PREMIÈRE PARTIE
HISTOIRE ANCIENNE DE L'ÉQUITATION
CHAPITRE II
Recherches iconographiques dans l'Antiquité.
Les débuts du couple homme-cheval. La Chasse et la Guerre.
Domestiqué dès la
plus haute Antiquité en Asie centrale, le cheval aurait
été importé en Chine, en Asie occidentale, en
Europe et en Afrique, lors des migrations des pasteurs nomades. Il
reprenait ainsi les chemins suivis par ses ancêtres venus
d'Amérique. On sait, en effet, que la série
phylogénétique du genre equus
a vu le jour en Amérique et se développa en Eurasie de
l'Éocène au début de l'ère quaternaire.
Ainsi, les nouvelles migrations des chevaux, réduits à
l'état domestique, se sont confondues avec celles des hommes. Il
faut observer tout de suite, qu'au service des hommes, les chevaux ont
évolué dans leurs modèles et se sont
différenciés en plusieurs types. Selon les régions
géographiques, l'usage que leurs maîtres en ont fait, et
les soins qu'ils ont su leur prodiguer. C'est cet usage du cheval qui
constitue l'objet même de notre étude en nous attachant
plus particulièrement à son emploi sous l'homme qui a
engendré l'Équitation. Notre histoire commence au
deuxième millénaire av. J.-C.
Planche 1 - Prinia-Crète : Le premier cavalier. Deuxième millénaire av. J.-C.
C'est le plus ancien
cavalier connu, armé d'un javelot et d'un bouclier. C'est un
« militaire » ! minoen, achéen, mycénien ou
dorien... qui sait ? Mais ce que nous savons, c'est que la Crète
fut l'un des berceaux de ces « peuples de la mer », qui
envahirent le Proche-Orient et l'Afrique méditerranéenne.
Le mythe des chevaux venant de la mer est méditerranéen.
(Poséidon - et les chevaux d'Ismaël, fils d'Abraham (1).
Par ailleurs, cette représentation remet en cause une
idée reçue : « Partout l'attelage a
précédé l'équitation (2). » NON ! Au
commencement était le cavalier. Et le cavalier inventera
l'équitation dans les deux millénaires à venir ! |
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Planche 2 - Thèbes-Égypte : Ramsès II chargeant en char. XIII siècle av. J.-C.
Voici Ramsès II tirant à l'arc, monté sur un char tiré
par deux équidés, les guides enroulées autour de la taille. Avant l'invention
de la selle avec étriers, la tenue précaire de l'homme à cheval ne permettait
que l'escarmouche et non le combat de mêlée. Aussi, avec les guerres entre les
grands empires, qui se constituèrent alors au Proche-Orient et au Moyen-Orient,
apparut sur le champ de bataille un nouveau système d'armes : le char attelé de
chevaux avec un équipage embarqué (de 1 à 3 guerriers) (3). On peut donc
affirmer que : « Sur le champ de bataille, la charrerie a précédé la cavalerie.
»
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Planche 3 - Char de guerre hittite. IXe siècle av. J.-C.
L'arc était l'arme la plus
performante. Encore, fallait-il pouvoir transporter et déplacer
les archers sur le champ de bataille. L'équitation
n'étant pas encore une technique fiable, il fallut inventer la
roue et le char, inventer l'attelage du cheval et inventer le «
guidage » du cheval. Les Hittites furent les maîtres de cet
art. On observera : que l'équipage comprend un cocher et un
archer et que le cheval tire le char par un « joug de garrot
», alors que sur la planche 2, précédente, il le
traîne par un « collier de gorge ». Le rendement de
ces systèmes de traction était très faible.
Lefebvre des Noëttes l'a démontré en 1931 (op. cit. ; Note 2007 : opinion aujourd'hui remise en cause, voir : http://www.attelagepeda.info/antiques.html).
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Planche 4 - Ninive : Cavalier assyrien d'Assourbanipal. Le cheval des steppes du Sud. VIIe siècle av. J.-C.
L'équitation s'est
améliorée. Le cavalier s'aventure à la chasse et
sur le champ de bataille. Ce sont les débuts modestes de la
« cavalerie » (mot anachronique), encore associée
à la charrerie. On remarquera que les progrès techniques
ont porté seulement sur la conduite du cheval :
- Mors à barrettes et montants bifurqués pour le rendre plus « dur ».
- Rênes auxquelles sont attachées de lourds glands qui les
tendent, en particulier lorsque le cavalier doit les abandonner pour se
servir de l'arc. Le cheval est en quelque sorte enrêné.
Par ailleurs, le balancement des glands au galop empêche
l'encolure de s'étendre et, de ce fait, empêche le cheval
de prendre une allure trop rapide. Ce que l'homme ne pourrait
supporter, sans selle et avec une assiette médiocre.
