulent que l'on abonde dans le sens de l'hôte ou de l'acheteur. Revenant au texte de Niebuhr, on remarquera qu'il a recueilli en second lieu, les noms des différentes familles de chevaux Kochlani, telles que nous les connaissons de nos jours, plus quelques autres que les amateurs ont laissé dans l'oubli. Celles qui nous intéressent sont :

Hamdani qui veut dire : qui est du pays de Hamdan. Il y a une localité de ce nom en Syrie, et une autre au Yémen. Hamadan est le nom d'une ville de Perse !
Nedsjedi : qui est du Nedjd, région du nord de l'Arabie péninsulaire.
Seklawi : descendant de Saklaweh (l'éclatant).
Manaki : descendant de Minak ou « à la belle encolure », selon le docteur Perron dans le tome I de son ouvrage Le Naseri (1852).

Enfin, nous trouvons dans le texte de Niebuhr, texte fondamental, ses doutes sur la réalité de tables généalogiques, même orales, remontant à quelques siècles. Ses successeurs n'ont pas apporté de faits nouveaux contredisant son opinion. Cela répond d'avance à la question posée par les Hudjet, que les marchands orientaux délivreront aux acheteurs européens au XIXe et au XXe siècle, et que ceux-ci considéreront comme des certificats d'origine, alors que ce ne sont que des témoignages de notoriété.

Pour terminer ce sous-chapitre sur la terminologie après Niebuhr, signalons des termes nouveaux employés par les auteurs de ce siècle qu'ils ont rapportés : les Français de Syrie, les Anglais du Nedjd et d'Égypte.

Assel, Asil, Assiles : qui a une origine (arabe classique).
Chebu : de famille noble (dialecte syrien).
Nejib : du verbe enjaba qui signifie donner de bons produits par accouplement.
Mazbut : bon (dialecte égyptien).
Marufin : connus.

Ce sont des mots d'arabe moderne, ou de dialectes régionaux.

Nous arrêterons là cette liste du vocabulaire sur le cheval arabe. Bien sûr il existe d'autres mots, et on pourra en trouver encore dans les années à venir au niveau des divers langages locaux (Ne dit-on pas le Pompadour pour le dérivé d'arabe né dans le Limousin ? Ne devrait-on pas dire le Nebraski pour l'arabe né dans le Nebraska aux U.S.A. ?). Il nous faut maintenant revenir sur le terme Kohlani importé par Niebuhr.

Le Köheile de Niebuhr

Niebuhr qui de son propre aveu n'était ni philologue versé en arabe, ni naturaliste versé dans la connaissance des équidés, ne se doutait pas de l'obscurité qu'il jetait sur les origines du cheval arabe en rapportant ce nom nouveau pour le désigner.

En effet, nous venons de le voir, le cheval arabe n'a jamais été désigné de cette façon par les Ulamas (les gens du savoir), même ceux qui se sont donné pour but de le décrire. Et pour cause, puisque la tradition religieuse lui a donné le plus noble des noms, Arab. Les poètes antéislamiques, du temps de la Jahiliya (l'obscurantisme, le paganisme), que l'on peut lire en particulier dans les sept poèmes dorés (les Moallakat) ne l'ont pas appelé de la sorte. En revanche, les Européens ont dépensé beaucoup de temps, et des trésors d'imagination, pour chercher un sens, voire une étymologie, à ce mot.

En France, le savant docteur Perron, traducteur du Naseri, écrit en 1852 au mot Kaïlan (Tome I, liminaire...) : Kahlân, nom de cheval. Ce nom est devenu le terme déterminatif ou qualificatif d'une famille de race pure : il est donc alors synonyme de pur sang... Le sens primitif du mot est : brun de galène ou sulfure d'antimoine.

