Denis Bogros
(1927-2005)

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Des hommes, des chevaux, des équitations
Petite histoire des équitations pour aider à comprendre l'Équitation 
(1989)

 ANNEXE

Le manuscrit tibétain
 
Mme Anne-Marie Blondeau a publié en 1972 chez Droz Matériaux pour l'étude de l'hippologie et de l'hippiatrie tibétaine, à partir des manuscrits de Touen Houang.
 
- Pour le sujet que nous traitons, voir note 17 du chapitre VI « Organisation et logistique de la cavalerie mongole », ce document est essentiel. En effet, par le biais de l'ethnie ou des ethnies tibétaines, on rejoint tous les peuples nomades des steppes de Sibérie. On sait, en effet, qu'à la veille de sa mort, Gengis Khān envisageait de faire une campagne pour soumettre les Tibétains, qu'il considérait comme une partie de son peuple. Quoi qu'il en soit, les us et coutumes hippiques de ces peuples nomades du Nord étaient les mêmes ; plusieurs historiens en ont fait la remarque. Or, fait capital, les Tibétains ont eu très tôt une écriture.

- Mme Valérie Courtot, Pr d'histoire et de géographie, diplômée des langues orientales, a eu la très grande amabilité d'étudier ces manuscrits et de nous communiquer ce qui nous intéresse. Qu'elle en soit chaleureusement remerciée.
 
Datation des manuscrits de Touen Houang. Premiers documents tibétains connus ; ils seraient postérieurs au IXe siècle ap. J.-C. Mme Blondeau les situe entre 992 et 1042.
 
Enseignement. A partir de la traduction de Pelliot (que Grousset appelait, en 1944, le « maître des études mongoles »), intitulée : Pelliot Tibétain 1063. On peut rassembler les informations suivantes sur les questions des soins aux chevaux par les cavaliers des steppes du Nord.

I - Sur la question: soins aux pieds des chevaux - pp. 219 à 231.

Les Tibétains de l'an mille ne connaissaient pas le fer à cheval, alors que, nous l'avons vu, les Hongrois pratiquaient la ferrure au IXe siècle, et les Sibériens de l'Iénissei au IXe ou XIe siècle. C'est pourquoi ils devaient faire des soins intensifs pour pouvoir se servir des chevaux hors des pâturages.
 
- § 1 « Quand (un cheval) a marché longtemps, (manière) de soigner les sabots... Les sabots ayant repoussé (il pourra) se mettre en chemin... après avoir fait ce qu on appelle "coudre des bottes", (le cheval) guérira sans boiter. »
 
- § 3 « Quand un cheval se met à boiter par suite de l'usure de ses sabots... »
 
- § 6 L'auteur signale les éclatements des parois du sabot. On reconnaît les seimes et blêmes !
 
- § 7 L'auteur décrit la marche du cheval fourbu par usure excessive de la paroi, jusqu'à blesser la sole, faute d'une protection du pied : il « attaque (le sol) avec la pointe », c'est-à-dire avec la pince! Cela est typique. La fable des sabots des chevaux asiatiques d'une résistance à toute épreuve reçoit ici un démenti de mille ans d'age
 
- Dans ces conditions, l'emploi du cheval de selle était problématique et interdisait tout projet d'utilisation d'une cavalerie sur longues distances. Mais les Tibétains étaient sur le point de trouver à leur tour la solution. Ils avaient déjà inventé une « prothèse » pour garantir les pieds de l'usure « des bottes ».

II - Sur la question de la subsistance des chevaux - pp. 293 à 303.
   
Nous nous sommes déjà posés la question de la nourriture des chevaux mongols en campagnes de guerre. Le manuscrit nous donne des informations sur l'alimentation spéciale du cheval à l'entraînement aux « allures vives » et « violentes ».
   
Nous apprenons que les nomades du Nord, dans ce cas, nourrissaient leurs chevaux, comme ceux du Sud, avec des fourrages secs de substitution, céréales et autres. Ainsi, nous avons la réponse à la question de la logistique de la cavalerie mongole en guerre.

P. 293 - On ne fait de « substitution du fourrage » que si le cheval est à l'entraînement. (Sinon, on le laisse à l'herbe. Ce que nous avions compris.)

P. 294 - On lui donne des « aliments agréables » (sic). « orge » (p. 221), « bière douce mélangée à deux oeufs (-) et (à).

P. 295 - « Deux onces de mélasse blanche. » « (Du) millet Khre et (du) millet drus (céréales).

P. 297 - « Du lait caillé » : un mélange « à une quantité de viande (-) une nourriture à base d'eau et d'herbe ».

P. 299 - « (Du) petit lait. »

P. 301 - « S'il n'a pas terminé au matin, quand la nuit s'achève, on changera la nourriture pour de la boisson.
   
On notera que les auteurs arabes nous ont appris que, de la même façon, les Bédouins nourrissaient leurs chevaux de dattes, de lait de chamelle et aussi de viande parfois en complément des céréales.

III - Objection
   
On ne manquera pas d'objecter que la cavalerie de Gengis Khān ne saurait avoir connu la ferrure, puisque les « Mongols » d'aujourd'hui ne s'en servent pas ! Cela n'est pas contradictoire.
   
De même que les Arabes de la péninsule arabique, ayant perdu la direction de l'Empire musulman, sont retournés très tôt à leur nomadisme séculaire sans nécessité de ferrure...
   
De même les Mongols bleus perdirent le pouvoir au profit de la dynastie Yuan en Chine et de la Horde d'Or en Russie. Ils retournèrent eux aussi à leur état nomade. (La capitale de Gengis Khān disparut !...)



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