Notons deux faits d'une grande importance : nous voyons pour la
première fois le cheval des steppes semi-arides du Sud. Nous
voyons aussi, pour la première fois, le cavalier-archer. Il
dominera, plus tard, la guerre des Steppes. Le capitaine Coignet (4)
nous rapporte la surprise anxieuse des grognards quand ils
rencontrèrent, en 1812, les derniers cavaliers-archers (les
Kalmouks).
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Planche 5 - Til-Barsid (Tell ahmar sur l'Euphrate) : Peinture murale. Cavalier assyrien au galop. VIIe siècle av. J.-C.
Le cheval est déjà
très typé : tête à profil rectiligne, yeux
ronds exorbités, encolure soutenue, dos court, queue
attachée haute. La vitesse est exprimée par le galop
volant (ce qui est rare chez les Assyriens). La vitesse réelle
est cependant limitée par l'attitude de l'encolure (voir planche
4). Car si l'assiette s'est améliorée, elle est encore
défectueuse (raideur des cuisses et des jambes). Le cavalier est
armé d'une lance à piquer : arme de chasse (pig sticking), ou arme de guerre contre l'infanterie en déroute. Ce n'est pas une arme de choc.
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Planche 6 - Art des Scythes : Plaque de ceinturon. Le cavalier scythe. IVe siècle av. J.-C. Musée de l'Hermitage.
L'art des Scythes nous fait
connaître, enfin, les nomades, cavaliers des steppes du Nord, de
la Volga au Danube et au Caucase en passant par le Kouban. C'est le
futur Diecht Y Kyptchak, pays
des chevaux dont nous parlera Ibn Batoutah, le Marocain, au XIVe
siècle (5). Nous observons sur cette représentation une
équitation sans étriers, supérieure à la
précédente. Assiette profonde, jambes au contact. Elle
permet une meilleure domination de l'animal. Cavaliers redoutables, les
Scythes firent des raids au Proche-Orient jusqu'en Égypte, au
VIIe siècle av. J.-C.
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Planche 7 – Kouban : Amphore du Tumulus de Tchertomlik. Le cheval des steppes du Nord. Ive siècle av. J.-C.
C'est le cheval « horizontal
» des steppes (6) prairies du Nord que l'on retrouve vingt-quatre
siècles plus tard, de nos jours, en Mongolie. Harnachement :
mors de filet simple, muserolle, tapis épais et ourlé,
long poitrail, sur sangle, entraves des antérieurs. Les nomades
scythes maîtrisaient l'élevage du cheval de guerre et son
usage. Vers 512 av. J.-C., Darius Ier, commandant lui-même sa
grande armée de fantassins, chars et cavaliers auxiliaires,
invaincue du Bosphore à l'Indus, entreprit de soumettre les
Scythes. Il pénétra dans la steppe - l'armée s'y
épuisa et s'y perdit en marches et contremarches durant neuf
mois. L'ennemi était nulle part, mais le danger partout, les
cavaliers-archers refusant la bataille, mais livrant sans cesse des
combats de harcèlement et attirant la grande armée dans
les profondeurs de la steppe. Les pertes furent considérables.
Darius Ier eut la lucidité et le courage d'ordonner la retraite
avant qu'il ne fût trop tard... Les steppes seront toujours
funestes aux conquérants fantassins. Les Romains ne s'y
risqueront pas.
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Planche 8 - Les Celtes : Monnaie des Turones. Le charretier celte. IVe siècle av. J. -C.
Évocation du charretier
celte de l'Europe occidentale et de son cheval. Cheval grossier, petit,
cylindrique, au-dessus long et relâché. Par contre, on dit
que les Celtes de l'Europe orientale, qui peuplaient au IIIe
siècle av. J.-C. les régions du Danube et la Thrace,
auraient été des cavaliers. Certains leur attribuent
l'invention du mors de bride (7).
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Planche 9 - Bhârhut Madhya Prades. Indes : Le cavalier indien IIe siècle av. J.-C.
Ce relief, très
stylisé, nous renseigne cependant sur l'équitation
indienne du IIe siècle av. J.-C. Elle était aussi
élaborée que celle des Grecs de Xénophon. En
effet, la position de la main et la prise des rênes, leur
ajustement (demi-tendues), et surtout la remarquable attitude de
l'ensemble tête-encolure, la nuque, le point le plus haut, ainsi
que le geste aisé de l'antérieur droit et l'abaissement
de la ligne du dessus... tout cela est remarquable. Si ce cavalier
n'était un géant sans rapport avec l'échelle de
représentation de sa monture, on penserait
irrésistiblement à la célèbre gravure de M.
de Nestier sur le Florido (8).