D'autres formes : Kecklani, Kahlani, Kekhilân, Kochlany, Kocklani ;

Kahlân Adjouz : Kahlân vieux ou Kahlân de la vieille ;
Kahlân Djedid : Kahlân récent ou moderne ;
Kohail : diminutif de Kahlàn ;
Koheil Adjouz : Koheil ancien ;
Kahlân Hamdani : Kohelan de Hamdan ou du pays de Hamdan ;
Kahlân Yemani : Kôheil du Yémen ;
Köheile Meneghi : Köheil Minaki ou Köheil à la belle encolure.
Köheile Seglavi, Köheil Saklawi : Köheil Saklawien ou cheval de sang Köheil et de sang Saklawi. Le mot Saklawieh ou saklawah est le nom d'un chef de famille hippique pur-sang. Saklawi est l'adjectif. Perron ajoute: « Il est facile de voir, d'après la série de noms présentés dans la lettre K, combien d'altérations ont subi les deux noms Kahlân et Köheil, et leur féminin Kahlâneh et Köheilah. »

Avant lui, Gayot - le célèbre directeur du haras de Pompadour, inventeur de l'anglo-arabe français - avait écrit dans La France chevaline : « Aujourd'hui, les Arabes appellent Koheil ou Kahlan, tout cheval de noble race, mais ils ne citent les familles qu'en second lieu. » Gayot, homme cultivé, savait que ce nom était nouveau dans la terminologie du cheval arabe. Il accepte le fait, et l'interprète comme Niebuhr qui l'a introduit en Europe. Disons, au passage, que c'est l'attitude la plus positive, car il est vain de rechercher l'origine de ce mot venant du folklore de quelques tribus et qui n'est pas compris du reste de la Nation arabe.

Mais on nous reprocherait certainement d'en rester là, et de ne pas faire état des « histoires » inventées ou avancées pour résoudre cette énigme. Elles font désormais partie du fond commun sur l'Arabe. Voici l'une des plus répandues.

Il était une fois, dans des temps très anciens, un cavalier bédouin qui, chevauchant une jument de race, était poursuivi par des ennemis. Il avait une confortable avance et, sa monture étant pleine, il s'arrêta et elle mit bas d'un poulain noir. Le cavalier le confia à une vieille femme (adjouz) qui avait planté sa tente à proximité. Puis il reprit sa fuite et parvint à semer ses poursuivants. Il avait fait une très longue route, à vive allure, à travers le désert quand il s'arrêta ! Quelle ne fut pas sa surprise de voir arriver, quelques instants après, le poulain noir ! Ce poulain fut appelé le Noiraud de la vieilleEl Koheil el-Adjouz. Il eut beaucoup de produits et une nombreuse descendance, qui fit souche chez les Bédouins nomades, qui l'améliorèrent par sélection, de sorte que de nos jours tous les chevaux arabes sont de sa lignée... Cette délicieuse histoire transmise oralement chez les Bédouins d'Arabie et du Sahara, et recueillie par les Européens, a été reprise par différents auteurs dont aucun ne cite sa source. Mohamed Pacha, fils de l'émir Abd el-Kader, dans un livre édité à Beyrouth et Stamboul en 1907 sur les Safinat ej jiyad, nous rapporte une autre tradition légendaire dont il ne donne pas la source non plus : « La tradition rapporte que les chevaux prirent la fuite lors de l'inondation consécutive à la rupture des digues (de Mareb au Yémen, vers 120 de notre ère), et qu'ils se réfugièrent au désert... Puis cinq des plus nobles juments firent leur apparition dans le pays du Nedjd. Cinq hommes partirent à leur poursuite [...] Grâce à un stratagème, ils parvinrent à les attraper et se les partagèrent. Ils étaient loin de leur campement et, sur la route du retour, les vivres vinrent à manquer. Ils décidèrent d'abattre l'une des juments ; mais de les faire courir ensemble d'abord pour ne sacrifier que la plus mauvaise. Chaque propriétaire perdant ayant demandé une nouvelle épreuve de confirmation avant que de procéder au sacrifice, les juments firent cinq courses, et quatre d'entre elles perdirent tour à tour... On désigna la jument qui avait triomphé dans les cinq courses sous le nom de Es-Saklawiya à cause de l'éclat de son poil, celui qui la montait se nommait Jidran... La jument classée seconde (au classement général) fut appelée Um arqub, parce que ses jarrets étaient tordus ; le nom de son cavalier était Chouweih... La jument classée troisième fut appelée Ech-Chouweima, à cause des grains de beauté qu'elle portait ; son cavalier se nommait Sebbak... La quatrième fut appelée Koheila, à cause d'un point noir que présentaient ses yeux. Son cavalier s'appelait El-Ajouz... La cinquième fut appelée Obeya parce que la aba (manteau) de son cavalier tomba sur sa queue... et y resta suspendue pendant toute la course.

Ces cinq juments furent à l'origine des cinq lignées parvenues jusqu'à nous et Koheila est la plus grande descendance.

Nous avons vu ailleurs ce qu'il faut penser de ce chiffre cinq (Khamsa), qui revient sans cesse. Retenons cette tradition pour ce qui concerne l'énigme de Koheila el-Ajouz, et remarquons qu'elle offre de multiples avantages.

D'abord, elle réussit à accréditer l'ancienneté de la lignée, la rattachant à un événement historique réel, mais devenu mythique dans la tradition des Bédouins, qui n'ont pas l'idée du temps écoulé et peuvent très bien placer cet événement à l'époque de Noé !... Ce sont les historiens occidentaux qui ont réussi à dater cette catastrophe de Mareb, dans la première moitié du IIe siècle de notre ère, rendant un mauvais service à ceux qui colportent la fable du cheval Kohelan, sorti directement de l'arche de Noé... Nous ne plaisantons qu'à moitié.

Ensuite, elle accrédite le sens de Noir comme racine du mot Kohelan, à savoir, Kehl, c'est-à-dire les lettres arabes Kāf, Hā et Lām.

[Tableau : L'alphabet arabe]

Enfin, elle donne du même coup une lignée ancienne aux saklawi Jidran, aux chouweiman, aux obayan.

... Que penser de tout cela ?... Sur le plan historique, ce qu'en a dit le docteur Perron il y a plus d'un siècle « Je ne crains pas un moment d'affirmer que les Koheil et aussi les Kahlan ne remontent pas à un siècle... Je crois que les noms Koheil, Koheili, Kahlan, Kahlani, tous noms identiques, se sont substitués aujourd'hui au mot Arabi. » Sur le plan pratique, il convient de faire comme Gayot, d'accepter le fait brut. A notre époque le cheval arabe est appelé Kohelan en langage international. Nous pensons que les éleveurs français se trouveront bien de cette ligne de conduite et ont intérêt à oublier la fabulation qui entoure ce cheval. De même qu'ils ont intérêt, comme nous l'avons vu dans notre recherche historique, de ne pas trop spéculer sur ses origines, et en particulier sur l'ancienneté de celles-ci. Prenons donc le cheval arabe tel qu'il est ; quand on a éduqué son oeil, on ne s'y trompe plus.

En Grande-Bretagne, le cheval oriental a pris une place considérable dans l'élevage (voir chap. I). En ce pays on trouve une très sérieuse bibliothèque sur le sujet. Nous en retiendrons les travaux de UptonGleanings from the Desert of Arabia (1881). Cet ouvrage a été considéré par Lady Blunt, la spécialiste qui fait autorité outre-Manche, comme l'un des meilleurs. Nous retiendrons aussi celui de sa fille Lady Wentworth qui a publié en 1945 un énorme ouvrage, réédité en 1962, The Authentic Arabian Horse...