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Planche 10 - Le cavalier numide. Colonne Trajane IIe siècle ap. J.-C.
Depuis la redécouverte du
cheval Barbe, au XIXe siècle, ce cheval de la colonne Trajane,
ou cheval numide, a été désigné comme son
ancêtre. On peut le penser !... Par contre, en observant cette
représentation, on ne peut pas s'associer à l'idée
reçue et dithyrambique sur la soi-disant qualité de la
cavalerie numide ! En effet, nous remarquons :
- une très mauvaise assiette du cavalier ;
- qui n'a pas de moyens de conduite ;
- seulement un collier qualifié de frein, mais qui était d'abord un collier de tenue.
Cette équitation réduite à sa plus simple
expression ne permettait pas le combat à cheval ! Il faut lire
(9) pour s'en convaincre, dans la Description de la bataille de Cannes
(216 av. J.-C.), écrite par Tite Live, comment les Numides ont
combattu l'aile gauche romaine : pied à terre ! CQFD.
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Planche 11 - Cavalier barbare. La colonna di Marco Aurelio. II-IIIe siècles apr. J.-C.
Ce Barbare n'est sûrement pas
un cavalier des steppes ! Il s'agit plutôt de l'évocation
des peuplades bordant le limes romain, en Germanie, région
forestière. Ces cavaliers des forêts, montant de trop
petits chevaux, ne pouvaient pratiquer qu'une équitation de
transport. A plus de deux siècles de distance, ce cavalier nous
donne une idée de ce qu'avaient été les
mercenaires germains, que Jules César engagea, comme
auxiliaires, contre l'armée de Vercingétorix. Il dut leur
enlever leurs chevaux inutilisables et les remonter avec les chevaux de
ses officiers (10) !
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Planche 12 –
Thysdrus. Afrique romaine : Mosaïque. Le cavalier romain
d'Afrique. Musée du Bardo. IIIe siècle apr. J.-C.
Scène de chasse.
Mosaïque d'El Djem, Tunisie, l'ancienne Thysdrus. Dans les grandes
propriétés des colons romains, l'élevage du cheval
s'est amélioré. L'équitation aussi. Le galop est
rapide. Le cheval est embouché d'un bridon. Mais le cavalier qui
monte sans selle n'a pas encore les cuisses descendues, et un collier
de tenue est dans sa main (tradition numide ?).
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Planche 13 - Archer sassanide. IVe siècle apr. J.-C. Musée de l'Hermitage.
Scène de chasse. Successeurs
immédiats des Parthes, les Sassanides, cavaliers-archers, ont
atteint, à la fin de l'Antiquité, la perfection de
l'équitation sans étriers. Leur assiette est profonde,
cuisses descendues - leur aisance à cheval est totale. L'archer
se retourne et tire sa flèche à la manière du
cavalier parthe.
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Planche 14 - L'étrier. Coupe sassanide. VIIe siècle apr. J.-C. Musée de l'Hermitage.
Scène de chasse (11).
L'arçon de selle et les étriers apparaissent enfin dans
l'iconographie. Inventions capitales qui transformeront
l'équitation du Moyen Age. Ceci aura des conséquences
considérables sur l'histoire des sociétés en
Eurasie. Nous le verrons. Ce document montre que les Sassanides, qui
furent les meilleurs cavaliers de l'Antiquité, ayant acquis une
assiette parfaite, n'ont chaussé les étriers que du bout
des pieds... Ce fut pour eux l'accessoire. Pour d'autres, ce sera
l'indispensable.
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CONCLUSION (12)
Durant toute l'Antiquité, l'homme a, peu à peu,
inventé l'équitation ; technique nécessaire pour
lui permettre d'utiliser le cheval, à la chasse, et surtout au
combat. Les progrès ont été très lents. Il
fallait, en effet, résoudre deux problèmes
incontournables, (ils le sont encore) : - celui de la tenue à
cheval, autrement dit, l'assiette ; et celui de la maîtrise et de
la conduite de ce noble animal, loyal, mais fougueux. Autrement dit,
tenir fermement sur le cheval et le conduire à son gré en
toutes circonstances. Pour ce faire, il était nécessaire
d'inventer le harnachement : mors et selle à étriers. Et
cela a demandé une très longue période historique.
Celle que l'on a appelé : L'ANTIQUITÉ. Dès le
début du Moyen Âge, ces inventions furent transmises par
les Perses sassanides au peuple arabe. Ce qui devait avoir d'immenses
conséquences (voir chap. IV, et chap. X la suite de notre
recherche iconographique, jusqu'à nos jours). Mais, au point
où nous en sommes, nous devons arrêter notre progression,
et même revenir en arrière pour étudier l'histoire
de l'équitation chez les peuples sédentaires de
l'Antiquité.
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