Upton, comme ses collègues français, a buté sur ce mystérieux terme de Koheile rapporté par Niebuhr. Il dit en avoir constaté l'usage chez les tribus bédouines, et en a recherché l'étymologie. Nous laissons la parole à M. Louis Mercier, le savant traducteur d'Ali ben Abderrahman ben Hodeil el-Andalousi, arabisant éminent : « Il [Upton] essaie de justifier le vocable Koheilan, appliqué à l'ensemble des races distinguées, en le dérivant d'un substantif Kuhl, mot qui aurait été, croit-il, appliqué de toute antiquité aux chevaux arabes parce qu'une de leurs caractéristiques est de présenter à l'examen une peau foncée et comme noircie au Kohl (39). Je laisserai à l'auteur la responsabilité de son ingénieuse étymologie, me bornant à constater que le mot Kuhl ne figure avec ce sens dans aucun texte ni ancien ni moderne, et que je ne l'ai jamais entendu appliqué à la race de chevaux arabes en son entier. » La philologie ne lui donnant pas de véritable réponse, Upton, comme beaucoup d'autres, se satisfit d'une légende populaire... dont nous vous ferons grâce.

Lady Wentworth a consacré sa vie au cheval arabe. Avec une touchante ténacité, elle a tenté de démontrer le bien-fondé de ce qui ne peut être considéré que comme sa conviction. Ne parvenant pas à trouver une étymologie indiscutable, elle a fini par poser un postulat (p. 34 de son ouvrage cité). Elle écrit : « Kehilan is the generic term for thoroughbred Arabian. The word " Thoroughbred " is a direct translation of the Arabic word " Kehilan " meaning "pure bred all through " and was adopted in England by the first importers of Arab stallions. »

Et voilà ! Hélas cette affirmation est absolument contraire à la vérité historique. Il suffit pour s'en convaincre de compulser le Général Stud-Book et le Racing Calendar, ou plus simplement de se souvenir du nom donné par les Anglais au cheval de Darley. Elle est aussi démentie par la philologie... Plus loin elle donne à Ajuz (ou Ajouz) le sens d'ancien, ce qui est acceptable, nous le savons. De sorte qu'elle se croit en droit d'affirmer que Kehilan Ajuz signifie « le cheval de pur sang antique » et même « le cheval sauvage ancien »...

Que peuvent penser de cela les paléontologues ? Il est navrant de voir proclamer une telle contre-vérité. Que dire alors de la tentative qu'elle fait à la page suivante de faire coïncider, par le jeu d'une écriture arabe fautive, le mot Ajuz, ancien, au mot qu'elle écrit Ahwaj, nom du plus célèbre chef de lignée ? Alors que le second comporte un ayn, laryngale qui le différencierait totalement du premier s'il en était besoin. Que dire aussi de la tentative qu'elle fait d'imputer à l'émir Abd el-Kader, dont nous avons dit l'immense culture, la confusion entre Khil, chevaux, qui se prononce avec une jota, et Kohel, qui se prononce avec un Kaf ! ! ! et dont les écritures arabes ne peuvent en aucun cas se confondre. Tout cela pour établir que Khil el-Awaj, les chevaux de la descendance d'Awaj dont parle l'émir algérien, sont les Kohel el-Ajuz !!

Consternant n'est-ce pas ? Nous avons fait lire cette page à un Marocain lettré, son silence, précédant quelques mots contenus, voulait en dire long. Quel dommage qu'un auteur, si sérieux par ailleurs, ait pu en arriver là, pour démontrer quelque chose sans grand intérêt pratique au total ; comme nous l'avons dit ci-dessus à propos des auteurs français.

Pardonnons-lui ! son amour pour le cheval arabe l'a rendue aveugle. Dans le même chapitre Lady Wentworth avance une idée bien plus riche sur laquelle nous terminerons cette étude du vocabulaire.

Nouvelle hypothèse sur l'origine du vocable Kôheile de Niebuhr

« Kahlan, écrit lady Wentworth, est aussi une tribu arabe du Yémen, qui fut le canton dans lequel les premiers chevaux sauvages, actuellement enregistrés par leurs noms, furent capturés. »

Donc le vocable Kehilan trouverait là son origine [Au chapitre VI, l’anecdote sur les enfants de Nizar permet une autre étymologie du mot Köheile]. Cette hypothèse est intéressante, mais elle suppose que l'on admette une erreur de Niebuhr dans la façon dont il a entendu ce mot, ou bien une faute d'orthographe de son informateur si, comme il nous le dit, il lui demanda de le transcrire.

On sait que les tribus arabes du sud de la péninsule descendent, selon la tradition, de Yectan descendant de Sem par Heber et Arphaxad. Ce Yectan de la Bible est le Kahtan des généalogistes arabes. Tout le monde l'admet.

La descendance de Kahtan est la suivante.

[Tableau : Les Kahalanides]

On s'étonnera peut-être que dans la généalogie du chapitre III nous ayons écrit Kahlan, suivant ainsi la transcription de Perceval (Cahlan) ; alors que dans ce tableau nous venons de l'écrire Kahalan. Nous l'avons fait sur le conseil de notre collaborateur le Hadj Driss Borki comme plus conforme aux nuances de la graphie arabe. On sait en effet que l'une des difficultés de la lecture de l'arabe littéral est de mettre les voyelles ; opération délicate source de graves erreurs, en particulier pour les Occidentaux.

On remarquera que la généalogie des tribus nomades yéménites remonte à Kahalan, au VIIe siècle avant notre ère, alors que (voir chap. IV) celle des tribus Ismaélites ne remonte qu'à Adnan, au Ie siècle de notre ère. Or, selon une tradition rapportée par Wacyf Boutros Ghali, le Prophète Mahomet n'autorisa les recherches généalogiques que jusqu'à « Adnan seulement, avec défense de les pousser plus loin ».

Cela nous donne la règle de conduite des généalogistes arabes en ce qui concerne les humains. Ne pas prétendre, ni oser rechercher au-delà du Ier siècle, règle sacro-sainte. Tout ce qui précède fait partie de l'incertain et du mythique, et si le peuple pouvait y faire référence, l'Alem (le Savant) devait se l'interdire. Il en fut de même pour les chevaux, et l'on remarquera dans notre tableau au chapitre II que la généalogie du cheval arabe ne prend de réalité historique qu'avec Awaj, vers le Ier ou le IIe siècle de notre ère.

Ainsi donc, le prétendu « Pedigree le plus ancien du Monde », remontant au déluge, de lady Wentworth, n'est qu'une aimable hypothèse d'école...

Il en est de même pour cette nouvelle étymologie du vocable Kahelan que nous proposons à notre tour dans les lignes qui suivent. Comme nous le constatons (voir le tableau), l'ensemble des tribus descendant de Kahalan par lien agnatique peut se désigner par :

Kahalan, qui exprime l'idée de l'entité humaine, dans l'espace et dans le temps, issue du fils d'Abdchams, ou par :
Kahalani qui veut dire : faisant partie de l'entité historique de Kahalan.
Kahaili voudra dire : faisant partie du lignage de Kahalan. On retrouve dans ce dernier vocable, aux voyelles près, le Köheile de Niebuhr qui se dit d'après lui « des chevaux dont on a écrit la généalogie depuis deux mille ans. » (Et que l'on peut donc écrire Kahaili.) Niebuhr a écrit vers 1760. Tout cela concorderait assez bien, n'est-ce pas ? si l'on veut bien se souvenir de l'assimilation à leur propre généalogie qu'ont fait les Arabes de celle de leur compagnon, le plus noble des animaux.

Hypothèse séduisante en vérité ! mais pour être admissible elle doit être assortie d'une supposition : la confusion par Niebuhr ou son informateur du ح hā de Kahaili avec le ۵ hā de Kahāili.

Cette supposition est gratuite, bien qu'elle soit possible (40) ; aussi admettrons-nous sagement que les mots kohelan et koheli qui ont fait fortune chez les Occidentaux à notre époque désignent de facto : Le cheval arabe moderne, pour lequel il est inutile d'ajouter « de pur sang », ce serait un pléonasme.

Tableau récapitulatif de quelques termes employés pour désigner les chevaux orientaux

Dans le Coran

Al-Khir : le bien, les chevaux
Safinat: chevaux parfaits
Ej jiyad : chevaux qui sont généreux et très rapides (singulier : jawad)

Dans la langue classique

Al-Khil : les chevaux
Al-Arab : le cheval arabe
Al-Faras : le cheval de haute race
Hedjin : mélangé, non arabe, métis en général, métis de père arabe
Mukhrif : métis de mère arabe
Berdaun ou Berzaun : cheval privé de sang arabe, cheval commun
Beradin : tous les chevaux autres que le cheval arabe
Kauden (Kawaden) : sans race
Akdych : tous les chevaux autres que le cheval arabe
Atiq, Atq, Atik, Attechi : pur sauvé de l'imperfection, sans défaut, sans mélange
Horr : libre [de toute imperfection], noble
Hearq : qui a une origine
Hariq mensub : celui qui a une origine à laquelle on peut remonter
Nasab : lignée
Hariq en nasab : lignée qui remonte à l'origine
Kharidji : qui est jawad (bon) mais dont on ne peut établir la lignée (il en est sorti) du verbe Kharedj.
Nazie: de mère inconnue

Après Niebuhr. Dans les livres en langues européennes

Kadichi : de race inconnue, demi-sang
Kuedech : commun
Kedishi : déchets
KoheileKochlani : chevaux dont on a écrit la généalogie depuis 2000 ans
Kailan, Kahlan : pur-sang
Kahlan : de noble lignée
Kahlan adjouz : pur-sang ancien, Kahlan de la vieille
Kahlan djedid : pur-sang nouveau
Kehilan : thoroughbred
Kehilan Ajuz : the old thoroughbred
Kahaili : du lignage de kahalan
Assel, Aseel, Asiles : noble, qui a une origine [arabe] authentique
Chebou : de famille noble
Nejib : donnant de bons produits
Mazbut : bon
Marufin : connu
Asan : cheval de race (ou belhomme) en algérien du Sud (moderne)

Au terme de ce chapitre essentiel, après la lecture de ce tableau, nous ne pouvons pas ne pas réfléchir au sens du mot race, en français.

Dans les textes anciens que nous avons traduits, avec M. Driss Borki, en faisant un effort particulier pour rendre en langue française le sens le plus proche de celui voulu par la racine arabe, nous n'avons pas rencontré l'idée de race, mais celles : de lignée et d'origine. Par contre dans les nombreuses traductions, faites par des arabisants français, que nous avons consultées et citées, ce mot de race revient souvent. C'est à notre avis une licence du langage.

En effet la génétique moderne conteste l'objectivité de cette notion, comme l'a fait remarquer l'ethnologue Claude Lévi-Strauss (Race et Histoire, 1972). On se rend bien compte d'ailleurs de l'abus fait en notre langue dans l'emploi de ce terme en élevage lorsque l'on veut le traduire en anglais. Car les mots : breed, stock, strain signifient bien plus : lignée, famille ou souche, courant de sang, que race ! En fait, dans notre langue, la race n'est pas autre chose que la famille, considérée dans la suite des générations et la continuité de ses caractères. Déjà en 1907 Paul Fournier l'avait clairement dit dans son ouvrage sur Le Demi-Sang.

Nous arrêterons là nos commentaires sur ce mot. Le lecteur comprendra que nous ne sommes pas sur notre terrain. L'affaire concerne les zootechniciens. Il faut en retenir que dans la conception des Arabes, la noblesse provient de l'origine à laquelle on doit pouvoir remonter par une lignée. Hariq mensub, hariq en nasab. Nous verrons que cette noblesse n'est réellement admise que si elle s'exprime dans l'épreuve et se manifeste dans le modèle.




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